Candidature de Zemmour

L’hypothétique candidature d’Eric Zemmour intrigue les milieux d’affaires

Le polémiste rencontre des personnalités du monde des affaires dans l’hypothèse d’une candidature, mais ce dernier effraie autant qu’il intrigue.

Par , leMonde, Publié hier à 04h16, mis à jour hier à 05h39

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Eric Zemmour, à Paris, le 23 juillet 2021. JOEL SAGET / AFP

« Je ne veux surtout pas que mon nom apparaisse. » Prononcez le nom d’Eric Zemmour et les voilà qui se ferment les uns après les autres. Dans les milieux d’affaires, la possible candidature du polémiste pour la présidentielle de 2022 effraie autant qu’elle intrigue. Moins sur le fond que pour ce qu’elle charrie : officiellement, Eric Zemmour est infréquentable. Interrogés, grands patrons et banquiers réagissent presque tous de la même façon. « Je ne suis pas d’accord avec son analyse », « il dit beaucoup de bêtises sur le plan économique », « je ne partage pas ses solutions ».

Pour autant, nombreux sont ceux qui admettent l’avoir déjà rencontré. Dans un dîner, par des amis, sur des plateaux télé. Après tout, l’homme est journaliste. « Je l’aime bien », admettent même certains en privé. Aucun ne lui voit d’avenir politique, encore moins une trajectoire météorique comme celle d’Emmanuel Macron ou de Donald Trump. Ce qui n’empêche pas une réelle curiosité, voire, chez certains, une communauté de vues sur des sujets de société comme la sécurité ou les risques liés à la montée de l’islamisme.

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« Même s’il dit beaucoup de choses qui ne sont pas forcément justes, il suscite de l’intérêt, résume un consultant qui a travaillé pour de nombreux grands patrons. Certains sont sensibles à ce qu’il dit, mais c’est moins facile de le soutenir publiquement que Macron ou PécresseLe type est un esprit vif, un phénomène de librairie, c’est le roi de la joute verbale. »

« Aucune convergence, aucune complicité »

Selon son entourage, Eric Zemmour a, depuis le mois de février, organisé une quarantaine de dîners avec des personnalités de la sphère économique –  « un à deux par semaine », assure un proche. « Ce sont les gens eux-mêmes qui veulent le rencontrer. Cela ne signifie pas qu’ils le soutiennent. »

Le site d’information La Lettre A s’est ainsi fait l’écho d’une de ces rencontres en juin chez l’entrepreneur filloniste Stanislas de Bentzmann, qui avait réuni plusieurs grands patrons et personnalités du monde des affaires autour d’Eric Zemmour et de sa conseillère Sarah Knafo. Parmi les sept participants, l’ancien patron d’Axa et président de l’Institut Montaigne, Henri de Castries, ancien conseiller économique de François Fillon en 2017, et Nicolas de Tavernost, le patron de M6, réputé juppéiste. Le nom de Bernard Delpit, numéro deux de Safran et ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, a également été évoqué. « L’équipe d’Eric Zemmour m’a contacté car ils voulaient rencontrer des gens, explique Stanislas de Bentzmann. J’ai proposé à quelques amis qui étaient intéressés. Certains se sentaient proches de ses analyses, d’autres beaucoup moins. » Il n’a pas été question de financement, affirment les participants.

Il n’empêche, la publicité faite autour du dîner en a refroidi plus d’un. Venus « pour débattre », par « goût pour la joute intellectuelle », ils dissimulent mal leur nervosité. « Cette histoire m’agace au plus haut point !, s’emporte Henri de Castries. J’ai dîné une fois avec lui, j’ai des désaccords très profonds. Je n’ai aucune convergence, aucune complicité. J’ai un itinéraire assez clair pour qu’on ne puisse pas me soupçonner une demi-seconde d’être derrière ces idées-là. » Nicolas de Tavernost invoque un autre motif. « Je voulais savoir si Eric Zemmour serait candidat, résume-t-il. Si c’est le cas il faudra qu’il arrête son émission sur Paris Première, il ne peut pas être à la fois polémiste et faire de la politique. Mais il n’a rien dit, alors on a resigné pour un an. Je n’y serais jamais allé si c’était un dîner de candidature. »

« Transfert de la Fillonie »

L’équipe qui conseille le polémiste assure avoir « reçu vingt coups de fil » après l’article, tout en niant en être à l’origine. « Les gens se disent que si les directeurs de conscience y vont, c’est qu’il se passe quelque chose. Il est sulfureux mais il est adoré », explique un de ses proches.

Ces dîners sont « le signe qu’une certaine élite de l’économie » partage ses « constats », et a « à cœur de donner son avis pour dire ce qui ne va pas », décrypte un autre. Sur le domaine régalien, notamment, « cette sociologie perçoit Eric Zemmour comme un débouché naturel », indique un de ses conseils, parlant d’un « transfert de la Fillonie », de ceux « qui n’ont pas envie de choisir entre Marine Le Pen et Xavier Bertrand ».

D’autres patrons ou personnalités accepteront-ils de se prêter à l’exercice à l’avenir ? « Il y a des gens qui auraient pu être intéressés par un dîner avec Zemmour, admet le conseiller de plusieurs grands patrons. Mais si on voit que c’est rendu public, il y aura moins de candidats. Personne dans le monde patronal n’a envie d’être instrumentalisé. »

« Sa clientèle, c’est plutôt la grosse PME », juge l’éminence grise de nombreux grands patrons français.

Si le polémiste fait à l’évidence moins peur que Marine Le Pen, sa candidature risque de trouver un écho modéré dans le monde des affaires, même si ses proches assurent qu’il y est jugé crédible « parce qu’il travaille ses sujets et qu’il est cultivé »« Sa clientèle, c’est plutôt la grosse PME, juge l’éminence grise de nombreux grands patrons français. Ce n’est pas auprès du CAC 40 qu’il va faire un tabac. Le candidat des grands patrons, c’est Macron. »

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Vincent Bolloré, l’actionnaire de CNews, la chaîne d’information du groupe Canal+, sur laquelle Eric Zemmour anime une émission qui rassemble chaque soir plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs, le soutiendra-t-il, s’il se lance ? Selon son entourage, l’homme d’affaires est un libéral centriste européen, un démocrate-chrétien, et sa relation avec M. Zemmour est « compliquée ». « Il y a beaucoup de choses chez lui qu’il ne partage pas. Mais il considère qu’il y a un courant dans le pays, y compris chez les gens du centre, pour qui l’islam radical est un problème majeur, et il le laisse s’exprimer à cause de ça. » L’homme d’affaires n’appuie pas financièrement le polémiste, assure-t-on encore.

Idées proches de celles de la droite classique

Parmi ses possibles mécènes figure le financier Charles Gave, qui avait déjà financé la candidature de Nicolas Dupont-Aignan aux élections européennes en 2019, et pourrait accorder un prêt au parti ou au futur candidat. « Sa campagne ne coûtera pas cher », a-t-il affirmé dans Paris Match, mais il refuse de s’exprimer depuis.

Le nom de l’entrepreneur Pierre-Edouard Stérin, exilé à Bruxelles, est également évoqué comme un sympathisant, mais l’intéressé dément fermement tout soutien ou contribution. « C’est difficile de donner de l’argent à quelqu’un qui hésite à être candidat, admet un proche du journaliste. Le gros de la campagne de financement va commencer quand il sera candidat. » L’association de financement du parti Les Amis d’Eric Zemmour vient d’ailleurs d’être agréée par la commission des comptes de campagne.

En attendant, des petits patrons, des avocats, ainsi qu’un jeune banquier de JPMorgan qui souhaite conserver l’anonymat, s’activent pour élaborer des propositions en matière économique qui se veulent plus sérieuses que celles du Rassemblement national. Si les vues d’Eric Zemmour sur l’islam ou la sécurité intéressent, son discours économique doit encore convaincre des milieux patronaux plus volontiers libéraux et libre-échangistes que souverainistes. Comme l’a indiqué Paris Match, l’ancien patron d’Elf Loïk Le Floch-Prigent le sensibilise à « l’état catastrophique de l’industrie française », et le conseille : « Je lui ai dit qu’il n’était pas un dieu de l’économie ou de l’industrie, il m’a dit qu’il fallait que je lui explique », précise l’intéressé.

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Ses idées se veulent proches de celles de la droite classique : pas question de sortir de l’Union européenne, ni de l’euro – « les pro-Frexit sont minoritaires dans les milieux économiques et patronaux », explique son équipe. Celle-ci revendique, en revanche, une approche « lucide » face aux dogmes européens sur la concurrence ou les aides d’Etat, citant, par exemple, « l’incongruité » des contraintes imposées par Bruxelles à EDF. Pas question non plus de revenir à la retraite à 60 ans, comme le propose Marine Le Pen, l’idée étant au contraire de repousser l’âge de départ. Ses conseils défendent aussi la création d’un grand ministère de l’industrie qui rassemblerait le commerce extérieur, l’énergie et la recherche. Ils plaident pour une « fiscalité compétitive » pour doper la croissance, couplée à une taxe carbone aux frontières pour protéger le tissu industriel, un meilleur contrôle des investissements étrangers, et une réorientation des encours du Livret A vers l’industrie plutôt que le logement social. Le tout étant financé par la lutte contre la fraude sociale. Et la remise en question d’un « modèle social ouvert au monde entier ».