Briançon : «L’expulsion de Refuges solidaires est une vraie catastrophe pour le territoire et une erreur politique»
Le nouveau maire a décidé de mettre l’association d’aide aux migrants à la porte de ses locaux. Dans la ville, la mobilisation citoyenne s’organise
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Arnaud Murgia, élu maire de Briançon en juin, avait promis de «redresser» sa ville. Il vient, au-delà même de ce qu’il affichait dans son programme, de s’attaquer brutalement aux structures associatives clefs du mouvement citoyen d’accueil des migrants qui transitent en nombre par la vallée haut-alpine depuis quatre ans, après avoir traversé la montagne à pied depuis l’Italie voisine.
Une bénévole et un réfugié iranien échangent. Photo Julien Benard pour Libération
A 35 ans, Arnaud Murgia, ex-président départemental des Républicains et toujours conseiller départemental, a également pris la tête de la communauté de communes du Briançonnais (CCB) cet été. C’est en tant que président de la CCB qu’il a décidé de mettre l’association Refuges solidaires à la porte des locaux dont elle disposait par convention depuis sa création en juillet 2017. Par un courrier daté du 26 août, il a annoncé à Refuges solidaires qu’il ne renouvellerait pas la convention, arrivée à son terme. Et «mis en demeure» l’association de «libérer» le bâtiment situé près de la gare de Briançon pour «graves négligences dans la gestion des locaux et de leurs occupants». Ultimatum au 28 octobre. Il a renouvelé sa mise en demeure par un courrier le 11 septembre, ajoutant à ses griefs l’alerte Covid pesant sur le refuge, qui l’oblige à ne plus accueillir de nouveaux migrants jusqu’au 19 septembre en vertu d’un arrêté préfectoral.
«Autoritarisme mêlé d’idées xénophobes»
Un peu abasourdis, les responsables de Refuges solidaires n’avaient pas révélé l’information, dans l’attente d’une rencontre avec le maire qui leur aurait peut être permis une négociation. Peine perdue : Arnaud Murgia les a enfin reçus lundi, pour la première fois depuis son élection, mais il n’a fait que réitérer son ultimatum. Refuges solidaires s’est donc résolu à monter publiquement au créneau. «M. Murgia a dégainé sans discuter, avec une méconnaissance totale de ce que nous faisons, gronde Philippe Wyon, l’un des administrateurs. Cette fin de non-recevoir est un refus de prise en compte de l’accueil humanitaire des exilés, autant que de la paix sociale que nous apportons aux Briançonnais. C’est irresponsable !» La coordinatrice du refuge, Pauline Rey, s’insurge : «Il vient casser une dynamique qui a parfaitement marché depuis trois ans : nous avons accueilli, nourri, soigné, réconforté près de 11 000 personnes. Il est illusoire d’imaginer que sans nous, le flux d’exilés va se tarir ! D’autant qu’il est reparti à la hausse, avec 350 personnes sur le seul mois d’août, avec de plus en plus de familles, notamment iraniennes et afghanes, avec des bébés parfois… Cet hiver, où iront-ils ?»
Des bénévoles distribuent le repas devant le refuge. Photo Julien Benard pour Libération
Il faut avoir vu les bénévoles, au cœur des nuits d’hiver, prendre en charge avec une énergie et une efficacité admirables les naufragés de la montagne épuisés, frigorifiés, gelés parfois, pour comprendre ce qu’elle redoute. Les migrants, après avoir emprunté de sentiers d’altitude pour échapper à la police, arrivent à grand-peine à Briançon ou sont redescendus parfois par les maraudeurs montagnards ou ceux de Médecins du monde qui les secourent après leur passage de la frontière.
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L’association Tous migrants, qui soutient ces maraudeurs, est elle aussi dans le collimateur d’Arnaud Murgia : il lui a sèchement signifié qu’il récupérerait les deux préfabriqués où elle entrepose le matériel de secours en montagne le 30 décembre, là encore sans la moindre discussion. L’un des porte-parole de Tous migrants, Michel Rousseau, fustige «une forme d’autoritarisme mêlée d’idées xénophobes : le maire désigne les exilés comme des indésirables et associe nos associations au désordre. Ses décisions vont en réalité semer la zizanie, puisque nous évitons aux exilés d’utiliser des moyens problématiques pour s’abriter et se nourrir. Ce mouvement a permis aux Briançonnais de donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est une expérience très riche pour le territoire, nous n’avons pas l’intention que cela s’arrête».
Photo Julien Benard pour Libération
La conseillère municipale d’opposition Aurélie Poyau (liste citoyenne, d’union de la gauche et écologistes), adjointe au maire sortant, l’assure : «Il va y avoir une mobilisation citoyenne, j’en suis persuadée. J’ose aussi espérer que des élus communautaires demanderont des discussions entre collectivités, associations, ONG et Etat pour que des décisions éclairées soient prises, afin de pérenniser l’accueil digne de ces personnes de passage chez nous. Depuis la création du refuge, il n’y a pas eu le moindre problème entre elles et la population. L’expulsion de Refuges solidaires est une vraie catastrophe pour le territoire et une erreur politique.»
Ce mardi, au refuge, en application de l’arrêté préfectoral pris après la découverte de trois cas positif au Covid, Hamed, migrant algérien, se réveille après sa troisième nuit passée dans un duvet, sur des palettes de bois devant le bâtiment et confie : «Il faut essayer de ne pas fermer ce lieu, c’est très important, on a de bons repas, on reprend de l’énergie. C’est rare, ce genre d’endroit.» Y., jeune Iranien, est lui bien plus frais : arrivé la veille après vingt heures de marche dans la montagne, il a passé la nuit chez un couple de sexagénaires de Briançon qui ont répondu à l’appel d’urgence de Refuges solidaires. Il montre fièrement la photo rayonnante prise avec eux au petit-déjeuner. Nathalie, bénévole fidèle du refuge, soupire : «J’ai une peine profonde, je ne comprends pas la décision du maire, ni un tel manque d’humanité. Nous faisons le maximum sur le sanitaire, en collaboration avec l’hôpital, avec MDM, il n’y a jamais eu de problème ici. Hier, j’ai dû refuser l’entrée à onze jeunes, dont un blessé. Même si une partie a trouvé refuge chez des habitants solidaires, cela m’a été très douloureux.»
Arnaud Murgia nous a pour sa part annoncé ce mardi soir qu’il ne souhaitait pas «s’exprimer publiquement, en accord avec les associations, pour ne pas créer de polémiques qui pénaliseraient une issue amiable»… Issue dont il n’a pourtant pas esquissé le moindre contour la veille face aux solidaires.