A Hayange, la colère monte contre le FN

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Hayange est comme suspendu entre chien et loup. Fabien Engelmann, le maire FN, a été condamné à un an d’inéligibilité en décembre par le tribunal administratif de Strasbourg, pour des irrégularités dans ses comptes de campagne. Des «manquements d’une particulière gravité»,selon le juge. Le frontiste avait donc préparé son départ et désigné ses favoris pour lui succéder dans le fauteuil de maire. Lui, serait resté en coulisses, embauché comme directeur de cabinet ou consultant. Tout était organisé. Mais l’audience en appel du 27 mai, devant le Conseil d’Etat, a tout chamboulé. Dans ses conclusions, le rapporteur public a proposé de revenir sur «l’excessive sévérité» du premier jugement. Le délibéré est attendu d’un jour à l’autre. L’avis du rapporteur étant le plus souvent suivi, le maire pourrait rester en place.

Ni une ni deux, les huiles locales du FN ont déboulé le 29 mai sur le parvis de la mairie pour une petite sauterie organisée à la dernière minute. L’occasion pour Engelmann, qui apparaissait jusque-là en disgrâce au sein du FN, de s’afficher entouré. Quoique, à part la poignée d’irréductibles frontistes qui composent son fan-club, il n’y avait pas grand monde malgré la présence de Florian Philippot, une première. Philippot, qui a échoué aux municipales dans la ville voisine de Forbach quand Engelmann créait la surprise à Hayange. Les deux hommes ne s’apprécient guère, dit-on. Mais ça, c’était avant. Le numéro 2 du FN est désormais tête de liste aux régionales en Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes. Le prétexte de ces retrouvailles ? Une plaque commémorant les 10 ans du «non» au référendum sur la Constitution européenne. Elle devrait être apposée place de la Résistance et de la Déportation, dans cette commune où un tiers de la population profite de l’ouverture des frontières européennes pour travailler au Luxembourg. Engelmann discourt sur son projet de référendum – prévu à l’automne et décalé à janvier 2016 – sur, au choix, la réfection du centre-ville, la rénovation de la salle du Molitor ou une baisse d’impôts. «Aucune autre ville dans le secteur n’ose demander votre avis», lance-t-il. Et Philippot de renchérir : Hayange, «ville attachée à l’expression des citoyens», où «le non avait atteint 66 % [contre 55 % au niveau national, ndlr]», est, selon lui, une ville «en avance», une «ville d’espérance». Après une petite Marseillaise, hop, tous à l’étage, au buffet. Du vite plié.

Au moins, il n’y avait pas de banderole détonante comme lors de la cérémonie du 8-Mai, où l’association messine Couleurs gaies avait déployé son slogan : «Florian, Fabien, Steeve, toutes les folles ne sont pas au Front», qui sera le mot d’ordre de la Marche des fiertés du 13 juin. «Contrairement à ce qu’il veut faire croire, le FN n’est pas un parti gay-friendly, que les homosexuels et le grand public ne se méprennent pas», prévient Matthieu Gatipon-Bachette, président de cette organisation décrite par Engelmann comme un repaire d’«anarchistes violents et haineux subventionnés par de l’argent public». Pourtant, les deux hommes se connaissent, ils se sont fréquentés avant qu’Engelmann ne manifeste contre le mariage pour tous, se rapproche de Riposte laïque ou s’encarte au FN.

L’opposition a suivi de loin l’affaire de fraude qui a conduit Engelmann devant la justice, considérant qu’il s’agissait d’une «histoire de pieds nickelés». Au Bat du marché, leur QG, en face de la mairie, les membres de l’association de vigilance citoyenne, Hayange plus belle ma ville, raconte combien l’ambiance a changé. Selon leur porte-parole, Marc Olénine, «ce n’est plus une fin de règne, c’est une lente agonie. Au moins, cela nous laisse le temps de préparer la reconstruction, et il va y avoir du boulot. L’électorat d’Engelmann ne gonfle pas, mais le noyau dur se radicalise. Nous, nous constituons une équipe qui transcende les partis, se rassemble autour de l’éthique, des compétences… Et c’est en train de prendre». Un client interrompt discrètement : «Méfiez-vous, radio Moscou est branchée.»

«Les gens se cachent»

A Hayange, on se défoule sur Internet. Jean, pompier retraité, a repris l’administration de plusieurs pages Facebook auparavant tenues par une étudiante et «fait le ménage» : «Ils reviennent avec des faux profils, m’attaquent partout, je ne peux plus parler ni écrire ni assister au conseil municipal. Au dernier, les policiers municipaux ont escorté sept personnes jusqu’au perron, dont un monsieur traîné par les jambes et les bras. Engelmann a annoncé la police nationale à la prochaine séance…» Appareil photo en main, Stéphane revient vers le café. «Un adjoint vient de me conseiller d’arrêter ma page Facebook, sinon je verrai de quel bois il se chauffe», raconte-t-il. Sa page, «Hayange poubelle ma ville», a seulement dix jours d’existence. Elle compile des photos d’ordures sur pelouses et trottoirs. Histoire de prouver que même l’argument choc du bilan d’Engelmann (les rues propres) n’est qu’une «légende». Stéphane n’est pas l’auteur de tous les clichés. «Les gens se cachent pour me les envoyer, ils ont peur que le FN apprenne qu’ils ont parlé. C’est catastrophique…» Jeté par Arcelor Mittal après vingt-deux ans d’intérim, Stéphane avoue avoir été «tenté cinq minutes par le FN» avant les élections. Aujourd’hui, injurié, humilié sur les réseaux sociaux, s’il ne veut «pas leur laisser le monopole de la parole», il avoue «raser les murs» et envisage de déménager : «J’ai ma famille à protéger», dit-il. Dernier commentaire en date : «Tu vas payer.» Jean et Stéphane signalent les contenus à Facebook, au gouvernement, au commissariat. Idem dans le camp d’en face.

Ce 29 mai, devant son expresso, Hugues Miller, délégué CGT, s’étouffe du spectacle : «Engelmann est en train de célébrer le rejet d’un projet de société libérale qui allait encore dégrader l’emploi en Europe, alors que lui-même précarise et casse les services de la ville !» L’Unsa a disparu du paysage. L’ex-délégué du personnel, Vito Cisternino, et sa femme, sont en arrêt maladie depuis novembre. Depuis une descente imprévue d’une équipe de la mairie pour vider manu militari les affaires personnelles du couple entreposées depuis des années dans le local attenant à leur logement de fonction. Disparus, les vieux outils hérités du père, le repose-pieds de la grand-mère, les pneus neige… «On nous a détruits, piétinés notre carrière, je prends des calmants, ma femme perd ses cheveux», dit l’homme de 60 ans. Pourtant, ils voyaient plutôt d’un bon œil l’arrivée du maire frontiste, un ancien employé communal, comme eux. Les choses se sont gâtées quand «Engelmann a voulu que je rentre au FN, il n’avait qu’une idée en tête : détruire la CGT [dont Engelmann a été exclu en 2011, ndlr]. Je n’ai pas voulu marcher dans la combine, alors il a fait pression sur les adhérents. Leurs primes et astreintes risquaient de sauter s’ils ne quittaient pas l’Unsa. Il ne veut qu’un seul syndicat, qu’il contrôle». A la CGT, Hugues Miller rapporte les mêmes agissements, «les camarades ont appris insidieusement que leurs attentes ne seraient pas satisfaites tant qu’ils seraient à la CGT». Puis, en avril, un adjoint au maire a fait irruption dans une réunion Unsa. Le délégué national, Claude Le Hen, présent ce jour-là, a déposé un témoignage au commissariat avant de repartir «choqué». «Je n’ai jamais vu ça», confie-t-il. Restent la CFDT et un syndicat indépendant qui serait en cours de création par une employée municipale encartée au FN.

Mais les murs de la mairie n’arrivent plus à contenir les grondements. Ils gagnent la crèche municipale, l’école, les Hayangeois se mobilisent pour Rachida, puéricultrice. Et elle, émue, dit «ne pas en revenir» de cet élan de solidarité. Après quatre ans de contrats précaires, d’abord en CDD puis en contrat aidé (CAE), elle pensait rester à la Maison des doudous, d’autant qu’il y a un poste vacant : une collègue en congé sans solde pour trois ans. Abonnée aux contrats précaires, elle n’a jamais ne serait-ce qu’envisager de demander sa titularisation. Et la voilà soudainement remerciée à la fin de son contrat, le 20 mai, à 55 ans. «Engelmann m’a dit qu’il voulait donner leur chance à d’autres filles d’Hayange, que je pouvais toucher le chômage», rapporte Rachida. Stupeur dans l’établissement. Le maire se justifie : priorité aux Hayangeois, et Rachida est de la commune mitoyenne de Knutange. Puis, il faut faire des économies, donc recruter une personne éligible à un CAE afin de bénéficier des subventions de l’Etat. Or, Rachida n’y a plus droit. Au revoir, au suivant.

Et c’est là que le bât blesse. La suivante. Une militante du FN jeunesse, connue pour être proche du maire. Recrutée sans passer d’entretien avec la directrice de la structure et, surtout, sur un contrat CDD de six mois, donc plein pot pour la commune. Les collègues s’émeuvent, les parents se mobilisent et créent le «Collectif hayangeois pour le bien-être des doudous». Vu l’ambiance, la jeune remplaçante n’est plus vraiment motivée. Pas de problème, Engelmann la recase dans une école. Il suffit de prendre le poste d’une autre précaire arrivée en fin de contrat aidé qui ne sera pas renouvelé, comme Rachida. Le dialogue avec la ville est inexistant, le collectif a d’ores et déjà prévu une manifestation le 13 juin, pour réclamer la réintégration de Rachida et la titularisation des précaires. «Engelmann est tout chagrin, on nous a fait savoir qu’il nous en voulait. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est comment il va nous le faire payer», soupirent les puéricultrices, plus lasses qu’inquiètes.

«Il souffle sur les braises»

C’est cette «absence de dialogue» qui a poussé Philippe Mousnier, le directeur adjoint des services, en charge de la communication, à quitter ses fonctions fin mai. Lequel avait pourtant été recruté pour remplacer toute une salve de cadres qui avaient déjà claqué la porte l’an dernier. «Engelmann s’immisce partout, dans les plannings des agents, et il ne tient pas à ce que ses adjoints fassent usage de leur délégation, relate Mousnier. Je lui avais fait remarquer qu’on ne gère pas une commune sur les réseaux sociaux. Il n’en fait qu’à sa tête, souffle sur les braises. Et il fait tourner la boutique avec une seule obsession : faire des économies.» Durant la campagne et les premiers mois de son mandat, Engelmann a répété à l’envi qu’il n’engagerait aucune action sans un audit financier préalable, tant la ville était endettée. L’audit a eu lieu mais le document de 200 pages «n’a jamais été rendu public dans son intégralité», reconnaît Mousnier. Il était dans le bureau du maire lorsque le document a été remis. «En fait, il n’y avait pas de cadavre dans les placards. On a eu beau retourner les chiffres dans tous les sens pour mettre en évidence une mauvaise gestion, on n’a rien trouvé…» Même dans la majorité toujours en place, l’exaspération gronde : «Y en a marre d’être obligé d’encaisser vis-à-vis d’une population mécontente des décisions prises à la va-vite et auxquelles on n’est pas associé… Y en a marre d’être le vilain petit canard des villes FN.»

Quant au maire, il continue de nous refuser toute interview, expliquant via son chargé de communication qu’il «ne souhaite pas répondre à une militante politique gauchiste».