Avec cet article du Monde Diplomatique, nous avons un panoramique des forces politiques en présence au Brésil. Le scénario idéal, tel que l’avait imaginé le patronat s’est presque réalisé : destituer Dilma Roussef, mettre ainsi un coup d’arrêt au PT (parti des travailleurs) et Telmer, présenter en M. Propre dans les médias, pour assure la transition – les casseroles qu’il traîne sont si grosses qu’il s’avérait impossible de le présenter aux présidentielles -, en attendant les prochaines élections où ils auraient pu installer Geraldo Alckim du PSDB (droite), partisan du statu quo, et encensé par les médias aux ordres. Le patronat et l’élite économique n’avait pas prévu le cas du général Borlsonao, mais, très libéral, il le fera très bien l’affaire, et peut-être même au-delà de leurs espérances. Avec un homme comme ça au pouvoir, ils sont certains que les contestations seront matées comme il doit. Et sans être devin, on peut imaginer facilement que tout sera fait pour que les prochaines soient organisées de sorte qu’ils les gagnent, ou si ce n’est lui, ce sera un comparse. Mais y-aura-t-il des élections dignes de ce nom si un tel personnage détient le pouvoir dans quinze jours. A moins de savoir lire les augures dans les tripes de volailles… mais des antécédents existent…
Pour sauver la démocratie brésilienne, on parle ici, en France, d’un possible front républicain contre le monstre. Déjà quand on en arrive là, la démocratie est très malade, miser sur cette combinaison a toujours été un pari gagnant en France, mais à force de jouer… Au Brésil, c’est un jeu risqué. Car comptez sur le report de voix du parti progressiste, qui n’a de progressiste que le nom est plus qu’aléatoire…. Lisez, vous comprendrez.
Seules les femmes peuvent sauver le Brésil du pire, et par leur vote, donner à ce phallocrate adepte de la cravache, un coup de pied au bon endroit, un de ceux qui font les hommes se plier en deux, et on l’espère suffisamment fort pour que le monsieur rentre, honteux, dans son écurie, et qu’il n’en ressorte jamais plus !
AC
*******************************************
Au Brésil, la fabrique des démagogues
par Glenn Greenwald & Victor Pougy , Le Monde Diplomatique, octobre 2018
Une main sur le cœur, les médias, la justice et le patronat brésiliens se lamentent de l’ampleur de la corruption. Depuis trois ans, ils l’ont érigée en principal problème du pays. Leur préoccupation est telle que, en 2016, ils ont joint leurs forces — sans se soucier des voix dissonantes — pour soutenir la mesure la plus draconienne que l’on puisse prendre dans une démocratie : destituer la présidente, Mme Dilma Rousseff, élue en 2011.
Cette indignation concernant la corruption et la criminalité n’était toutefois qu’un prétexte pour déclencher la procédure de destitution. En se débarrassant de Mme Rousseff, les acteurs de cette mauvaise série B ont placé aux manettes de vrais criminels, des gens dont les turpitudes et le comportement mafieux relèguent les acrobaties budgétaires de l’ex-présidente au rang de peccadille. Dans le festival des prouesses criminelles qui caractérisent le Brésil de l’« après-Dilma », les manipulations comptables qui ont justifié sa destitution semblent si ingénues qu’on se demande comment ses ennemis politiques et les journalistes-vedettes de la chaîne Globo parviennent à garder leur sérieux lorsqu’ils trompettent leur indignation.
À la place de la dirigeante du Parti des travailleurs (PT, gauche), ils ont installé M. Michel Temer, chez qui la corruption est une seconde nature. Très vite, la population a découvert qu’il avait été enregistré en train d’ordonner le versement de pots-de-vin à M. Eduardo Cunha pour acheter son silence. M. Cunha, qu’on peine à décrire autrement que comme un gangster, avait mené la campagne contre Mme Rousseff lorsqu’il présidait la Chambre des députés. Il purge désormais une peine de quinze ans et quatre mois de prison pour corruption, blanchiment d’argent et évasion illégale de devises. Depuis deux ans, les députés qui ont renversé la présidente en rivalisant de lyrisme dans leur dénonciation des malversations dont elle se serait rendue coupable acceptent sans broncher les enveloppes que M. Temer leur verse pour étouffer les accusations de malversations — souvent étayées par des enregistrements accablants (1) — qui pèsent sur lui.
Au cours de la campagne présidentielle qui doit aboutir (le 28 octobre prochain en cas de second tour) à l’élection du nouveau président du pays, les stars des plateaux de télévision et les familles oligarchiques qui possèdent les grands médias se sont dépouillées des derniers vestiges de crédibilité dont elles tentaient de se parer. L’opération que mène la presse atteint un tel niveau de corruption, et de façon si ouverte, qu’elle heurte jusqu’aux esprits les moins soupçonneux.
La presse oligarchique s’est explicitement ralliée au candidat Geraldo Alckmin, gouverneur de l’État de São Paulo, membre du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, droite) et incarnation de l’élite du pays. On pourrait le décrire comme une version tropicale de M. François Fillon, en pas beaucoup plus pétillant. Il est si dépourvu de charisme qu’on le compare souvent à un concombre, fruit qui lui a donné son surnom. M. Alckmin grenouille dans le milieu politique depuis des décennies, reçoit les faveurs du monde des affaires, qu’il dorlote, et ne crache pas sur celles que la corruption quotidienne oriente vers les dirigeants politiques brésiliens. Pour les puissants, impossible de rêver un meilleur gardien du statu quo.
Ce n’est pas un hasard si la stratégie de M. Alckmin consiste à se cacher. Il n’organise pas de meetings, car personne, à part les insomniaques, n’y assisterait. Sa quête du pouvoir ne repose que sur des accords d’arrière-boutique, propulsés par la fortune des oligarques dont il sert les intérêts ; bref, le type de corruption légalisée qui gangrène le monde politique, et qui semble n’avoir que récemment commencé à tourmenter les journalistes. Les cajoleries de la presse ne sont toutefois pas encore parvenues à lui faire atteindre les 10 % d’intentions de vote. Comme ailleurs dans le monde, le rejet de l’élite politique atteint un tel niveau que la population se détourne d’elle de façon de plus en plus marquée.
Emprisonné à la suite d’une condamnation hâtive pour corruption, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, largement favori des sondages, n’a pas été autorisé à se présenter. Jusqu’à la dernière minute, la stratégie du PT a consisté à miser sur un retournement de la justice en sa faveur, sous la pression populaire. La candidature de son remplaçant et ancien colistier, M. Fernando Haddad, annoncée le 11 septembre, s’accompagne d’un effort visant à lui permettre de profiter de la popularité de M. Lula da Silva. La stratégie avait fonctionné pour l’élection de Mme Rousseff en 2011, mais l’ancien maire de São Paulo reste peu connu de bien des électeurs, notamment dans les bastions lulistes du Nordeste.
Dans ces conditions, certains des principaux candidats sont perçus, à tort ou à raison, comme des personnalités étrangères au système : le député d’extrême droite Jair Bolsonaro (2), qui ne cache pas souhaiter le retour au pouvoir des militaires, comme sous la dictature (1964-1985), et qui caracole en tête des intentions de vote depuis le retrait de « Lula » ; Mme Marina Silva, une écologiste noire, chrétienne évangélique et prudente quant aux questions de société (3) ; et M. Ciro Gomes, un dirigeant politique de gauche, habile et expérimenté, mais dépourvu d’alliés ou de coalition (étant donné l’ampleur des divisions dans sa famille politique) et victime de son image d’électron libre imprévisible.
Dans un contexte de panique de l’élite, le « Concombre » a annoncé avoir formé une large coalition autour de ce que les médias appellent le « bloc centriste » — autrement dit, « tout le monde sauf “Lula” et Bolsonaro ». Il s’est également doté d’une colistière, candidate à la vice-présidence : Mme Ana Amélia Lemos, du Parti progressiste (PP).
La nature « centriste » de la démarche ne frappe pas immédiatement. Le PP accueillait M. Bolsonaro jusqu’en 2015. Il plonge ses racines dans le soutien à la dictature militaire, qui prit le pouvoir en 1964 à la faveur d’un coup d’État soutenu par les États-Unis. À l’époque, Mme Lemos était journaliste, plaçant sa plume au service de la junte, et mariée à un sénateur désigné par les officiers. Ses convictions actuelles la placeraient résolument à l’extrême droite sur l’échiquier politique aux États-Unis ou en Europe. Au cours de l’été 2018, le président du PT ayant donné un entretien à la chaîne qatarie Al-Jazira, elle a pris la parole au Sénat pour reprocher au PT — dans un subtil mélange de xénophobie et d’ignorance — de s’acoquiner avec des terroristes : elle avait confondu Al-Jazira et Al-Qaida.
La coalition de M. Alckmin a été conçue de façon à lui garantir la plus grande partie du financement public et du temps d’antenne au cours de la campagne, dans l’espoir qu’une avalanche de propagande électorale noierait les réticences de la population. Et peu importe, pour les médias, si le parti de Mme Lemos se révèle l’un des plus impliqués dans les scandales qui secouent le pays (4). Des cinquante-six députés affiliés au PP, trente et un sont sous le coup d’accusations de corruption. Même M. Bolsonaro avait jugé bon de se distancier de ce parti — qui évoque de plus en plus un cloaque politique — pour se présenter à la présidence. Si elle n’est pas inquiétée par la justice, Mme Lemos ne s’illustre pas non plus par son sens de l’éthique : sa carrière politique a débuté par une nomination, grâce à son mari, à un poste à plein temps qui ne requérait aucun travail de sa part.
Voilà donc le clan qui veut prendre les rênes du pays. Grâce au soutien de médias privés qui n’ont cessé de condamner la corruption, deux des partis politiques les plus corrompus d’Amérique latine prétendent accéder au pouvoir dans le plus grand pays de la région, qui compte plus de deux cents millions d’habitants.
À l’approche d’un scrutin imprévisible, M. Bolsonaro cristallise l’attention : désormais favori, il enregistre également le plus fort taux de rejet — faisant émerger la possibilité de coalitions plus ou moins formelles contre lui lors d’un second tour. Mais l’attaque au couteau dont il a été victime le 6 septembre, lors d’une manifestation de soutien, pourrait susciter une vague de sympathie ; le scénario de sa victoire n’est plus tout à fait exclu.
Cette situation générale démontre ce que les élites américaine, britannique et européennes, traumatisées par l’élection de M. Donald Trump et par le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, refusent toujours d’admettre : l’autoritarisme ne naît pas de nulle part. Les démagogues ne peuvent pas s’épanouir au milieu d’institutions fonctionnelles, justes et équitables. Menacer la démocratie et les libertés politiques ne devient possible que lorsque la population perd la confiance qui la liait aux institutions.
Voilà pourquoi le pari de l’élite brésilienne — se rassembler autour d’une immense coalition de corrompus de façon à protéger le vieux monde — est condamné à l’échec, et pourrait accélérer l’arrivée au pouvoir d’un personnage qui incarne une menace pour l’ensemble du pays.
Glenn Greenwald & Victor Pougy
Journalistes pour le site américain The Intercept, qui a publié une première version de ce texte. Glenn Greenwald est notamment l’auteur de Nulle part où se cacher. L’affaire Snowden par celui qui l’a dévoilée au monde, JC Lattès, Paris, 2014.
(1) Marina Lopes, « Brazilian President Temer survives a vote to suspend him on corruption charges », The Washington Post, 2 août 2017.
(2) Lire Anne Vigna, « Au Brésil, la crise galvanise les droites », Le Monde diplomatique, décembre 2017.
(3) Lire Lamia Oualalou, « Les évangélistes à la conquête du Brésil », Le Monde diplomatique, octobre 2014.
(4) Lire Anne Vigna, « Au Brésil, les ramifications du scandale Odebrecht », Le Monde diplomatique, septembre 2017.