Conditions dégradées dans les centres de rétention

Interview

«La pandémie aggrave la politique menée dans les centres de rétention administrative»

Pour David Rohi, responsable rétention à la Cimade, enfermer des migrants dans des lieux de contamination élevée alors qu’ils ne sont pas expulsables est une décision abusive.
Migrants manif contre les centres de rétention

 

 

par Gurvan Kristanadjaja, Libération

publié le 3 février 2021 à 18h41

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, plusieurs élus et associations se sont inquiétés publiquement des conditions de vie des étrangers placés en rétention en France. Selon David Rohi, responsable rétention à la Cimade, association de soutien aux migrants, le contexte lié aux tests et aux conditions sanitaires y rend le quotidien encore plus problématique.

Comment jugez-vous la situation actuelle au sein des lieux et des centres de rétention administrative (CRA) ?

Mi-mars, au début de la pandémie, les pouvoirs publics ont fait le choix de maintenir les CRA ouverts malgré l’avis du Défenseur des droits et des nombreuses associations. De notre côté, on estimait notamment que les conditions concrètes d’enfermement et de rétention ne permettaient plus de garantir la santé des personnes. On a su aussi que les expulsions n’étaient plus possibles, ce qui a varié en fonction des nationalités à partir du mois de mars. On est clairement dans une situation où des personnes sont enfermées et la plupart ne sont pas expulsables. Le cas le plus emblématique, ce sont les Algériens : il n’y a eu quasiment aucune expulsion depuis la mi-mars. L’enfermement est devenu illégal à partir du moment où il n’y a pas d’expulsion possible. Ces personnes sont, de surcroît, exposées à un risque de contamination, car on a vu des personnes enfermées depuis longtemps qui tombaient malades lors de leur rétention. Tout cela se poursuit au moment où l’on parle : sept personnes viennent d’être contaminées au CRA de Toulouse, par exemple.

Craignez-vous que la situation devienne trop explosive ?

Je dirais plutôt que le contexte actuel aggrave encore la politique que l’on mène en France dans les CRA, avec beaucoup de violations des droits fondamentaux. La situation est certainement bien plus explosive aujourd’hui qu’elle ne l’était ces dernières années. Quand Christophe Castaner était ministre de l’Intérieur, il a par exemple appliqué une politique qui visait à placer les étrangers qui sortaient de prison directement dans ces lieux, y compris ceux qui n’avaient aucune perspective d’expulsion. Une politique assumée : le ministre estimait que ces personnes étaient trop dangereuses. Mais c’est abusif, car la rétention ne doit servir qu’à expulser. Cela signifie aussi que, même lorsqu’on a purgé sa peine, on reste dangereux, qu’on l’est à vie. Certaines personnes alternent donc entre la prison et ces lieux de rétention… toujours sans perspective d’expulsion.

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Fin janvier, des personnes retenues au Mesnil-Amelot ont tenté de mettre le feu aux locaux pour alerter sur leur situation. Comment expliquez-vous ces actes désespérés ?

Désormais, avec la pandémie, il y a une autre problématique qui n’est pas étrangère à l’incendie de ce CRA. Pour pouvoir expulser ces gens, les autorités françaises ont besoin d’un test négatif. Alors on fait pression sur eux pour qu’ils acceptent de s’y soumettre. Certains l’ont bien compris et le refusent. Résultat, il y en a qui ont été condamnés à des peines lourdes de prison pour refus du test PCR et «obstruction à la mesure d’éloignement». Alors même que ce sont des mesures invasives et que l’on ne peut pas imposer ces tests pour le respect du corps humain. Ce sont des personnes qui n’en peuvent plus et sont poussées à des actes désespérés.

Quelle est la revendication de la Cimade aujourd’hui ?

Nous demandons la fermeture des centres de rétention administrative en général. Une mesure d’autant plus nécessaire tant que la crise sanitaire du Covid n’est pas réglée.