Ensauvagements: Darmanin dans les mots de l’extrême

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«Ensauvagement» : Darmanin et Macron en mode apprentis sorciers

Par Jonathan Bouchet-Petersen  Libération — 27 août 2020

darmanain Macron

Gérald Darmanin et Emmanuel Macron, à Chambord. Photo Ludovic Marin. AFP

Si on considère que l’été guerrier de Gérald Darmanin n’est pas le fruit du hasard, il y a deux façons de voir les choses, l’une n’excluant pas l’autre. La première, vite énoncée, consiste à juger qu’il s’agit d’une réponse pertinente, certes un peu pushy sur la forme mais à la hauteur de l’insécurité croissante à laquelle de plus en plus de Français font face. C’est le refrain de «l’été Orange mécanique» entonné par Xavier Bertrand dans le Figaro ce jeudi, en référence non pas au film de Kubrick mais au livre la France orange mécanique (Ring) de Laurent Obertone, auteur à succès de l’extrême et de la droite dure tendance identitaire. La seconde option : que la soudaine croisade de Darmanin contre «l’ensauvagement» (d’une partie) de la société – un vocable d’extrême droite dont Marion Maréchal-Le Pen est friande et dont Valeurs actuelles se félicite cette semaine en une qu’il soit désormais utilisé jusqu’au sommet de l’Etat – a tout d’une stratégie délibérée. La «racaille» est devenue le «sauvage» dans un processus de déshumanisation qui ne fleure pas bon et qui n’est pas une simple version 2020 des «sauvageons» pointés par Jean-Pierre Chevènement en son temps. Car Darmanin et par là même Macron savent parfaitement où ils mettent les pieds.

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Surenchère sécuritaire

Cette stratégie viserait à siphonner définitivement une droite déjà séduite par le versant libéral du quinquennat ? A voir la réaction de nombreux cadors de LR, lancés dans une forme de surenchère sécuritaire, pas question pour eux de laisser la Macronie échapper au procès en naïveté. Comme Lionel Jospin avant lui lors de la présidentielle de 2002. Mais à ce jeu-là, le risque pour Macron est surtout d’ouvrir un boulevard à son adversaire la mieux placée dans les sondages dans la perspective de 2022. Au prétexte de lui couper l’herbe sous le pied et tout en restant surtout persuadé qu’elle ne peut pas le battre. Ce que Nicolas Sarkozy a réussi en 2007 face à un Jean-Marie Le Pen déjà vieillissant et loin de rééditer son coup du 21 avril 2002, Emmanuel Macron semble tenter de le reproduire face à une Marine Le Pen qui était déjà au deuxième tour face à lui la fois précédente. La nomination de Gérald Darmanin place Beauvau n’a jamais dit autre chose. Les esprits chagrins ou aiguisés, chacun appréciera le terme le plus adapté, soulignent que la fille Le Pen reste la meilleure assurance vie de l’actuel chef de l’Etat pour poursuivre son bail à l’Elysée.

 

Fonds de commerce

Dans ce contexte, celui d’un pouvoir de plus en plus droitier, quel équilibre régalien Eric Dupond-Moretti, dont la mesure n’est pas la qualité première, peut-il, et voudra-t-il bien, créer ? Au moment des débordements qui ont suivi à Paris la victoire du PSG en demi-finale de la Ligue des champions, le garde des Sceaux ne s’était pas spécialement démarqué, parlant «d’exactions» quand son collègue Darmanin dénonçait l’action de «sauvages». Mais alors que quelques jours plus tard, la justice était mise en cause par ceux dont c’est le fonds de commerce pour son supposé laxisme à l’égard des nombreuses personnes interpellées et condamnées, certaines à de la prison ferme, en comparution immédiate après les débordements, violences et dégradations qui ont suivi la défaite du PSG en finale, le ministre Dupond-Moretti a montré les crocs pour défendre sa paroisse. Fidèle à sa culture de la preuve, il a affirmé que la Justice avait fait son travail, qui plus est de façon immédiate, et que c’était aux policiers et non aux juges de mettre sur la table les preuves qui justifieraient les condamnations plus sévères que certains appellent de leurs vœux. On est encore loin d’un contrepoids politique.

Jonathan Bouchet-Petersen