Extrême droite proche du pouvoir au Brésil

28 octobre 2018 | @Par Pascale TROUILLAUD

Présidentielle au Brésil: l’extrême droite proche du pouvoir

Rio de Janeiro (AFP)

Les Brésiliens ont commencé a voter dimanche pour une présidentielle qui peut faire basculer la première puissance d’Amérique latine sous un régime d’extrême droite si le favori, Jair Bolsonaro, l’emporte sur son adversaire de gauche Fernando Haddad.

Après le scrutin du 7 octobre qui a vu Bolsonaro frôler une élection dès le premier tour (46% des suffrages) alors qu’il avait été longtemps sous-estimé, 147 millions d’électeurs reprennent le chemin des bureaux de vote.

Les premiers bureaux de vote ont ouvert dans ce pays aux dimensions continentales à 08H00 (11H00 GMT), les derniers fermeront à 19H00 (22H00 GMT).

« Je suis venue très tôt, et c’est important parce que chaque voix compte », a déclaré à l’AFP Maria do Socorro, une électrice de 74 ans, devant son bureau de vote de Copacabana, à Rio de Janeiro. « Cette campagne a été différente, on n’a quasiment pas entendu les propositions des candidats ».

Très polarisée, la dure campagne de l’entre-deux tours a été en effet alimentée par des discours de haine mais aucun débat.

Les deux derniers sondages publiés samedi soir ont crédité Jair Bolsonaro, du Parti social libéral (PSL), de 54 et 55 % des intentions de vote et Fernando Haddad, du Parti des travailleurs (PT) de l’ex-président Lula, de 46 et 45%.

Ainsi, l’écart entre les deux prétendants à la succession du conservateur Michel Temer est passé de 18 points à la mi-octobre à 8 à 10 points à la veille du scrutin.

« Je continue de penser que Bolsonaro est favori », dit Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po, mais « dans l’histoire électorale du Brésil il n’est pas du tout exclu qu’il y ait des mouvements forts dans les dernières 24 heures ».

Carrière insignifiante

Dans un pays miné par une violence record, le marasme économique, une corruption endémique et une crise de confiance aiguë dans la classe politique, Jair Bolsonaro, malgré une carrière insignifiante de député pendant 27 ans, a réussi à s’imposer comme l’homme à poigne dont le Brésil a besoin.

Ce populiste de 63 ans a proposé des remèdes simples, voire radicaux: armer la population pour que « les gens bien » se défendent, donner un permis de tuer aux forces de l’ordre en opération ou redresser la 8e économie mondiale avec des privatisations pilotées par un « Chicago boy » ultralibéral.

Ce catholique défenseur de la famille traditionnelle qui a reçu le soutien crucial des puissantes églises évangéliques et veut qu’un tiers de son gouvernement soit constitué de généraux a indigné, par ses déclarations outrancières, une bonne partie des Noirs, des femmes et des membres de la communauté LGBT.

En fin de campagne, ce « patriote » a tenté de rassurer en s’engageant à respecter lois et Constitution.

Alberto Goldman, ex-gouverneur de centre droit de Sao Paulo, estime que les institutions seraient assez fortes pour empêcher toute dérive si Bolsonaro arrivait au pouvoir, alors que 50% des Brésiliens évoquent un risque de retour de la dictature militaire (1964-85).

« Mais je ne suis pas prêt à payer pour en avoir la preuve » a ajouté M. Goldman, annonçant qu’il allait voter pour Haddad.

Pour Marcio Coimbra, de l’Université presbytérienne Mackenzie, le Brésil a des garde-fous avec « un Parquet fort, une Cour suprême forte et un Congrès qui fonctionne ».

Ironie de l’Histoire

Bolsonaro, qui est en passe de priver le PT d’une 5e victoire d’affilée à une présidentielle, a capitalisé sur l’exaspération des Brésiliens en jouant sur le registre du « tous pourris » et un virulent sentiment anti-pétiste.

Ayant frolé la mort après un attentat au couteau le 6 septembre qui a renforcé son aura — ses fidèles l’appellent « Le Mythe » — il a ensuite mené toute sa campagne sur les réseaux sociaux et refusé les six débats prévus avec Haddad.

La mission des observateurs latino-américains a estimé que les torrents de fausses informations, notamment sur la messagerie WhatsApp, étaient « un phénomène sans précédent ».

Fernando Haddad, 55 ans, a promis de « lutter contre le fascisme jusqu’au bout », quand Lula, du fond de sa prison, appelait à l’union des démocrates contre « une aventure fasciste » au Brésil.

Ironie de l’Histoire, en août, avant d’être déclaré inéligible, le candidat Lula, bien que déjà emprisonné pour corruption, était crédité de deux fois plus d’intentions de vote que Bolsonaro.

Haddad, ancien maire de Sao Paulo, a promis de « rendre le Brésil heureux de nouveau » comme sous les mandats de Lula dans les années de croissance (2003-2010), mais il n’a pas fait l’autocritique du PT, jugé responsable par beaucoup des plaies actuelles du pays.

Ses propositions notamment en matière d’emploi dans un pays aux 13 millions de chômeurs et de réduction des déficits sont restées floues.

Le résultat attendu vers 23H00 GMT devrait jeter des centaines de milliers de Brésiliens des deux camps dans les rues.

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Hantée par sa lutte contre le parti des travailleurs (PT), la droite libérale au Brésil a tout d’abord destitué Dilma Roussef par un puntch parlementaire – certains médias libéraux ici en France s’en réjouissaient voyant l’affirmation d’une lutte contre la corruption dont le PT aurait été le grand organisateur (ré-écouter les analyses de Florian Delorme et Brice Teinturier dans l’émission Culture Monde de cette époque), cette droite plaçait Temer pour assurer la transition, et éventuellement prendre le relais quand viendraient les prochaines échéances électorales. Mais le président transitoire s’est avéré plus compromis, pour ne pas dire plus, que celle que l’on avait écarté. Le tous pourris gagnait du terrain dans la société brésilienne. Arrive l’heure attendue des élections présidentielles, Lula que l’on croyait fini s’avère être un candidat sérieux. Le programme du PT n’est vraiment pas du goût des libéraux ; des programmes sociaux, un plus grand contrôle de l’État sur l’économie, un plus grand respect des minorités, notamment amérindiennes en butte avec les grandes compagnies qui s’attaquent au gâteau de la forêt amazonienne si riche en minerais de toutes sortes, et en essences rares. Lula est un danger pour cette droite libérale néoconservatrice, et les intérêts qu’elle représente. Ce que n’a pu faire les campagnes médiatiques contre l’homme fort du PT, la justice1 le fera. La voie est toute tracée pour le nostalgique de la junte militaire, l’affreux Bolsonaro, misogyne, homophobe et raciste notoire2. Au niveau de l’image internationale, un candidat de la droite libérale aurait été préférable, mais le monsieur convient parfaitement aux grandes compagnies minières qui lorgnent sur la forêt amazonienne (les bulldozers sont prêtes à rentrer en action, les lois et la réglementation – pourtant très insuffisante, et peu appliquées du fait de la corruption – protégeant les autochtones et la forêt seront demain abolies). Et les intérêts financiers s’en accommodent tout aussi bien ; moins de réglementation, moins de contrôle de l’État, autant de gages pour le climat des affaires. La bourse brésilienne ne marque aucun fléchissement depuis qu’est devenue probable l’élection du candidat de l’extrême droite, et Wall Street se porte à merveille également. Les droits humains… On trouvera peut-être un des grands de la Silicone Valley s’en émouvoir, dans le même temps leurs chargés d’affaire sont déjà sur le terrain pour dépecer cette formidable carcasse qu’est le Brésil, avec tous les trésors dont regorgent son sol et son sous-sol. On peut imaginer que nos fleurons mondiaux du CAC40 sont également dans la course. Et les droits humains, l’écologie, l’environnement2 dans tout ça. Secondaires ! Très secondaires. Dans la soirée du 20 février 1933, au Bunderstag, les 20 principales familles de l’économie allemande rencontraient Goering et Hitler qui leur fit un courte déclaration. Au terme de cette entrevue, ces distingués messieurs représentant ce qui se fait de mieux dans le monde des affaires de l’époque, affirmèrent ou ré-affirmèrent leur soutien au parti nazi, et s’engageaient à financer sa campagne pour les élections du mois suivant qui devait installer le parti nazi à la tête du pays « pour dix ans, pour cent ans » s’enthousiasma Goering. Parmi ces grands noms qui apportèrent leur plein soutien au parti nazi, et qui en 1933 ne pouvaient ignorer le caractère belliqueux et intrinsèquement antisémite des nazis, on retrouve des noms qui ne sont pas inconnus à nos oreilles : AXA, Wolwaguen, Opel, etc… Un certain nombre ont changé de noms, mais n’ont jamais quitté les affaires, et ce n’est la famille Krupp qui contrediraient l’affirmation selon quoi la période nazie n’a pas été mauvaise pour les affaires.

Alors Bolsonaro demain à la tête du Brésil… Certains se frottent les mains. Et le monsieur n’est pas antisémite, il est seulement misogyne, homophobe et raciste. Cela reste dans les limites de l’acceptable.

Et les travailleurs brésiliens dans tout ça. Il y a ceux et celles qui se tirent une balle dans le pied, il y a les autres des classes moyennes supérieures qui se croient à l’abri, et croyant même que Bolsonaro va défendre leurs intérêts, les protéger de la colère des miséreux, ils auront au moins cinq pour déchanter. Cinq ans… Sait-on quand auront lieu des prochaines élections ? Élections libres,doit-préciser.

Les droits des travailleurs et travailleuses… les esclaves avaient l’assurance d’avoir un toit et le minimum alimentaire nécessaire pour pouvoir travailler le lendemain… Les sévices corporelles ne sont certes plus d’actualité, quoique certains éléments revendicatifs pourraient se retrouver de corvées de bois. Le droit de cuissage, on n’en est plus là, quoique dans les profondeurs de la campagne ou de la forêt brésilienne… un obscur contremaître… A qui la victime pourra s’en plaindre ? A son syndicat ? Les syndicats n’auront qu’à bien se tenir ! De grandes centrales ont déjà partie liée avec le patronat. Demain cette position ne sera pas une option.

C’est une bien sombre période qui s’ouvre pour le Brésil, et pour le monde tout entier, car sans nul doute, que le pouvoir demain au Brésil prendra soin de ménager ses semblables en Amérique latine, et inspirera nos fascistes européennes ou ces réactionnaires ou nationalistes européens tel Orban en Hongrie ou Kaczyński  en Pologne. L’enquête du Figaro publié sur ce blog a montré que nous ne sommes pas en reste de ce coté de l’Atlantique. Nul doute qu’ils iront s’y ressourcés.

Et les affaires étant les affaires, avec Bolsonaro au pouvoir, il n’est pas insensé d’imaginer que la dépense militaire va croître de manière considérable. N’aurait-on pas quelques Rafales, quelques sous-marins à lui fourguer ? On a bien vendu pour plusieurs milliards de Rafales à une Égypte exsangue dont le taux de pauvreté bat à nouveau des records sous le général Sissi. Des avions pour mieux réprimer sa population ! A-t-on entendu le FMI ou la banque mondiale dénoncer cet endettement fort mal à propos. Nenni. Quand il fut question de privatiser des hôpitaux et de remettre en cause le programme de construction d’écoles en Éthiopie dans le courant des années 90, ces deux institutions montèrent au créneau pour dénoncer la dette qu’allait engendrer un tel programme.

On sait depuis cette fameuse soirée du 20 février 1933 dans le cadre feutré du Bunderstag que la morale et la conscience sont des impératifs qu’ignore le capitalisme.

               AC

1- Les deux magistrats, le juge Sergio Moro et le procureur fédéral Deltan Dallagnol, chargés de la campagne anti-corruption, et renvoient Lula en prison, sont des représentants de l’Église évangélique, adorateurs de Jésus, dans leur conception du monde, le PT est la bête noire que tout croyant, pour le salut de son âme, se doit de combattre. Dans un terrain où la pauvreté, voir la très grande pauvreté, est partagé par beaucoup, la rhétorique rétrograde de l’Église évangélique reçoit souvent un accueil favorable des populations déshéritées. Voir aussi sur le pouvoir de nuisance de l’Eglise évangélique en Afrique, l’article du Monde Diplomatique L’Église évangélique contre Kabila au Congo, avril 2018, et Le lobby évangélique à l’assaut de l’Ouganda, janvier 2008, qui révèle combien business et foi chrétienne rigoureuse font très bon ménage : « Pour réussir, il faut avant tout devenir évangéliste. (…) Vous devez aussi avoir confiance en Dieu(…), épargner, faire des projets d’avenir et écouter le Saint-Esprit », s’exclame  le télévangéliste américain Creflo A. Dollar ce millionnaire aux milliers de fidèles massée au stade de Kampala, qui rétorquent immédiatement : « Amen ! »  Après leur avoir affirmer que c’était « grâce à Dieu » qu’il était sorti de la pauvreté, et possédait désormais « son avion privé »

2- lire l’article Bolsonaro ou la haine de la démocratie de Médiapart du 28 octobre 2018 publié sur le blog ci-dessous.