AfD parti inséré dans paysage politique

AFD Election Campaign Event in Goerlitz, Saxony, Germany on September 23, 2021

Elections allemandes : l’extrême droite fait désormais campagne sur les « libertés » plutôt que sur l’immigration

Par Thomas Wieder, Le Monde

Publié le 23 septembre 2021 à 15h02 – Mis à jour le 23 septembre 2021 à 19h49

Uwe Rentsch en est convaincu : « Dimanche, vous verrez, il y aura une grosse surprise ! » Venu assister au meeting organisé par Alternative pour l’Allemagne (AfD) à Görlitz (Saxe), mercredi 22 septembre, cet ouvrier d’une cinquantaine d’années ne croit pas les sondages qui créditent le parti d’extrême droite de 11 % à 13 % des voix. « On manipule l’opinion. L’AfD va faire beaucoup mieux. Vous voulez que je vous dise pourquoi ? »

En une petite dizaine de minutes, cet ancien électeur du Parti social-démocrate (SPD) explique pourquoi, selon lui, l’AfD a « toutes les chances » de faire un score encore meilleur qu’en 2017 (12,6 %). D’abord, l’immigration. « Ça ne fait plus la “une” des journaux, comme il y a quatre ans, parce qu’il y en a peut-être moins qui arrivent. Mais maintenant qu’on a du recul, on voit dans quoi elle nous a mis, Merkel, avec son ouverture des frontières », dit-il, en décrivant une Allemagne « qui n’est plus la même », un pays « où les jeunes femmes n’osent plus sortir de peur de se faire violer par types qui sont venus profiter du système », où « il faut maintenant un Noir dans chaque publicité à la télé parce que juste un Blanc ça ne va pas », et « où on n’a plus le droit d’appeler un gâteau “tête de nègre” parce que c’est soi-disant raciste ».

Mais ce n’est pas tout : si l’AfD a toutes ses chances, pense-t-il, c’est aussi parce que « c’est le seul parti qui ne se laisse pas intimider par les Verts et l’hystérie sur le climat », le seul aussi qui « défend les libertés qu’on cherche à nous enlever au nom de la lutte contre le virus ».

Liberté. Freiheit. Le mot est central dans la campagne que mène aujourd’hui l’AfD. Sur la scène du meeting de Görlitz, les deux leaders du parti, Alice Weidel et Tino Chrupalla, assurent que lui seul est le seul garant de la « liberté » des Allemands. De nouvelles restrictions ? « Avec nous, c’est promis : il n’y aura plus jamais de confinement ! » La vaccination ? « Que ceux qui font pression sur les familles soient prévenus : nous ne les laisserons pas toucher à nos enfants ! »

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Le message est clair : l’AfD se présente comme le parti de « toutes les libertés », celle d’entreprendre face à « l’Etat bureaucratique », celle de « penser autrement » face à « l’idéologie du genre », celle de « vivre normalement », en somme. « Après ce qu’il s’est passé ces deux dernières années, les gens veulent retourner à une vie normale. Ouvrir leur magasin ou leur restaurant sans avoir peur d’être obligé de fermer une fois de plus du jour au lendemain. Voilà ce que nous leur disons, à tous ceux qui à Berlin veulent toujours tout réglementer : laissez-nous tranquilles ! », assène Tino Chrupalla sur la place de Görlitz.

La candidate des Verts huée

Liberté, tranquillité, normalité. Ces mots n’étaient pas ceux de l’AfD il y a quatre ans. A l’époque, le parti d’extrême droite parlait exclusivement du « chaos » provoqué par l’arrivée des réfugiés, de « l’islamisation » qui menaçait l’Allemagne, de la « perte de contrôle » consécutive à « l’ouverture des frontières ». Cette année, les femmes en burqa et les barbus aux mines patibulaires maladroitement photoshopés ont disparu de ses affiches. Celles-ci, beaucoup plus « lisses », défendent « la culture allemande », dénoncent ceux qui veulent imposer « une limite de vitesse » sur l’autoroute, demandent si les Allemandes seront obligées un jour de s’appeler toutes « Greta » (Thunberg, jeune militante écologiste suédoise) et plaident pour une Allemagne qui « se sauve d’abord ».

Allemange militant AfD-goerlitz4

 Fabian Küble, président de la Junge Alternative (mouvement de jeunesse de l’AfD) de la Saxe, à Görlitz, en Allemagne, le 23 septembre 2021. « La normalité, c’est quoi ?, demande-t-il. C’est parler simplement allemand et pas la langue du genre, c’est avoir avec une famille, gagner honnêtement sa vie et ne pas avoir peur quand on sort de chez soi. C’est vivre dans un pays où l’argent de l’Etat est utilisé là où il y a des vrais besoins et pas jeté par les fenêtres n’importe comment. » INGMAR BJÖRN NOLTING POUR « LE MONDE »

Les meetings, eux aussi, se sont un peu assagis. Les « Merkel muss weg ! » (Merkel doit dégager) que les supporters scandaient, en 2017, ont disparu. Et pour cause : Merkel va partir. Il n’y a donc plus besoin de le hurler. Le départ de la chancelière, souhaité par le parti d’extrême droite, complique d’ailleurs un peu les affaires de celui-ci : privée de sa cible principale, l’AfD, cela se sent, est un peu perdue. A Görlitz, Alice Weidel et Tino Chrupalla n’ont même pas cité les noms d’Olaf Scholz (SPD) et d’Armin Laschet (CDU-CSU). Seul celui de la Verte Annalena Baerbock a été hué, mais rapidement, presque mécaniquement, pour la forme, par les quelque trois cents personnes venues les écouter sur la place de Görlitz, mercredi après-midi.

Electorat divisé sur le Covid

A quelques mètres de la scène, Fabian Küble, président de la Junge Alternative, l’organisation de jeunesse de l’AfD, dans le Land de Saxe, reconnaît que l’ambiance n’est pas aussi électrique cette année dans les meetings. « La mobilisation n’est pas la même, sans doute à cause de l’épidémie », dit-il. Et puis c’est vrai, reconnaît-il, le départ d’Angela Merkel et la place moins importante du thème de l’immigration dans l’actualité rendent les choses un peu moins simples pour l’AfD. Alors certes, il y a le Covid-19. Mais là aussi, c’est un sujet piégé : « Notre électorat est très divisé. Il y a bien sûr ceux qui sont anti-vaccins, très mobilisés contre les atteintes aux libertés et tout ça. Mais il y a aussi des gens qui sont inquiets, et qui veulent se faire vacciner, même s’ils ne sont pas pour la vaccination obligatoire. On doit faire attention avec ces sujets », convient le jeune homme, étudiant en science politique à Dresde.

AFD Election Campaign Event in Goerlitz, Saxony, Germany on September 23, 2021

A Goerlitz, le 23 septembre 2021. Le panneau marque la frontière entre l’Allemagne et la Pologne. INGMAR BJÖRN NOLTING POUR « LE MONDE »

Malgré cela, un bon score est possible, estime-t-il. Parce qu’il y a beaucoup de frustrations dans le pays. Mais aussi à cause d’un « climat international » qui inquiète. De façon assez significative, la question du désordre mondial occupe aujourd’hui une place assez importante dans le discours de l’AfD, qui dénonce la soumission de l’Allemagne à « l’ordre américain », la fin de toutes les interventions militaires à l’étranger et l’émancipation vis-à-vis de la Banque centrale européenne. « Vous verrez, la politique monétaire actuelle va nous causer une inflation à 20 %, peut-être 30 % dans les prochaines semaines », assure Tino Chrupalla sur la scène. Dans un pays où le mot inflation rappelle des souvenirs douloureux, ceux des années 1920 et des charrettes remplies de marks dévalués, le mot fait son effet.

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« Nous voulons juste vivre normalement », résume Fabian Küble, qui veut croire que cette promotion de la « normalité » aura aussi pour vertu de dédiaboliser le parti d’extrême droite, dont l’aile radicale a été mise sous surveillance par l’Office fédéral de protection de la Constitution, en 2020, ce qui a contribué, reconnaît-il, à déstabiliser une partie de l’électorat. Plus prudent que d’autres, le jeune homme, lui, ne croit pas à un miracle dimanche. « Autour de 13 %, ce serait déjà très bien », dit-il. Ce serait en tout cas la preuve que, même privé de son thème fétiche, l’immigration, le parti d’extrême droite est désormais solidement implanté dans le paysage politique allemand. Autrement dit que, sur ce plan-là, il est bien devenu « normal ».

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Une manifestation contre l’AfD, à cent mètres d’un meeting de campagne de l’extrême droite à Görlitz, le 23 septembre 2021. La banderole dit : « Le nationalisme n’est pas une alternative ». A droite, Mila Zwiebel, 20 ans : « C’est effrayant. Il n’y a pas que les vieux qui votent pour l’AfD. A l’école, j’ai l’impression que beaucoup de mes camarades de classe sont de droite [radicale]. Les gens semblent avoir un besoin auquel l’AfD répond. C’est une peur, la peur de l’étranger, la peur de ne pas être vu et de ne pas être entendu. L’AfD attise les craintes et y répond par des slogans. » INGMAR BJÖRN NOLTING POUR « LE MONDE »