Beaucaire, ville fracturée par le RN

Beaucaire, une ville fracturée par le Rassemblement national 

22 JUILLET 2019 PAR LUCIE DELAPORTE, Médiapart, 12 mn max

Larges extraits de l’article original (je peux transmettre l’intégral à celles ou ceux qui le souhaiteraient.  Ac

Le maire RN Julien Sanchez, qui a ravi cette ville du Gard il y a cinq ans, a mené – à grand renfort de communication – une politique ciblant la population maghrébine. Aujourd’hui, la population paraît divisée comme jamais.

Beaucaire (Gard), envoyée spéciale.– Le salon de beauté de Delphine, sur la route de Nîmes, est encore en chantier. Pour l’inauguration de septembre, le maire RN Julien Sanchez a promis de venir. « La mairie aurait préféré que je m’installe en centre-ville. Elle m’avait proposé un local avec un loyer intéressant, mais entre les difficultés pour se garer et les “fréquentations” là-bas, j’ai préféré refuser », explique la jeune commerçante qui, par le mot « fréquentations », n’a pas besoin de préciser qu’elle désigne la population maghrébine, majoritaire dans le centre-ville de cette commune de 16 000 habitants. Un centre-ville sinistré, que Julien Sanchez avait promis de « dé-kébabiser », une formule sans équivoque pour désigner la population maghrébine.

Delphine restera fidèle à son vote en mars prochain parce qu’elle trouve le maire de 36 ans, comme beaucoup d’habitants interrogés, « très présent » et « dynamique ». Et ce même s’il n’a pas réussi à renouveler la population du centre-ville. Pour autant, affirme-t-elle en s’en réjouissant, « le climat a changé ».

En proie à un chômage massif, dû à l’importante désindustrialisation de la région, Beaucaire est l’une des villes les plus pauvres du Gard. Le jeune porte-parole du Rassemblement national, qui a ravi la ville dans une quadrangulaire en 2014, a souhaité en faire une vitrine pour son parti. Un exemple de ce que le parti d’extrême droite peut faire à l’échelle municipale.

À l’approche des élections, le maire RN soigne plus que jamais sa communication. Le dernier exemplaire du magazine municipal qu’il vient de distribuer aux Beaucairois – un document de 35 pages sur papier glacé, titré « Cinq ans à vous servir ! » – dresse un bilan très avantageux de son mandat. Baisse des impôts locaux et des frais généraux : la ville serait enfin sur la voie du désendettement.

Le maire se félicite aussi qu’avec un doublement de la police municipale, « les cambriolages aient baissé de 44 % et les vols avec violence de 45 % par rapport à 2014 ». Sa politique de fermeté a aussi « permis de reprendre le contrôle de certaines rues aux mains des caïds en début de mandat », explique-t-il à Mediapart.

Julien Sanchez met également en avant le lancement de nombreux projets d’aménagement et de rénovation.

Dans le centre-ville sinistré, Sanchez affirme avoir mené une politique « très volontariste ». « Une trentaine de magasins ont ouvert. En partie grâce à notre action de court terme et moyen terme, consistant à faire une “remise” de 30 % sur les loyers les deux premières années », se félicite-t-il. La création d’un parking gratuit à côté du port de plaisance – qui a conduit à couper trente-huit pins parasols – est très appréciée par beaucoup de Beaucairois.

(…)

En 2015, à la veille du ramadan, Sanchez avait également pris deux arrêtés pour interdire l’ouverture des commerces dans le centre-historique après 23 heures. Porté devant le tribunal administratif par des commerçants, dénonçant une forme de discrimination qui ne disait pas son nom, l’affaire a, une nouvelle fois, offert une magnifique tribune au maire RN.

Ce proche de Marine Le Pen a aussi récemment inauguré en grande pompe une « rue du Brexit »pour « saluer le choix courageux des Britanniques » de quitter l’Union européenne. Une inauguration abondamment relayée par les médias internationaux et qui a permis à la petite ville du Gard de connaître son quart d’heure de célébrité.

Très présent sur le terrain – ses adversaires lui reconnaissant le plus souvent d’être « un gros bosseur » –, Julien Sanchez tient à faire savoir tout ce qu’il fait pour sa ville. Son service de com’ rend ainsi compte de ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, comme peu de maires de villes de cette taille. (…)

Ce penchant pour la com’ irrite de plus en plus. « Il ne se déplace pas sans un photographe qui le mitraille sous toutes les coutures », peste Laure Cordelet, présidente du Rassemblement citoyen pour Beaucaire, en rappelant que le service de com’ a été, par ailleurs, investi par les identitaires les plus durs du parti, à l’image de Damien Rieu qui y a officié comme directeur adjoint pendant l’année 2015.

« Julien Sanchez fait beaucoup d’annonces de façade, mais les problèmes de fond ne sont pas résolus », estime l’élu d’opposition LR Christophe André. Sur la sécurité, axe fort de sa campagne de 2014, « il communique sur la baisse des vols avec violence, qui n’ont jamais été importants à Beaucaire. En revanche, pour ce qui est des incivilités, rien n’a changé. Pour ces sujets, les choses sont plus complexes, puisqu’il faut faire travailler ensemble les acteurs de l’éducation, de l’économie… Ce qu’il ne fait pas du tout. Comme il est, en plus, en guerre avec les autres collectivités, que ce soit la communauté de communes, le département ou la Région, cela ne facilite pas les choses », déplore l’élu.

« Sanchez rachète des terres pour que des Maghrébins ne s’y installent pas »

Celui qui aime à se présenter comme un bon gestionnaire – notamment face à son prédécesseur Jacques Bourbousson (UDI) qui aurait mis la ville en « banqueroute », lui laissant 11 millions d’euros de dette – a largement eu recours à l’emprunt. Au prix de coupes drastiques dans les dépenses de fonctionnement et de personnel, il devrait laisser dans quelques mois une dette à peine inférieure à celle de son prédécesseur.

« Ce qui compte pour lui, c’est juste d’annoncer qu’il a fait baisser la dette. Même si c’est en fait très marginal », relève Luc Perrin, l’élu d’opposition écolo. Idem sur la délicate question fiscale. « Le taux d’imposition a baissé de 0,05 % par an, soit 0,15 % sur trois ans. Après, il peut claironner partout qu’il a baissé les impôts… C’est vraiment de la poudre aux yeux ! », affirme Christophe André.

Malgré le discours enthousiaste du maire sur le « dynamisme » retrouvé de sa ville, rien dans le centre-ville de Beaucaire ne témoigne vraiment d’une « revitalisation » en marche : les boutiques fermées succèdent à de magnifiques bâtisses laissées à l’abandon. Qu’importe. La moindre ouverture d’un commerce est toujours l’occasion d’inviter la presse locale.

« Ils font venir en centre-ville des commerçants avec des loyers très attractifs. Il les inaugure en grande pompe pour montrer qu’il relance l’activité économique. Mais il n’y a plus personne quand ils mettent la clé sous la porte six mois plus tard, assure Christophe André, soulignant que compte tenu des difficultés économiques des habitants, « le problème est moins l’absence de commerces que l’absence de clientèle ».

Beaucaire le maire Julien Sanchez
Le maire RN de Beaucaire Julien Sanchez. © Beaucaire Magazine

Le goût de Julien Sanchez pour les inaugurations en tout genre est devenu à Beaucaire un sujet récurrent de raillerie. « Il a quand même réussi à inaugurer les travaux de rénovation d’une petite passerelle piéton sur le port et il a même posé une plaque avec son nom ce jour-là ! », s’amuse Luc Perrin.

Ce goût immodéré pour le faire-savoir indispose ceux qui soulignent, par ailleurs, que la ville est confrontée depuis son arrivée à la mairie à de nouveaux défis qu’il n’a pas su gérer. « Je retiens quand même que la plus grosse vague migratoire dans la ville est arrivée sous Sanchez », souligne l’opposant LR au conseil municipal Christophe André à propos de la population sud-américaine, désormais très nombreuse dans le centre-ville de Beaucaire.

Chassés par la crise en Espagne, particulièrement dans le secteur agricole, ces Sud-Américains, dont beaucoup sont équatoriens, se sont installés dans la ville ces cinq dernières années. Ils y ont remplacé dans les exploitations agricoles autour de Beaucaire la main-d’œuvre jusque-là maghrébine avec le statut de travailleur détaché, ayant pour beaucoup obtenu la nationalité espagnole.

« Évidemment qu’il n’y peut rien, mais il faut encadrer les choses. Ce sont des familles qui logent dans des habitations très dégradées, voire des squats. Ils viennent de plus en plus en famille, ce qui pose la question de la scolarisation des enfants… », ajoute Christophe André, qui regrette que le maire refuse de s’emparer du sujet. « Il faut pourtant s’en occuper si l’on veut que ça se passe bien. Je lui ai par exemple proposé que l’on mette en place un guichet social, mais évidemment il répond qu’il n’a pas à s’en occuper puisqu’il est contre l’immigration par principe », rapporte Luc Perrin, qui pointe aussi des problèmes de prostitution et d’alcoolisme dans cette population souvent victime de marchands de sommeil.

Le sujet exaspère manifestement Julien Sanchez, qui rappelle qu’il n’a pas le pouvoir « d’ériger des frontières » et renvoie ses opposants à leurs incohérences, eux qui, juge-t-il, soutiennent au plan national le laxisme en matière d’immigration. « Mon seul pouvoir, que j’exerce avec détermination, est de rappeler à certains qu’ici, on est en France. Et que nos règles, nos coutumes, nos traditions et notre mode de vie doivent être respectées », affirme l’élu RN, qui souligne que la police municipale intervient pour mettre fin à certains débordements.

En cinq ans, la politique ouvertement hostile à la population maghrébine du maire a profondément fracturé la ville. Lorsqu’on les interroge sur le bilan de Julien Sanchez, les commerçants maghrébins du centre historique égrènent avec amertume les pressions exercées pour les faire partir. 

« Ce sont des fachos, des racistes », tranche Karim*, qui tient un commerce rue Ledru-Rollin et raconte la bataille autour des arrêtés pour faire fermer les commerces à 23 heures pris juste avant le ramadan. Malgré la victoire au tribunal administratif, il se sent en sursis. « Le maire rachète les commerces aux Maghrébins pour pouvoir y installer des “Français de souche” », explique-t-il en détaillant les mille et une tracasseries administratives avancées par la mairie pour leur empoisonner la vie. « Sanchez a une politique de rachat des boutiques du centre-ville qui lui permet ensuite de louer à qui il veut. Par ce biais peut se créer un sacré clientélisme », confirme Luc Perrin.

Le maire ne cache pas son projet de rendre à Beaucaire « ses traditions ». Il s’enorgueillit par exemple – dans son dernier journal municipal – d’avoir mis fin au « grand souk » du marché, qui fait désormais place à des « commerçants traditionnels et provençaux »

« Sanchez rachète même des terres agricoles pour que des Maghrébins ne s’y installent pas », assure Alain Castellani, secrétaire de l’association Unis pour Beaucaire, fondée il y a deux ans et rassemblant nombre d’opposants à la politique du maire.

La décision concernant le « porc obligatoire » à la cantine a été douloureusement ressentie et laisse des traces dans la communauté musulmane de la ville. « S’attaquer aux enfants, il faut vraiment manquer d’humanité ! », s’insurge de son côté Ibrahim*, un commerçant de la rue Nationale qui, comme Karim, refuse de donner son nom par peur de possibles représailles. « Les parents ne demandent pas du hallal comme certains l’ont dit. Là, le résultat c’est que les enfants ne mangent pas le lundi », affirme-t-il en se désolant que ce choix plaise à beaucoup de Beaucairois.

Interrogé sur le malaise exprimé par beaucoup de musulmans de la ville, Julien Sanchez reste inflexible. Ils « ne peuvent pas se sentir discriminés, car le repas est justement le même pour tous », affirme-t-il. « Le porc n’est pas un aliment allergène et ce n’est pas à un prophète de décider ce qu’on peut ou non manger dans une cantine, ou alors nous sommes un État religieux ? », ajoute-t-il.

« On a compris qu’on avait fait une connerie il y a cinq ans, en ne s’unissant pas face à lui »

De manière générale, sous des abords civils, le jeune maire sait se montrer impitoyable avec son opposition. Dominique Pierre, élu de centre-droit au conseil municipal, peut en témoigner. Le président de l’association Unis pour Beaucaire a plusieurs fois subi de violentes saillies du maire en conseil municipal. « C’est vraiment docteur Jekyll et M. Hyde », rapporte-t-il, se souvenant d’une blague du maire sur le fait qu’heureusement on ne lui confiait pas l’éducation des enfants de la ville, étant donné que son cas relevait « de la psychiatrie ».

Nulle trace écrite de ces propos peu républicains, puisque les « verbatims » des conseils municipaux ont été supprimés. (…)

Beaucoup pointent du doigt le fonctionnement autocratique de Sanchez et un climat très lourd en mairie. Beaucoup de cadres de la mairie sont partis. « Il ne fait confiance à personne. Et surtout pas à son administration. Lui et son directeur de cabinet Yoann Gillet gèrent tout, tout seuls »,affirme Luc Perrin.

« Tout doit passer par lui, ce qui conduit à des retards parfois considérables sur certains dossiers. On se retrouve avec des voitures de la mairie qui ne sont plus assurées parce qu’il veut tout contrôler », ajoute-t-il.

Persuadé qu’il va être réélu haut la main, Julien Sanchez espère aussi ravir en mars prochain la présidence de la communauté de communes. Ce serait une première pour le RN, qui devrait présenter des listes dans toutes les communes alentour. Si dans certaines les maires sortants, très implantés, paraissent peu menacés, le score du RN dans chacune pourrait permettre au RN de faire basculer la communauté de communes.

Beaucaire le port

Le port de Beaucaire. © LC

Aujourd’hui, sur bien des sujets qui sont de la responsabilité de la communauté de communes, Sanchez avance souvent que Beaucaire serait moins bien traitée en raison de la couleur politique de son maire. « Il adore se placer en victime, mais la vérité c’est que Beaucaire absorbe une grande part des investissements de notre communauté de communes », précise pourtant le maire de Bellegarde, qui rapporte tous les investissements faits dans la ville.

À neuf mois des municipales, l’opposition à Sanchez commence à s’organiser. Une liste « Unis pour Beaucaire », issue de l’association du même nom et rassemblant largement l’opposition municipale – de LR aux écologistes –, est en train de se monter. Jamais encartée jusque-là, la directrice d’école Pascale Noailles-Duplissy a été choisie pour la conduire. « Ce n’est pas une candidature contre Sanchez mais pour Beaucaire », affirme-t-elle en précisant que le projet pour la ville va se co-construire au cours des prochains mois avec les citoyens qui le souhaitent.

« On a compris qu’on avait fait une connerie il y a cinq ans, en ne s’unissant pas face à lui au second tour. Aujourd’hui, bien sûr que sur certains sujets on a des visions différentes, mais on va avancer en cherchant des compromis », avance l’écologiste Luc Perrin, qui juge normal de travailler avec des élus LR comme des personnalités apartisanes.

En Marche! n’a pas encore décidé s’ils envoyaient un candidat ou non. Le PCF et La France insoumise, dans une ville où la gauche est très minoritaire, partiront chacun de leur côté. Dans une ville divisée comme jamais, et avec un RN bien décidé à ne pas lâcher cette vitrine dans le Gard, la campagne des municipales promet d’être rude.

 

Apparemment, le précédent aux élections municipales où l’opposition s’est présenté désuni, comme le regrette l’écologiste Luc Perrin, n’a pas servi de leçon. Et constater que PCF et FI partiront chacun de leur coté est effarant ! Que ces deux partis ne trouvent pas à s’entendre devant un tel enjeu insulte, selon moi, leurs électeurs, et peut-être nombre de leurs militants ou sympathisants. Je suis candide, il faut l’avouer. Ac

Image à la Une: Le maire RN de Beaucaire, Julien Sanchez.  Jeune, souriant, avenant, un gendre idéal (?), en apparences, l’homme rassure.   Comment pourrait-on imaginer que le personnage soit animé d’un racisme dévorant?