Darmanin, copain bénit pour les syndicats de policiers
Le ministre de l’Intérieur veut entretenir sa proximité avec les représentants des policiers, accédant à nombre de leurs revendications. Ce rapprochement, déjà à l’œuvre chez ses prédécesseurs, devient un enjeu électoral pour les représentants de la profession comme pour le gouvernement.
manifestation des policiers le 19 mai. (Michel Euler/AP)
par Ismaël Halissat
publié le 28 mai 2021 à 1h58
Depuis des mois, les syndicats de police enchaînent tracts et mobilisations et une question se pose : ont-ils pris le pouvoir au ministère de l’Intérieur ? Les principales organisations syndicales se vantent à longueur de communiqués d’«exiger» et d’«obtenir». La présence de Gérald Darmanin à la mobilisation des agents devant l’Assemblée nationale, le 19 mai, est une récente illustration, a minima, d’une certaine proximité. «C’est un ministre qui est présent sur le terrain et a mis en place un fonctionnement qui nous permet un accès direct à son cabinet avec la nomination d’un conseiller social, relève Thierry Clair, secrétaire national du syndicat Unsa-Police. Sa présence lors du rassemblement est une marque certaine de soutien, c’était du jamais vu.» Du jamais vu, non plus, de déposer plainte contre une candidate à une élection, Audrey Pulvar, pour des propos que le ministère dit diffamatoires sur la police, après une interpellation des syndicats.
Dispositions exigées et obtenues
Avant ces dernières manifestations symboliques de la proximité entre le ministre et les organisations syndicales, il y a surtout eu un paquet de revendications satisfaites par le gouvernement. La liste ne cesse de s’allonger. En décembre 2018, à la faveur de la crise des gilets jaunes, les syndicats décrochent des augmentations de salaires conséquentes et une prime. En décembre 2019, ils échappent à la réforme des retraites en conservant les spécificités du statut spécial des policiers. Plus récemment, en octobre et en mai, ce sont des dispositions pénales diverses qui sont exigées et là encore obtenues.
La plus célèbre de ces mesures est l’article 24 – depuis censuré par le Conseil constitutionnel – de la loi «sécurité globale». Cette disposition devait permettre une restriction de la diffusion des images de policiers. En l’ajoutant à la dernière minute dans le texte, Gérald Darmanin n’avait pas caché ses motivations : il s’agissait de répondre à une promesse faite aux syndicats. Cette loi prévoit également la suppression des réductions automatiques de peine pour les personnes condamnées pour des violences ou des menaces envers les forces de l’ordre.
Tout récemment, le gouvernement a encore ajouté de nouvelles dispositions à la faveur du projet de loi «pour la confiance dans l’institution judiciaire». Sous la pression syndicale, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a ajouté par amendement une augmentation de la période de sûreté à trente ans (donc sans aucun aménagement de peine possible) pour les personnes condamnées pour des crimes contre les policiers ou les gendarmes. Une disposition jusque-là réservée aux terroristes. Le gouvernement a également fait voter en première lecture la limitation du volume possible des réductions de peine pour les auteurs d’agression contre les forces de l’ordre. Le rappel à la loi, une mesure alternative aux poursuites utilisée dans un cas sur cinq par les procureurs lorsqu’une infraction est constatée, est supprimé et devra être remplacé par une nouvelle réponse pénale plus répressive.
Pouvoir du statut spécial
Cette puissance des syndicats de police, particulièrement marquante ces dernières années, a été analysée dans un article scientifique collectif paru dans la revue Sociétés contemporaines (Presses de Sciences Po), à la fin de l’année 2019. Pour ses auteurs, ces organisations «sont en mesure non seulement de peser sur la gestion des personnels et leurs conditions de travail, mais aussi sur la définition de la finalité même de l’institution policière et sur la place de cette institution dans l’architecture institutionnelle». Un pouvoir conféré notamment par le statut spécial des policiers, créé en 1948. Les agents n’ont pas le droit de grève mais peuvent se syndiquer. Le nombre de votants aux élections professionnelles est le plus élevé de la fonction publique : près de 85 %.
A cela s’ajoute la perspective de deux échéances en 2022. D’un côté, le scrutin présidentiel, de l’autre les élections professionnelles policières organisées tous les quatre ans. «Les syndicats de police, qui sont dans une compétition électorale, ont une stratégie d’occupation de l’espace public, pour que les collègues se souviennent bien d’eux. Tandis que, de son côté, Gérald Darmanin prépare la campagne présidentielle. Ce sont deux campagnes électorales parallèles dans lesquelles chacun attend de l’autre des gains», analyse le sociologue Fabien Jobard, coauteur de l’article universitaire cité précédemment. Mais pour le chercheur, Gérald Darmanin aura du mal à toujours répondre à la surenchère des syndicats de police : «Avec leurs propos sur la justice, les syndicats éprouvent non pas la fidélité de Darmanin à la police, mais mettent à l’épreuve sa solidarité avec le gouvernement.»
Cette course électorale rend aussi difficile toute discussion sur les changements nécessaires pour une institution minée par des pratiques discriminatoires et les accusations de violences. Les chercheurs, les associations de victimes et les ONG n’ont par exemple pas été conviés au Beauvau de la sécurité. «La pression des syndicats sur les gouvernements successifs a un résultat indéniable. Il est quasi impossible de réformer cette institution et ça va commencer à se voir. Cela fait trois fois qu’Emmanuel Macron demande une réforme, cela trois fois qu’il ne l’a pas, poursuit le sociologue. Pendant ce temps, la gendarmerie nationale travaille depuis quatre ans à un programme de police de proximité en toute quiétude et enregistre des scores de confiance dans la population bien supérieurs à ceux de la police.» Un avis partagé par un ancien syndicaliste policier qui suit encore de près les débats actuels : «A la fin qu’est-ce qu’il en restera de tout ça ? Le rapprochement police-population n’avance pas et concernant la lutte contre le trafic de drogue voulue par Darmanin, ça fait des années qu’on est sur la répression et on ne règle rien. On sent que tout ça, finalement, c’est fait pour servir la campagne de Macron.»