Après la découverte d’un missile en Italie: en Europe, le risque d’attaque d’extrême droite reste élevé
21 JUILLET 2019 PAR NICOLAS LEBOURG, Médiapart
L’arrestation d’une cellule néonazie italienne armée, détentrice d’un missile qatari, fait suite à une série d’événements en Europe qui mettent en lumière la radicalisation de certains extrémistes de droite. Si les groupuscules les plus radicaux apparaissent en déclin, le risque d’attaque violente reste élevé sur le continent. Les voyants sont au rouge.
a radicalité de droite est à un moment charnière en Europe. De prime abord, elle paraît en croissance. Mais que l’on parle de poids politique ou de violences, le constat est en fait plus nuancé. Avec un paradoxe : raisonner cette progression n’amène pas à minimiser l’importance du risque sécuritaire posé par cette mouvance, bien au contraire. Alors qu’une perquisition chez une cellule néonazie italienne armée a permis de découvrir un missile qatari, plusieurs rapports qui viennent de paraître éclairent un moment où la menace terroriste d’extrême droite est en pleine structuration.
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Les terroristes de droite en Europe
Le rapport d’Europol sur le terrorisme en Europe en 2018 (lire ici) nous apprend qu’une seule attaque d’extrême droite a eu lieu cette année-là dans l’UE, contre cinq en 2017, mais en Italie précisément. Un militant de la Ligue du Nord, candidat l’an passé, avait tourné deux heures dans sa ville pour abattre des Africains, et avait ainsi blessé six personnes (il a été condamné à douze années de réclusion). Le rapport de l’année passée avait mis en évidence la dynamique de radicalisation violente à l’œuvre dans l’extrême droite européenne depuis 2015.
La tension se ressent ainsi du côté des interpellations. Les services de sécurité ont renforcé leur vigilance, puisque 44 activistes ont été arrêtés dans le cadre d’enquêtes sur la préparation d’actes terroristes, contre 20 en 2017. Ces militants étaient des citoyens d’Allemagne, d’Italie, de France, des Pays-Bas et de Tchéquie.
Les 32 Français représentent le plus fort contingent, de même que l’an passé la part française était des trois quarts (voir nos enquêtes ici et là). La stratégie consistant à entraver les groupes avant qu’ils n’agissent n’a, pour l’instant, pas donné lieu à des dérapages. Et si le djihadisme demeure la première préoccupation, le contrôle des potentiels terroristes de droite fait partie de la « stratégie nationale de renseignement » publiée ces jours-ci par la présidence de la République.
En ce qui concerne la Grande-Bretagne, selon un rapport de ses propres services, la situation est complexe puisque le nombre d’activistes a rarement été aussi bas (les autorités les estiment à 600 personnes et 24 groupuscules), mais qu’ils sont particulièrement déterminés. Autre enseignement, une jeune génération fait son apparition : les trois Anglais arrêtés en 2018 dans le cadre de deux affaires d’entreprise terroriste d’extrême droite sont des mineurs.
Manifestation néonazie à Cologne, le 26 octobre 2014. © REUTERS/Wolfgang Rattay
L’Allemagne bénéficie également de son propre rapport national sur les mouvements radicaux, selon des modalités dont la récente commission parlementaire française sur « l’ultradroite » a conseillé au gouvernement de s’inspirer. L’institution qui en a la charge a connu de récents déboires, puisque le président de l’Office de protection de la Constitution a été contraint de quitter son poste après avoir minoré les violences racistes et antisémites dans les territoires de l’Est. Mais il a été promu… Un geste illustrant la difficulté du pouvoir à fixer une ligne.
Là aussi, le rapport 2018 vient d’être rendu public, et s’il n’évoque pas une baisse des effectifs, il note une stabilité du contingent d’extrémistes de droite violents, restant comme en 2017 en dessous de 13 000 personnes, un niveau élevé et pérenne.
- Une décroissance électorale
Les mouvements néofascistes à dimension milicienne qui se présentent aux élections connaissent une phase de repli. Le Mouvement de résistance nordique, réseau néonazi transnational actif en Suède, en Norvège et au Danemark (il a été interdit en Finlande en 2017, après la mort d’un homme en marge d’une de ses manifestations), a participé aux élections suédoises en septembre dernier. Cette tentative de « respectabilisation » est d’autant plus importante qu’une enquête avait montré qu’un quart des 178 Suédois membres identifiés du groupe avaient été impliqués dans des actions violentes. Trois avaient été notamment condamnés en 2017 pour des attentats contre des locaux syndicalistes et de réfugiés.
Les résultats électoraux ont été dérisoires, le vote d’extrême droite préférant se focaliser sur un parti populiste, tant le produit politique néonazi est rédhibitoire. En France, seul Alain Soral a pu afficher des liens avec ce groupe. Lors du scrutin européen, le NPD, parti néonazi allemand, a quant à lui perdu son unique eurodéputé.
Le cas grec est particulièrement important. L’humiliation du pays avait permis à Aube dorée de passer d’une secte néonazie faisant 0,46 % des suffrages en 2009 à 6,99 % des voix et 16 députés en 2015. Cela ne l’avait pas apaisé : entre janvier 2012 et avril 2013, le groupe a été impliqué dans 281 attaques racistes faisant 400 blessés et 4 morts. Mais le parti s’est écroulé aux dernières élections européennes et législatives.
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En Hongrie également, les radicaux ont des difficultés. Le parti Jobbik avait cherché à se démarquer de ses racines fascistes et miliciennes, en prenant ses distances avec l’antisémitisme, et en affirmant une position plus pro-UE. S’il s’est bien maintenu lors des élections législatives de 2018 (19 % des voix), il a depuis connu une déconvenue aux européennes, avec 8,3 %.
En Italie, le triomphe de la Ligue (gagnant 28 points depuis le précédent scrutin) a été accompagné de la progression des plus radicaux Frères d’Italie (plus trois points, à 6,44 %), mais a été fatal aux néofascistes : 0,9 % pour CasaPound et 0,37 % pour Forza Nuova.
En France, deux listes se sont disputé les suffrages de ceux qui trouvent le Rassemblement national (ex-FN) trop cosmopolite. Il fallait être suffisamment motivé pour, d’une part, imprimer soi-même son bulletin, d’autre part penser que le RN est vendu au mondialisme. Le résultat est faible, mais intéressant : la liste de la Dissidence française (groupuscule néofasciste) écrase celle de la Ligne claire, lancée par Renaud Camus contre « le grand remplacement », par 4 569 voix contre 1 578. Renaud Camus ayant, pour sa part, annoncé in extremis qu’il votait pour la liste lepéniste, choqué qu’il avait été par une photographie présentant une de ses colistières en train de prier devant une croix gammée…
Si les services français estiment à environ 2 000 le nombre d’activistes d’extrême droite, il y a en tout cas 6 147 électeurs qui ont signifié qu’ils ne croyaient plus dans les valeurs de la démocratie libérale pour contenir ce qu’ils pensent être une guerre raciale.
- Un processus de radicalisation ?
Il ne faut pas pour autant déduire de ces deux décroissances récentes, terroriste comme électorale, que l’humanisme a progressé en Europe et que la radicalité de droite y serait en déroute. D’abord parce que le versant « mainstream » de l’extrême droite se renforce. Le groupe parlementaire européen auquel participe le Rassemblement national a ainsi doublé son nombre d’eurodéputés.
Même si le RN et la Ligue représentent à eux seuls les deux tiers du groupe, il compte désormais des membres de deux pays nordiques, mais sa progression se limite, à l’est, à la Tchéquie.
Surtout, le manque d’issue politique à une radicalité dont les thèmes sont pourtant amplement diffusés (type « grand remplacement ») et participent, de manière diluée, aux succès des partis légalistes d’extrême droite, peut amener certains de ses militants à considérer que le passage à la violence devient la seule option rationnelle pour obtenir le basculement auquel ils aspirent.
C’est, d’ailleurs, un thème récurrent dans les marges violentes : face au « système » anesthésiant les masses, l’emploi de la violence n’est pas improductif ou amoral, car il permet « l’éveil » des populations face à la gravité de la situation.
Missile air-air saisi par les forces spéciales italiennes lors d’une opération contre des militants d’extrême droite dans la province de Pavie (Lombardie), le 15 juillet 2019. © Polizia di Stato
Après le succès de Matteo Salvini, les fascistes de CasaPound (qui en France ont influencé le Bastion social, récemment dissous) ont décidé qu’ils abandonnaient la voie électorale. L’arrestation de la cellule en possession du missile qatari laisse à penser que certains, autour de Forza Nuova, seraient tentés par la voie des armes.
Il est vrai que le chef du mouvement lui-même a toujours eu à voir avec la plus extrême radicalité. Entre 1969 et 1980, durant les « Années de plomb », 67,5 % des 4 290 actes de violence politique qui frappent l’Italie sont le fait des néofascistes.
Si depuis quelques années on parle beaucoup de déradicaliser les personnes, il devrait s’agir aussi de s’intéresser aux milieux qui entretiennent et accélèrent la radicalité. Ce qui rend des activistes dangereux n’est pas tant leur nombre que leurs convictions, et la façon dont ils socialisent leur radicalité. Et sur ce point, les voyants sont tous au rouge.
Image à la Une (indépendant de l’article de Médiapart): Un groupuscule de l’extrême droite radicale en Hongrie pour la parade du dimanche… avant la partie de chasse!…. Ils n’ont pas l’air très inquiétés par les autorités. Peut-être beaucoup d’entre elles en font également partie. Ce n’est là que spéculations. Ac