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Au local de rétention administrative de Choisy-le-Roi, des conditions attentatoires à la «dignité de la personne»
«Libération» a recueilli le témoignage de Lancina Traoré, un Ivoirien sans papiers dont un juge des libertés et de la détention a ordonné la libération, estimant «illégales» ses conditions de détention.
Développer
Distribution de nourriture, près de la station Rosa-Parks dans le nord de Paris, le 19 novembre, deux jours après l’évacuation du campement de l’écluse à Saint-Denis. (Michael Bunel/Le Pictorium pour Libération)
par Tomas Statius
publié le 3 février 2021 à 18h46
Ce sont trois petites cellules, de trois mètres sur deux, presque identiques. Dans chacune, on trouve deux lits superposés en teck, une table basse et des matelas d’une épaisseur raisonnable. Elles sont bordées par un couloir qui dessert un lieu de rencontres pour les avocats et une salle d’attente pour les familles.
C’est ici, dans ce local de rétention administrative (LRA) attenant au commissariat de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), que Lancina Traoré, un Ivoirien sans papiers, a été enfermé durant presque trois jours, du 8 au 11 janvier, dans l’attente de son expulsion. Avant qu’un juge des libertés et de la détention (JLD) n’ordonne sa remise en liberté. Dans une décision que Libération a pu consulter, ce dernier conclut que les conditions de rétention du migrant de 45 ans sont illégales, et même contraires à la «dignité humaine». En cause : l’absence d’accès libre aux toilettes, à une douche, à un interprète et la difficulté à contacter un avocat. «C’est très rare qu’un juge aille aussi loin, appuie le conseil du plaignant, maître Patrick Berdugo. C’est une mise en cause directe de l’Etat.» Le magistrat considère surtout que malgré des alertes répétées, le ministère de l’Intérieur n’a rien fait pour mettre les geôles en conformité. Un manque de diligence qui constituerait une «voie de fait», conclut ce dernier.
«Vétusté» des cellules
Les problèmes dans ce LRA du Val-de-Marne, le plus important de France, ne datent pas d’hier. Dès 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) s’était inquiété de l’état de ses geôles. Dans son dernier rapport consacré à ce lieu de rétention, rendu public en 2015, l’autorité administrative indépendante note notamment la «vétusté» des cellules. En 2018, c’est le doyen des juges des libertés et de la détention du tribunal de Créteil qui pointait, dans deux courriers adressés au directeur général de la police nationale (DGPN), que Libération a pu consulter, les conditions de rétention illégales pratiquées à Choisy-le-Roi. Pas moins de 688 personnes y ont été placées entre janvier et septembre 2018, derniers chiffres fournis par l’administration.
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Dans ces trois petites cellules, comme dans les 55 autres LRA dont la France dispose, c’est le code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui s’applique. Comme dans les centres de rétention administrative (CRA), où sont enfermés les sans-papiers en attente de leur expulsion du territoire français, dont le plus grand, installé au Mesnil-Amelot, au pied des pistes d’atterrissage de l’aéroport Charles-de-Gaulle, a brûlé ce mercredi 20 janvier après une mutinerie.
Pas d’accès libre aux toilettes, ni aux douches
Les locaux de rétention administrative revêtent en effet les mêmes fonctions que les CRA : retenir les étrangers en instance d’expulsion avant qu’ils ne soient en mesure de prendre leur vol. Et sont donc soumis aux mêmes obligations. Sauf qu’au LRA de Choisy, rien ne va, à l’image d’autres lieux de rétention France… Pas d’accès libre aux toilettes, ni aux douches, comme le prévoit le Ceseda. Pas vraiment d’accès à un téléphone non plus : le seul disponible est derrière les portes des cellules et fonctionne uniquement grâce à des cartes prépayées dont l’administration n’a pas «organisé la vente», souligne un document interne à la préfecture du Val-de-Marne, que Libération a pu se procurer. Lancina Traoré pointe aussi l’absence d’interprète : «La policière m’a dit qu’elle n’avait pas le temps de m’expliquer. On m’a fait signer des documents alors que je ne comprends pas très bien le français.»
Cet homme séjourne depuis trois ans en France, où il vit de petits boulots. «Dans le bâtiment, dans le ménage», égrène-t-il calmement au téléphone, depuis le centre de rétention administrative de Palaiseau (Essonne), où il est enfermé après que le parquet a fait appel de sa libération. Le 8 janvier, il a été interpellé à l’issue d’un contrôle d’identité en gare de Bagneux (Hauts-de-Seine) alors qu’il rentrait chez lui dans le nord de la capitale. Les policiers ont alors décidé de l’emmener à Choisy-le-Roi, à quelques kilomètres de là. Au LRA, les fonctionnaires l’informeront que la préfecture a décidé de son expulsion vers son pays d’origine.
«Si ç’avait été une cellule de prison, tout le monde en aurait parlé»
Contactée par Libération, la préfecture de police de Paris ne reconnaît pas l’illégalité de son équipement. Elle se contente de soulever la difficulté à réaliser des travaux : «L’agencement du local doit concilier les exigences du Ceseda avec les conditions de sécurité des policiers.» Dans un courrier du 20 juillet 2020 destiné au vice-président du tribunal de Créteil, elle fait valoir que les peintures ont quand même «été rafraîchies pendant le confinement» et précise que «les casiers et armoires fortes permettant le stockage des effets personnels des retenus seront prochainement remplacés».
Restent que les conditions restent des plus précaires. «Le premier soir, je n’avais rien, se souvient Lancina Traoré. Pas de savon, pas de brosse à dents. Ma femme a pu me rendre visite. C’est elle qui a prévenu mon avocat que j’étais là.» Sur le sol des cellules, des détritus : «C’était sale par terre. Les matelas aussi étaient sales.» A son départ, les policiers auraient demandé au retenu de faire lui-même le ménage : «Ils m’ont demandé de tout mettre dans des poubelles.»
«Si ç’avait été une cellule de prison, tout le monde en aurait parlé… C’est bien pire que les conditions à Fresnes», s’indigne maître Berdugo, qui compte déposer un recours devant le tribunal administratif pour demander la fermeture du LRA. Lancina Traoré a indiqué à Libération vouloir témoigner sous son propre nom de son passage à Choisy-le-Roi, pour éviter à d’autres ce qu’il a subi : «Avant d’arriver ici, je ne connaissais pas mes droits. Je n’avais jamais eu affaire à la police. Je suis prêt à faire tout ce qui peut aider quelqu’un d’autre.»