Autriche : l’extrême droite obtient trois ministères régaliens
Le FPÖ dirigera notamment la défense, l’intérieur et les affaires étrangères, selon l’accord de coalition présenté samedi.
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)

Qu’aurait-elle pu avoir de plus ? Alors qu’elle était arrivée en troisième position aux législatives du 15 octobre, l’extrême droite a obtenu de ses alliés conservateurs plusieurs ministères stratégiques, donnant à son entrée au gouvernement des airs de grand chelem. Son leader, Heinz-Christian Strache, ne s’est pas privé de le souligner lors d’une conférence de presse organisée à Vienne samedi 16 décembre, affirmant que l’exécutif était désormais à « 75 % FPÖ », puisque les conservateurs avaient de toute façon repris à leur compte la moitié de ses idées…
Le Parti autrichien de la liberté (FPÖ) va ainsi, pour la première fois de son histoire, pouvoir incarner les affaires étrangères et l’intérieur, mais aussi la santé et les affaires sociales ainsi que les transports. Il hérite également d’un secrétariat d’Etat au ministère des finances. Heinz-Christian Strache, proche des néonazis durant sa jeunesse, devient vice-chancelier. Il sera également chargé des sports et de la fonction publique.
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A 31 ans, Sebastian Kurz, qui était arrivé en tête aux élections, va devenir le plus jeune chef de gouvernement au monde. Ministre des affaires étrangères du gouvernement sortant, il conserve les questions européennes – sans doute pour rassurer Bruxelles et les partenaires de Vienne, alors que l’Autriche doit présider l’UE courant 2018.
Des enjeux de mémoire
Les ministres issus de son Parti populaire (ÖVP) s’occuperont des finances, de l’économie, de l’éducation, de la famille, de la justice et de l’agriculture. Une secrétaire d’Etat ÖVP a été également nommée au ministère de l’intérieur. Cette exigence a été, semble-t-il, dictée par le président écologiste, Alexander Van der Bellen, qui aurait souhaité ainsi devancer les critiques entourant Herbert Kickl, le nouveau « premier flic » de ce pays d’Europe centrale, en particulier sur les sensibles questions mémorielles.
Car le camp de concentration de Mauthausen, devenu un musée du souvenir des persécutions nazies, est alimenté en subventions publiques par le ministère de l’intérieur, qui nomme quatre de ses quinze administrateurs. Ce ministère est également chargé de l’entretien des lieux commémoratifs, des cimetières militaires ainsi que du dossier délicat de l’avenir que l’Autriche entend réserver à la maison natale d’Adolf Hitler, une bâtisse située dans la petite ville de Braunau et dont elle a pris possession il y a moins d’un an, pour éviter qu’elle ne devienne un lieu de pèlerinage néonazi.
Pas de référendum sur une sortie de l’UE
Côté programme, l’Autriche, qui était dotée depuis plus de dix ans d’un chancelier social-démocrate, confirme son virage à droite. Le pacte de coalition comporte 183 pages. Les conservateurs et l’extrême droite se sont mis d’accord pour réduire les allocations versées aux réfugiés, qui devront attendre dix ans avant de pouvoir réclamer la nationalité autrichienne.
Les germanophones de la région frontalière italienne du Tyrol du Sud se verront eux proposer la double nationalité. Cette politique rappelle celle mise en place par le Hongrois Viktor Orban concernant les citoyens magyarophones présents dans les pays environnants.
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Le nouveau gouvernement entend par ailleurs créer des classes séparées pour les enfants issus de l’immigration dont le niveau d’allemand aura été jugé insuffisant. Il souhaite aussi un contrôle renforcé des crèches dites de « confession musulmane », même si le flou le plus complet entoure cette notion controversée.
Pour assurer la « sécurité » des Autrichiens, le nombre des policiers va augmenter et les communications sur des messageries comme WhatsApp devront pouvoir être lues ou écoutées, ce qui s’apparente à ce stade à un vœu pieux.
Les droits d’inscription à l’université vont être rétablis. Est également prévue la mise en place de la démocratie directe sur le « modèle suisse ». Si 14 % du corps électoral le réclame, un référendum sur un sujet précis devra être organisé, même si la question d’une sortie de l’Union européenne a été explicitement écartée par les conservateurs. Toutefois, une majorité des deux tiers est nécessaire au Parlement pour mettre une telle réforme à son ordre du jour. Or la droite et l’extrême droite réunies n’atteignent pas ce seuil important.
M. Strache promet également « plus d’objectivité et d’indépendance » sur les antennes de la radio et de la télévision publiques. Enfin, il a obtenu que les Autrichiens, qui comptent parmi les plus gros fumeurs du continent, puissent toujours continuer à allumer leur cigarette dans les restaurants, car il en va selon lui de leur « liberté ». Prévue par une loi de 2015, l’interdiction devait initialement entrer en vigueur en mai 2018.
Sebastian Kurz a précisé que M. Van der Bellen avait confirmé les nominations. Le prochain gouvernement autrichien de coalition devrait donc prêter serment au début de la semaine du 18 décembre.
Enfin, sur le plan du symbole, la conférence de presse avait été organisée sur la colline de Kahlenberg, en bordure de Vienne. Les journalistes présents n’ont pas manqué de noter que ces lieux sont ceux d’où débuta le retrait des forces ottomanes en 1683. Un hasard, selon Sebastian Kurz, qui avait axé sa campagne sur sa volonté de limiter l’immigration.