Eric Zemmour condamné pour la quatrième fois
Dans son clip de déclaration de candidature, le candidat d’extrême droite a utilisé des extraits vidéo sans autorisation. Il a été reconnu coupable de contrefaçon de droit d’auteur par le tribunal de Paris.
Par Franck Johannès, Publié le 04 mars 2022
Zemmour clip de campagne condamné
Un extrait du clip de déclaration de candidature d’Eric Zemmour, publié le 30 novembre 2021. THOMAS SAMSON / AFP
Eric Zemmour a été de nouveau condamné, vendredi 4 mars, mais cette fois pour « contrefaçon de droit d’auteur », après la diffusion de son clip de candidature, le 30 novembre 2021, où il avait utilisé nombre d’extraits de films sans aucune sorte d’autorisation.
Le candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, son parti Reconquête ! et François Miramont, alors responsable de l’association Les Amis de Zemmour, se voient condamnés à verser 5 000 euros à chacune des onze parties civiles et 10 000 euros de frais de justice, soit un total de 165 000 euros. Ils disposent d’une semaine pour couper les séquences litigieuses, sous peine d’une astreinte de 1 500 euros par jour de retard – ce qui revient à supprimer la fameuse vidéo.
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« Il n’est plus temps de réformer la France, mais de la sauver. C’est pourquoi j’ai décidé de me présenter à l’élection présidentielle », avait déclaré l’ancien chroniqueur du Figaro dans une vidéo crépusculaire de dix minutes. Il lisait un texte, dans une sombre bibliothèque et devant un micro très Radio-Londres, entrecoupé d’images d’archives et de sa campagne, sur fond du 2e mouvement de la 7e Symphonie de Beethoven.
Mise en demeure
Nombre d’ayants droit avaient réagi. La société Gaumont s’était indignée de l’utilisation des images d’Un singe en hiver, dont Henri Verneuil était le réalisateur et le coscénariste, avec Michel Audiard et François Boyer. La société de production Europacorp, cotitulaire avec Gaumont des droits du film Jeanne d’Arc, de Luc Besson, avait protesté. Comme François Ozon, le réalisateur de Dans la maison, adapté de la pièce de théâtre de Juan Mayorga Ruano, Le Garçon du dernier rang, produit notamment par la Société nouvelle de distribution (SND), une société chargée de répartir les droits d’auteur.
Décryptage :
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Eric Zemmour candidat à la présidentielle dans un clip qui fait hurler les ayants droit des images
Alain Brunard s’était inquiété des emprunts à son documentaire-fiction Louis Pasteur, portrait d’un visionnaire, dont il est le coscénariste, avec Marie-Noëlle Himbert et Yann Le Gal. La vidéo empruntait enfin au Quai des brumes, de Marcel Carné, dont Jacques Prévert était scénariste : la veuve de Roland Lesaffre, la légataire universelle de Carné, et Eugénie Bachelot, héritière de son grand-père Jacques Prévert, s’en étaient indignées. Gaumont, Luc Besson, la SND et sept des héritiers avaient envoyé une mise en demeure à Eric Zemmour et son parti les 1er, 3 et 17 décembre 2021 pour supprimer les séquences – en vain.
« Atteinte au droit au respect de l’œuvre »
L’avocat du candidat, Me Olivier Pardo, soutenait qu’il ne s’agissait que d’un « droit de courte citation » parfaitement légal, et jugeait irrecevable la plupart des parties civiles, à qui il réclamait 20 000 euros au titre des dommages et intérêts, et 10 000 euros de frais de justice.
L’affaire a été plaidée le 27 janvier, et la 3e chambre civile du tribunal de Paris ne l’a pas suivi. « Les extraits utilisés, bien que suffisamment brefs puisqu’ils ne durent chacun que quelques secondes (…) ne peuvent toutefois être considérés comme justifiés par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de la vidéo litigieuse puisqu’ils ne sont présents qu’à titre de simples illustrations », estime le tribunal. « Les extraits litigieux ne visent donc nullement un but exclusif d’information immédiate en relation directe avec les œuvres dont ils sont issus. »
Lire la chronique de Michel Guerrin :
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Par ailleurs, « outre le fait que l’utilisation des extraits des films litigieux ne remplit pas les conditions de l’exception de courte citation telles que prévues au code de la propriété intellectuelle, force est de constater que ceux-ci n’apparaissent pas nécessaires au discours politique d’Eric Zemmour ». Enfin, « c’est à bon droit [que les plaignants] font valoir que les extraits ayant été utilisés pour accompagner le discours de candidature d’un homme politique, ce comportement porte atteinte au droit au respect de l’œuvre et en constitue une dénaturation (…) de leur finalité première ». Jacques Attali, qui avait lui aussi attaqué Eric Zemmour sur son droit à l’image dans le même clip, s’était désisté après une première audience, aux termes d’un accord confidentiel*.
Eric Zemmour, dans des registres différents, a déjà été condamné trois fois en justice. Le 18 février 2011 pour « provocation à la discrimination raciale », après avoir déclaré que « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça », sur le plateau de Thierry Ardisson, sur Canal+, en mars 2010. Puis, le 3 mai 2018, par la cour d’appel de Paris pour « provocation à la haine religieuse », après avoir déclaré en 2016 que tous les musulmans considéraient les djihadistes « comme de bons musulmans ». Le 17 janvier enfin pour « provocation à la haine et à la violence » et « injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur origine » après ses propos en novembre 2020 sur les mineurs isolés « voleurs », « violeurs » et « assassins ».
Franck Johannès
* Il aurait été heureux que la nature de cet accord confidentiel entre Attali et Zemmour nous soit révélé. Le plumitif de la République, grand économiste, expert multi-cartes, intellectuel du centre gauche à droite, écrivain qui a trempé sa plume dans toutes les encres, de Mitterrand à Sarkozy auprès duquel il a introduit Macron, l’initiant aux rites des couloirs élyséens, ira-t-il la plonger dans les eaux fortes de Zemmour en vue d’un prochain livre à paraître après les présidentielles, ou est-ce au cas où ?… Ou les deux alternatives peuvent être retenues. Attali est un chef d’orchestre. Jouant de ses relations, il a obtenu la direction de l’orchestre universitaire de Grenoble. Plus récemment, il a conduit l’orchestre de la Southbank Sinfonia de Londres. Son ego ne souffrirait pas d’être associé à Zemmour si celui-ci dans des temps futurs viendrait à occuper de hautes fonctions républicaines.
Ac
Cette condamnation du candidat « au parler vrai » prétendu démontre le rapport qu’entretient l’ex-polémiste avec la vérité et sa propension à manipuler idées et images pour son avantage ou délivrer un message truquée où l’histoire peut être réécrite, la réalité déformée. Zemmour, c’est du Trump à la française, on cherche à choquer, à faire le buzz, et peu importe les réprobations qui peuvent s’en suivent, pendant que durent les protestations et les désaveux, l’attention, les caméras, sont tournées vers lui, personnage qui peut fasciner par sa truculence et l’audace de ses arguments ou déclarations fallacieuses. Plus est grande la clameur de la désapprobation légitime, plus est grande son exposition, plus il occupe l’espace médiatique français, et impose de fait la thématique raciste et pestilentielle développée. Celle-ci tourne autour d’idées simples et bidouillées comme la déliquescence générale de la société et des politiques, la théorie du grand remplacement, ou le supposé rôle protecteur de Pétain et de son régime durant l’occupation qui justifierait, par suite, l’avènement d’un régime antidémocratique, autoritaire, néofasciste. Comme les gouvernements à la manœuvre ont largement préparé le terrain en imposant un discours et une politique sécuritaire (Loi Colomb sur l’accueil des étrangers qui voient leurs droits réduits, plus récemment la Loi sur le Séparatisme, etc…), où les forces de l’ordre semblent être le principal ^pilier du dispositif. A tel point d’ailleurs que le syndicat policier Alliance, proche du RN et de l’extrême droite, s’est cru autorisé à imposer aux principaux candidats à la présidence une sorte d’examen de passage. Mélanchon n’a pas été retenu pour mauvaise conduite! il a eu le tort de dénoncer les violences policières et le racisme dont font preuve sur le terrain certains de leurs agents. (voir enquête publié par médiapart reproduit dans le codex 09)
Dans cette logique, on attend maintenant que l’Armée, avec ses plus hauts galons de maréchaux et généraux cinq étoiles, examine le profil des candidats déclaré-es; un tel ou une telle ne va-t-il pas trahir la France? ou par son programme créer du désordre préjudiciable à la République? On n’en est pas là, mais on en prend le chemin. Qu’un syndicat policier ait pu ainsi intervenir dans la campagne des présidentielles, c’est déjà gros, il n’y a pas si longtemps, on aurait trouvé ça inacceptable, et appeler ce syndicat à plus de retenu. Aujourd’hui, ça paraît presque normal!
Ac