Aliot à Perpignan, mémoire sélective…

A Perpignan, Louis Aliot cultive une autre mémoire de l’Algérie

Guerre d’Algérie (1954-1962), un conflit historique : dossier
Le maire RN profite de la date anniversaire du cessez-le-feu en Algérie pour ouvrir un «lieu de recueillement» temporaire à la mémoire des harkis et des pieds-noirs.
louis aliot à Pamiers
Louis Aliot à Pamiers (sources: archives La Dépêche du Midi -Ariège)
par Sarah Finger

publié le 19 mars 2021 à 7h00

Elu lors des dernières municipales, Louis Aliot, maire (RN) de Perpignan, annonce l’ouverture ce vendredi 19 mars, date de ce qu’il nomme le «pseudo-cessez-le-feu de 1962», une exposition temporaire présentée comme un «lieu de mémoire et de recueillement aux victimes oubliées de la guerre d’Algérie». La quarantaine de photos et documents qui seront présentés témoigne, selon lui, «des tortures et massacres généralisés dont furent victimes environ 100 000 harkis et entre 3 000 et 5 000 pieds-noirs de la part du FLN». Installée dans une salle municipale, cette exposition doit durer deux jours, «dans le strict respect des règles sanitaires». Afin de ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes, son accès est interdit aux moins de 16 ans. «Nous avions prévu d’ouvrir ce lieu une seule journée, explique Louis Aliot à Libération. Mais à la demande d¹associations de rapatriés et d’anciens combattants, et dans la mesure où nous attendons quelques centaines de personnes, ce lieu restera également ouvert samedi 20 mars.»

Louis Aliot, qui se présente comme fils et petit-fils de pied-noir et maire d’une ville «imprégnée de l’apport des rapatriés et harkis», profite de l’occasion pour adresser une lettre ouverte à Benjamin Stora. Faisant suite à une mission que lui avait confiée Emmanuel Macron, l’historien a en effet remis le 20 janvier un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Un travail qui, selon Louis Aliot, «occulte sciemment des faits innombrables».

«Indigne»

Suite à l’annonce de l’ouverture ce lieu de mémoire temporaire, le Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée a dénoncé dans un communiqué le «négationnisme» de Louis Aliot : «Ne pas reconnaître que le 19 mars est le symbole de la fin de la boucherie que fut la guerre d’Algérie nous paraît particulièrement indigne», écrit ce collectif qui réunit une quinzaine de partis et mouvements, dont l’association des pieds-noirs progressistes (ANPNPA). «Louis Aliot en rajoute par rapport à ses prédécesseurs. Sa mise en scène pour ce 19 mars n’a rien d¹étonnant car sa famille politique n’a jamais accepté la victoire du peuple algérien pour son indépendance.» Ce collectif en profite pour réaffirmer son combat contre les symboles érigés à Perpignan «par tous les nostalgiques de l’Algérie française» : une stèle à la mémoire de l’OAS dans le cimetière municipal, un Centre de documentation des Français d’Algérie, inauguré en janvier 2012 par Jean-Marc Pujol (UMP), prédécesseur de Louis Aliot à la tête de la ville, et un «Mur des disparus» dédié aux victimes du FLN, inauguré en novembre 2007 par Jean-Paul Alduy, qui fut maire (UMP) de Perpignan de 1993 à 2009.

A Perpignan, Louis Aliot veut «rééquilibrer les mémoires» de la guerre d’Algérie

 PAR 

Le maire Louis Aliot a organisé ce 19 mars une exposition rappelant les exactions du FLN sur les pieds-noirs et harkis. Conscient qu’il doit élargir sa base électorale, le RN a infléchi son discours sur l’Algérie française ces dernières années.

Bien avant l’ouverture des portes, un petit groupe s’est formé devant la salle des libertés de Perpignan. Ce 19 mars, « date anniversaire du pseudo-cessez-le-feu de 1962 », comme l’affirme la mairie, ils sont nombreux à vouloir visiter l’exposition proposée par le nouveau maire RN Louis Aliot en hommage « aux victimes oubliées de la guerre d’Algérie, harkis et pieds-noirs assassinés par le FLN ».

Louis Aliot fait la visite, présentant une trentaine de panneaux qui montrent, pour l’essentiel, des exactions commises par le FLN : têtes coupées, membres mutilés, enfants assassinés. Les images sont brutales et la salle a été interdite d’accès au moins de seize ans. Des extraits d’articles du Daily Telegraph, ou du Washington Post, qui s’émeuvent en 1957 des massacres d’Européens perpétrés par « les rebelles algériens », sont aussi exposés.

Le FN/RN, suivant en cela les principales associations de rapatriés d’Algérie et de harkis, s’est toujours opposé à commémorer le 19 mars, date choisie par François Hollande pour rendre hommage aux victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie « et des opérations au Maroc et en Tunisie ».

Pour ces associations, cette date marque surtout le début du calvaire des pieds-noirs et des harkis abandonnés par l’État français au FLN. « C’est bien après le 19 mars et après l’indépendance que les exactions envers les Européens d’Algérie se sont multipliées en violation totale des accords d’Évian », affirme un panneau qui précise le nombre de personnes portées disparues.

Le maire RN Louis Aliot lors de l'inauguration de l'exposition en mémoire « aux victimes oubliées de la guerre d’Algérie, harkis et pieds-noirs assassinés par le FLN », le 19 mars 2021 à Perpignan.. © Jeanne Mercier / Hans Lucas via AFPLe maire RN Louis Aliot lors de l’inauguration de l’exposition en mémoire « aux victimes oubliées de la guerre d’Algérie, harkis et pieds-noirs assassinés par le FLN », le 19 mars 2021 à Perpignan.. © Jeanne Mercier / Hans Lucas via AFP

Après la remise du rapport Stora « sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » à Emmanuel Macron, le 20 janvier dernier, Louis Aliot, lui-même fils et petit-fils de pieds-noirs, avait adressé un courrier à l’historien l’invitant à visiter l’exposition où seraient montrés des documents « rappelant, dans toute leur cruauté, ce que vous-même, et nombre d’historiens, vous échinez à dissimuler : les tortures et massacres généralisés dont furent victimes, en Algérie, des dizaines de milliers de nos compatriotes, en particulier musulmans, femmes et enfants compris, de la part du FLN – aujourd’hui encore au pouvoir dans ce pays, où il maintient sous sa coupe son peuple et sa jeunesse ».

Avec le poids que lui confère le fait d’être désormais élu d’une ville de près de 120 000 habitants, Louis Aliot entend bien perpétuer cette mémoire vive, longtemps structurante pour le Front national devenu le Rassemblement national, des nostalgiques de l’Algérie française.

« Le sens de cette exposition, c’est de proposer une forme de rééquilibrage des mémoires », explique-t-il à Mediapart. Il n’a, sans surprise, guère goûté le rapport de Benjamin Stora, « un rapport qui ne pouvait être que militant », indique-t-il en rappelant « le passé trotskyste » de l’historien et sa constante hostilité à la présence française en Algérie. « Quand il propose la panthéonisation de Mme Halimi, il prend le parti des ennemis de la France », assure-t-il.

Louis Aliot fait visiter son exposition sur « les mémoires oubliées ». © LDLouis Aliot fait visiter son exposition sur « les mémoires oubliées ». © LD

Au RN, la guerre d’Algérie reste évidemment un événement matriciel. La défense de l’Algérie française a été au cœur de l’engagement de Jean-Marie Le Pen qui a activement participé à la guerre d’Algérie, reconnaissant y avoir pratiqué la torture avant de se dédire. Avant de créer le FN, il fonda d’ailleurs en 1960 le Front national pour l’Algérie française, rapidement dissous. Le FN fit aussi la part belle aux anciens de l’OAS et aux associations de pieds-noirs comme de harkis capitalisant sur les silences et les non-dits français.

« Le FN s’est longtemps adossé au déni de la guerre d’Algérie. C’est dans ce retard de lucidité qu’ils se sont engouffrés », explique Benjamin Stora qui souligne combien les pouvoirs publics ont été indulgents envers les militants de l’OAS. « Il faut rappeler qu’il y a eu quatre lois d’amnistie pour les militants de l’Algérie française et de l’OAS, ce qui les a évidemment servis. »

Ces dernières années, le RN a néanmoins fait évoluer son discours comme le note encore Benjamin Stora : « Le RN qui a l’impression de s’approcher du pouvoir, ne peut s’enfermer dans cette clientèle. Il veut parler à tout le monde, y compris aux musulmans de France. »

Moins versé dans la glorification de l’Algérie française, un discours qui ne parle plus qu’à une petite frange de son électorat, il préfère s’en tenir à la défense des « mémoires oubliées ». Marine Le Pen qui rend hommage à de Gaulle sur l’île de Sein en juin dernier sait à quel point elle brise un tabou dans sa famille politique où l’homme des accords d’Évian a longtemps été une figure honnie.

« Elle cherche à élargir sa base électorale, et à conquérir notamment les voix de LR en déshérence. Mais le RN continue de faire des appels du pied aux rapatriés », analyse l’historienne Emmanuelle Comtat, spécialiste des mémoires coloniales algériennes.

Deux visiteuses de l'exposition organisée par Louis Aliot. © LDDeux visiteuses de l’exposition organisée par Louis Aliot. © LD

Si Marine Le Pen n’a d’ailleurs pas réagi au rapport Stora, elle s’est en revanche insurgée contre la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’assassinat d’Ali Boumendjel, l’avocat et dirigeant nationaliste algérien. « Alors que le communautarisme et l’islamisme progressent et se nourrissent de nos faiblesses, Macron continue d’envoyer des signaux désastreux de repentance, de division et de haine de soi… Il faut vite renouer, au sommet de l’État, avec la fierté d’être français ! »

Pour la présidente du RN, il reste vital de défendre cet espace politique – le refus de toute repentance, la peur du terrorisme islamiste auquel le FLN est constamment assimilé – face à la droite. « En organisant cette exposition, Louis Aliot se situe dans une lutte entre LR et le RN où chacun compte ses voix », affirme l’historienne Emmanuelle Comtat.

Louis Aliot admet que le discours du RN sur l’Algérie française ne peut plus tout à fait être le même qu’il y a quarante ans.

« On s’éloigne de ces dates-là et les nouvelles générations n’ont plus la même vision », reconnaît Louis Aliot pour qui : « On ne peut pas juger l’histoire coloniale avec nos yeux d’aujourd’hui. Il faut prendre acte de l’Histoire telle qu’elle est et il faut rappeler que la colonisation a été défendue par Jules Ferry… » En clair par la gauche qui a, jusqu’à François Mitterrand compris, une lourde responsabilité dans cette histoire, tient à souligner l’élu frontiste. « Qui était au gouvernement au moment de l’assassinat de Boumendjel ? Guy Mollet et François Mitterrand était ministre de la justice… C’était le gouvernement qui donnait les ordres à son armée », lance-t-il.

À l’entendre, la fin des guerres mémorielles n’est pas pour demain. « Tant qu’il y aura des représentants politiques qui font de la repentance en permanence, on n’y arrivera pas. Il faut du respect des deux côtés de la Méditerranée », avance-t-il, insistant sur le fait que le gouvernement algérien ne joue pas le jeu de l’ouverture des archives.

« Je discute d’ailleurs avec les Algériens qui vivent ici. Ils sont très critiques avec le pouvoir algérien qui a entraîné le pays dans le déclin depuis 1962. D’ailleurs, s’il y avait un développement de leur pays, ils seraient prêts à repartir là-bas », insiste-t-il.

Une vision du « déclin » post-indépendance que partagent, en termes moins diplomatiques, les visiteurs rencontrés ce jour-là.

Rayan, 28 ans, petit-fils de harki, est venu avec sa mère voir quel a été « le sort réservé aux harkis après la guerre. Je trouve dommage qu’on ne se souvienne pas des exactions commises contre eux ». Pour lui, « le rapport Stora prône la repentance d’un seul côté mais de l’autre côté de la Méditerranée, on doit aussi reconnaître les massacres ». « Beaucoup de choses ont été apportées à l’Algérie, quand on voit ce qu’était ce pays en 1830 », poursuit le jeune homme qui arbore un pin’s bleu-blanc-rouge sur son pull.

Naïma, sa mère, se souvient avec gratitude avoir pu évoquer ses souvenirs familiaux, en marge d’un meeting, avec Marine Le Pen. Ce travail de reconnaissance des victimes oubliées, « c’est dommage que les autres partis ne le fassent pas », regrette-t-elle, comme elle déplore qu’aujourd’hui, « on n’incite pas les étrangers à aimer ce pays et on ne protège pas la culture française ».

Évelyne, 78 ans, et Mounette, 81 ans, qui ont été parmi les premières à visiter l’exposition, se présentent comme « pieds-noirs ». « On les connaît bien sûr ces photos. On en a aussi des tas d’autres à la maison vous savez », assure Évelyne. Pour elle non plus le rapport Stora ne suffira pas à apaiser la guerre des mémoires et elle le dit en termes crus : « Stora est pour les Arabes. Son rapport n’est pas exact, il met ça à chaque fois dans le sens des Arabes. »

Mannequin accueillant les visiteurs à l'exposition organisée par Louis Aliot. © LDMannequin accueillant les visiteurs à l’exposition organisée par Louis Aliot. © LD

« On se demande pourquoi avoir fait tout ça [la guerre d’indépendance – ndlr], si c’est pour après venir nous envahir », s’interroge Évelyne qui enchaîne sans transition : « Il y a beaucoup d’attentats qui se font ici qui sont à l’image de ce qu’ils ont fait là-bas vous savez. » « Quand il y a un attentat au couteau ici, faut pas chercher, nous on sait qui est derrière », abonde Mounette d’un air entendu.

Les deux femmes ont bien conscience que ce discours ne peut pas être tenu devant n’importe qui et préfèrent chuchoter. « On n’est pas en odeur de sainteté ici. On est toujours mal compris ! », se désole Mounette. « Quand mes petits-enfants me demandent pourquoi je suis FN, je leur dis que quand nous sommes arrivés, le seul parti qui nous a acceptés, c’est le FN ! »

La visite de Marine Le Pen à l’île de Sein pour rendre hommage à de Gaulle ne lui « pas fait plaisir, c’est sûr ». « De Gaulle pour moi, c’est la pourriture. Marine Le Pen, c’est sa façon de faire… Mais c’est sûr que cela ne nous a pas plu. Louis Aliot, il connaît mieux, elle, elle a moins été touchée », estime-t-elle.

« Quand de Gaulle est mort, on a bu le champagne dans ma famille », poursuit Mounette. « Moi, l’anisette ! », répond Évelyne en riant. Alors qu’elles se sont déjà éloignées, elles reviennent vers nous pour nous préciser que leurs familles étaient activement engagées dans l’OAS. « Nous nous sommes rebellés contre les Arabes. Nous aussi, on a fait des choses », reconnaît Mounette qui n’en dira pas plus.

Marie-Jeanne et Gérard sont eux venus de Lyon exprès pour l’exposition de Louis Aliot, à qui ils tenaient à dire « bravo ». « On est nés tous les deux en Algérie française en 1961. On est la dernière couvée d’un peuple en train de mourir », assène Gérard.

Lui aussi fait un lien spontanément entre les images des corps meurtris qui s’étalent et la récente vague d’attentats islamistes qu’a connue la France. « Ces images, ça me rappelle Samuel Paty. Rien n’a changé ! Le 19 mars 1962, la France a perdu son honneur, donc tout est possible désormais », se lamente-t-il.

Il n’a lu que les cent premières pages du rapport Stora. « Après j’en ai eu marre… Il parle du massacre du 5 juillet [1962] à Oran [quelques centaines d’Européens – les chiffres difficiles à établir font encore débat – ont été assassinés par l’ALN, l’armée française ayant reçu l’ordre de ne pas intervenir – ndlr], mais de façon pudique avec beaucoup de réserves. »

Pour lui, l’attitude de « repentance de Macron » s’explique par une chose : « La France doit avoir des choses à vendre à l’Algérie, ou alors c’est par électoralisme vis-à-vis des Algériens qui sont venus vivre en France. »

« Moi, je suis pour un vrai inventaire de la colonisation française : avant/après et là on discute », poursuit-il. Un inventaire « avec des chiffres. Des graphiques sur l’économie. Qui a sorti le pétrole ? Qui a sorti le gaz ? On leur a laissé un pays clés en main. Le seul qui fait ça, c’est Zemmour. Il arrive à en parler de façon mathématicienne. Aujourd’hui, tout le monde veut parler avec lui d’ailleurs », se réjouit-il.

Le couple assure entretenir la mémoire de cette histoire auprès de leurs enfants. « Ils savent ce qu’ils doivent savoir. Je leur dis : dans dix ans la France, ce sera une République islamique car de Gaulle a traité avec les terroristes. » Marie-Jeanne craint de ne pas être entendue : « Le problème c’est qu’on nous met de côté. Dès qu’on ouvre la bouche, on nous traite de fachos. »

Ce jour-là, l’ancien maire LR, Jean-Marc Pujol, lui aussi pied-noir, fait une apparition remarquée à l’exposition organisée par son successeur. Il rappelle combien il a lui aussi œuvré à la mémoire des rapatriés d’Algérie. « Je suis à l’origine du centre de documentation de l’Algérie française de Perpignan [un centre créé en 2012 et dont l’administration a été confiée au cercle algérianiste] du Mur des disparus [inauguré en 2007 à la mémoire des disparus sans sépulture pendant la guerre]. »

Lui non plus n’a pas de mots assez durs contre le rapport Stora. « On peut être choqué que l’on confie ce travail à quelqu’un qui a toujours milité contre la présence française en Algérie, qui a milité à l’extrême gauche. C’est comme si l’on demandait à un militaire du IIIe Reich de faire un rapport sur l’extermination des juifs en Pologne », lâche-t-il, assez content de sa formule qui cherche à faire passer Louis Aliot pour un modéré.