Espagne: le PP et cuidadamos défile aux cotés de Vox

En Espagne, l’allié gênant de LREM

14 FÉVRIER 2019 PAR MANUEL JARDINAUD

Ciudadanos, parti cousin de La République en marche en Espagne, a défilé dimanche 10 février aux côtés du parti d’extrême droite Vox pour demander des élections et s’est allié au très conservateur Parti populaire en Andalousie. Le parti macroniste n’entend pourtant pas rompre les liens avec ces alliés.

L’embarras grandit à La République en marche. Dans sa stratégie d’alliance au niveau européen, le mouvement fondé par Emmanuel Macron pensait pouvoir compter sur le nouveau venu espagnol Ciudadanos. L’ancien délégué général de LREM Christophe Castaner avait officialisé le rapprochement en juin 2018 lors d’un déplacement à Madrid. Problème : le petit parti libéral flirte de plus en plus avec le mouvement d’extrême droite Vox, tout en s’alliant avec le très conservateur Parti populaire (PP).

Le dernier événement en date a de quoi troubler. Le 10 février, à deux jours de l’ouverture du procès de douze dirigeants indépendantistes catalans à Madrid, une manifestation a rassemblé 50 000 personnes pour dénoncer la « trahison » du socialiste Pedro Sánchez, et réclamer la démission du chef du gouvernement espagnol, accusé d’avoir trop cédé dans ses négociations avec Barcelone.

La manifestation, dont le slogan principal réclamait « une Espagne unie, des élections dès maintenant », était convoquée par le PP et Ciudadanos. Mais la formation d’extrême droite Vox avait elle aussi formulé son soutien au défilé, apportant une nouvelle démonstration de l’absence de « cordon sanitaire » vis-à-vis du parti extrémiste ces derniers temps en Espagne.

Comme le montrent El Pais et Info Libre, les trois leaders – Santiago Abascal pour Vox, Pablo Casado pour le PP et Albert Rivera pour Ciudadanos – ont posé ensemble à l’occasion de cette mobilisation contre le gouvernement de gauche. Rapporté à la France, c’est comme si un défilé réunissait Marine Le Pen, Laurent Wauquiez et Stanislas Guerini (délégué général de LREM).

leaders du PP et de cuidamos auprès de celui de Vox

FOTO | El líder de Vox, Santiago Abascal; el líder del PP, Pablo Casado, y el líder de Ciudadanos, Albert Rivera, juntos en la concentración de Colón: http://cort.as/-EgZS 

Même s’il s’est déclaré sans ambages contre la présence de Vox lors de ce défilé, en précisant qu’il« ne négocierai[t] jamais directement ou indirectement une investiture ou un pacte de gouvernement avec aucune formation, indépendantiste, suprémaciste ou populiste », Manuel Valls, candidat à la mairie de Barcelone et ex-député apparenté LREM à l’Assemblée nationale, a lui aussi participé à cet après-midi de mobilisation.

Au siège de LREM, on relativise fortement la situation. « Cette manifestation est propre à l’Espagne, indique Pieyre-Alexandre Anglade, député des Français de l’étranger au cœur du dispositif européen de LREM. Ceux qui se sont rassemblés sont opposés à l’indépendance, je n’ai pas de commentaires à faire sur la présence de tel ou tel, mais il est clair que toute alliance avec l’extrême droite serait pour nous une ligne rouge. »

Du côté des Jeunes avec Macron (JAM), qui a noué des liens avec l’organisation de jeunesse de Ciudadanos au sein de la Young European Survey (YES, comprenant onze mouvements en Europe), la posture est également à la minimisation de l’événement du 10 février : « Je suis rassuré qu’ils [Ciudadanos – ndlr] ne se soient pas rassemblés avec Vox », confie à Mediapart Martin Bohmert, délégué général du mouvement JAM. Une affirmation pourtant démentie par l’image.

La gêne occasionnée par le positionnement politique de Ciudadanos n’est pas nouvelle, et LREM doit jongler avec les éléments de langage pour ne pas se dédire de son allié espagnol. « Qui n’est pas un partenaire… », précise un cadre de LREM. Il insiste sur le fait qu’il n’existe pas de convention écrite et officielle dans la perspective des élections européennes du 26 mai.

Le cas andalou, où Vox a fait une percée aux dernières élections régionales de décembre 2018, a déjà fait tanguer les relations entre les deux mouvements de chaque côté des Pyrénées. Ciudadanos a formé un exécutif en Andalousie avec le PP en janvier, en négociant* le soutien de Vox à l’assemblée régionale. Le PP et Ciudadanos sont désormais dans un gouvernement minoritaire dirigé par un président conservateur.

Situation trop embarrassante ? Pas pour LREM. « J’en ai parlé à Albert Rivera pour suivre les discussions déjà entamées, avait déclaré Stanislas Guerini lors d’une conférence de presse le 24 janvier. J’ai dit quelles étaient nos préoccupations sur la situation en Andalousie et les discussions avec le PP en Espagne. […] Albert Rivera a été très clair : les lignes rouges n’ont pas été dépassées. »

Pour Pieyre-Alexandre Anglade, l’analyse est encore plus limpide : « En Andalousie, à partir du moment où Vox n’entre pas au gouvernement et n’a pas d’influence sur le programme mis en œuvre, il n’y a pas de remise en cause des relations tissées avec Ciudadanos. »

De toute façon, comme le rappelle l’un des pivots de la future campagne pour les européennes, « LREM n’est pas dans la stratégie de Ciudadanos, celle de rogner vers sa droite »La récente loi dite anticasseurs, la politique économique et fiscale néolibérale et autoritaire, d’un gouvernement tenu par des ex-LR depuis près de deux ans, montrent pourtant qu’une voie similaire est empruntée par LREM et Emmanuel Macron depuis les élections de 2017.

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Plus encore, le positionnement très droitier des deux partis sur l’immigration indique une convergence de vue sur cette question spécifique. En Espagne, le PP, devenu allié de circonstance pour Ciudadanos, a fortement durci sa ligne politique sur la question des migrants, rompant avec une tradition espagnole d’accueil. « Il n’y a pas de place pour la démagogie en matière migratoire », avait insisté Casado au cœur de l’été 2018. « Nous devons être responsables et non populistes », car « ce que les Espagnols veulent, c’est un parti qui dise clairement que ce n’est pas possible qu’il y ait des papiers pour tous ».

Comme l’écrivait Mediapart à l’époque, son principal concurrent à droite, le leader de Ciudadanos Albert Rivera, n’a pas tardé à s’aligner sur les positions de son rival, après avoir relayé des discours de solidarité par le passé. Un positionnement qui n’est pas loin d’évoquer le virage droitier du gouvernement sur les questions migratoires, au moment de la loi asile et immigration votée par LREM.

*Lors de ces négociations entre le PP, Cuidadamos et Vox, le parti d’extrême droite a imposé notamment un certain nombre de positions remettant en cause le droit des femmes, et un durcissement des conditions d’accueil des migrants. AC