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Le RN pourrait faire de Paca sa région d’élection
Elections régionales et départementales 2021dossier
Profitant d’une tête de liste, Thierry Mariani, venue des rangs de la droite et d’un feuilleton politique entre Muselier et LREM dévastateur pour ses adversaires, le parti d’extrême droite est très bien placé dans les sondages à quelques semaines du scrutin.
par Tristan Berteloot, Libération, publié le 30 mai 2021 à 20h02
Quelque chose craque dans la chaleur brûlante de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et fait suffoquer la classe politique française. La région est en train de tomber aux mains de l’extrême droite. Le Rassemblement national y est en tête dans les sondages, à des niveaux hallucinants, et pourrait bien remporter une victoire historique, sa première dans un scrutin régional, de quoi mettre Marine Le Pen en orbite pour la présidentielle qui vient, dans ce qu’elle décrit comme «la grande alternative» qu’elle entend incarner.
De manière paradoxale, si le mouvement d’extrême droite gagne là-bas, cela sera en grande partie grâce à d’autres : le RN doit sa situation locale actuelle à des manœuvres venues de LREM et, cette fois, il n’est pas représenté par un Le Pen. Le parti a investi un candidat venu d’ailleurs, issu de la droite, qui fut ministre, l’ex-LR Thierry Mariani. En cas de duel au second tour, il sera difficile de faire déplacer les électeurs de gauche pour faire barrage au bénéfice du LR sortant, Renaud Muselier. Car les différences entre les deux hommes, qui ont déjà travaillé ensemble, ne sautent pas forcément aux yeux. Moins, en tout cas, que quand la tête de liste d’extrême droite s’appelait Marion Maréchal, il y a six ans : à l’époque, la nièce de Marine Le Pen avait dépassé les 40 % au premier tour, loin devant les petits 26 % de son concurrent Christian Estrosi, mais elle avait été stoppée dans son élan par un «désistement républicain» socialiste et un report de voix massif de la gauche vers la droite. Aujourd’hui, Mariani, qui a déjà été tête de liste en Paca, contre… Jean-Marie Le Pen (en 2010), est donné à 43 % au premier tour avec un Muselier à 10 points derrière. Il l’emporterait sans efforts en cas de triangulaire et même, il pourrait finir devant en cas de duel, selon un récent sondage Elabe : les deux sont à touche-touche au second tour – si et seulement si la gauche se retire à nouveau. Ce qui n’est pas fait, et pourrait de toute façon ne servir à rien : près de la moitié des électeurs de Jean-Laurent Félizia, le candidat soutenu par EE-LV et le PS, donné troisième à 12 %, ont prévu de s’abstenir en cas de duel Muselier-Mariani.
Dynamique anti-Macron
«Le front républicain ne marche plus, les gens n’y croient plus, se félicite le candidat du RN. Parce qu’on a des maires dans notre région, comme à Fréjus, avec David Rachline. Personne ne peut plus croire une seconde que c’est un fasciste qui est installé là-bas. Le Rassemblement national ne fait plus peur.» Mariani n’inquiète pas non plus : l’homme politique, qui n’a pas pris sa carte au RN, brouille souvent les pistes sur son appartenance ou non au parti de Marine Le Pen, vers lequel il s’est tourné il y a deux ans au moment des européennes. «Je ne suis pas membre du mouvement, mais je soutiens Marine Le Pen, c’est très clair», dit-il. Sa liste est composée «à 75 % de RN», mais Mariani raconte que s’il est élu, «c’est d’abord le candidat» qui l’aura emporté, une manière d’avancer masqué : «J’ai été vingt ans député, j’ai été ministre, j’ai toujours été à droite, et personne ne peut croire que je suis un raciste ou un danger pour la démocratie. Si je gagne, cela sera une alchimie entre le candidat, le soutien du RN qui est décisif, et le fait que le parti n’est plus craint.»
Mais pour gagner, le parti d’extrême droite a aussi besoin de bénéficier d’une dynamique anti-Macron. Il a donc décidé de nationaliser la campagne. Les régionales sont vues en interne comme une rampe de lancement pour 2022. Comme en 2015, la plupart de ses candidats ont opté pour le slogan sécuritaire – «Une région qui vous protège». Alors que la sécurité n’est pas un domaine de compétence de la région. Mariani n’en a pas fait autant, mais il pourrait surfer encore une fois sur le discours mariniste : les préoccupations principales des habitants de Paca sont justement la sécurité et d’immigration. «Pour le premier, on peut faire quelque chose, à la limite. En revanche contre l’immigration, vraiment rien, admet le candidat. Mais les gens veulent de toute façon donner un coup de pied dans la fourmilière. Et, surtout, ils ne supportent plus Macron, d’une façon comme je n’ai jamais vu», alors ils votent pour son principal concurrent : le RN. «Thierry Mariani est de filiation de droite RPR dure, il n’est pas dans l’histoire du Front national, rappelle le politologue et essayiste Gaël Brustier. La nappe phréatique dans laquelle Marine Le Pen ne cesse de puiser, c’est le logiciel “immigration-insécurité”, qui joue à fond depuis 1982. Mariani n’a donc pas besoin d’en parler : la marque RN est faite pour ça et pour polir les choses. Toutes les extrêmes droites européennes font la même chose.»
Dans ce contexte, le feuilleton politique de début mai, quand Jean Castex a annoncé un accord entre LREM et la liste de Renaud Muselier, puis le psychodrame qui en a découlé, le soutien de LR qui s’est estompé, a été dévastateur pour la droite. Et bénéficiaire pour Mariani, qui semblait, en comparaison, loin des tambouilles politiciennes. Selon une rumeur qui circule chez LR, il aurait même pris 6 points d’intention de vote le jour de l’annonce du Premier ministre. «On me demande souvent si j’ai Muselier comme directeur de campagne, rigole Mariani. Ce scénario me rend service car j’ai toujours dit qu’il était le candidat de Macron, de façon camouflée et honteuse. Là, il y a eu une clarification. Les gens comprennent que celui qui représente les idées de la droite traditionnelle, c’est moi, et non lui.»
Antibes le 30/05/2021 Thierry Mariani candidat RN aux elections regionales PACA en campagne dans les rues du marché d’Antibes (Laurent Carré/Libération)
Lissage du discours et ripolinage de l’image
Le sortant n’aurait-il pas pris la mesure du repoussoir que pouvait représenter la marque Macron dans sa campagne ? Les voyants clignotent pourtant dans ce sens depuis des semaines. Une étude de la Fondation Jean-Jaurès publiée en avril a montré que le rejet envers le Président, une abstention de la gauche liée à celui-ci, ainsi qu’un déplacement des voix de droite pourraient être bénéfiques au Rassemblement national. Or, les trois conditions peuvent être réunies en Paca : le fait que le Président ait semblé intervenir dans le Sud-Est, la façon dont LR s’est montré peu à même de résister aux sirènes macronistes, ont catapulté Mariani qui ne va plus se gêner pour faire campagne là-dessus. Le candidat a prévu de sortir dans les prochains jours une vidéo pour montrer que son concurrent aurait «38 candidats qui soutiennent Macron sur sa liste» et il raconte partout que «si Muselier gagne, les communiqués de victoire seront écrits à l’Elysée». Mariani n’a plus qu’à compter sur la banalisation de l’image du Rassemblement national pour pousser le reste des électeurs vers l’abstention.
Le mouvement d’extrême droite a peut-être trouvé là la solution à ses problèmes de défaite : présenter quelqu’un d’autre, à même de faire oublier l’étiquette qui, malgré un changement de nom en 2018, continue de rebuter. Cette stratégie de «normalisation», accompagnée d’un lissage du discours et d’un ripolinage de l’image des dirigeants, Marine Le Pen en tête, vise à attirer d’autres politiques. Alléchés par des résultats satisfaisants, ces derniers se feraient désormais moins prier pour venir à la gamelle au moment des élections. Ce n’est pas un hasard si le parti a confié une partie de ses têtes de liste aux régionales aux rares transfuges à l’avoir rejoint : Mariani en Paca, l’ex-député LR Jean-Paul Garraud en Occitanie, Laurent Jacobelli, qui fut porte-parole de Debout la France, dans le Grand-Est ou encore Sébastien Chenu, membre de l’UMP il y a longtemps, dans les Hauts-de-France. Marine Le Pen qualifie cela d’«ouverture», tout en affirmant être décidée à élargir son spectre. Elle réclame d’autres ralliements, drague le député Eric Ciotti, ou l’eurodéputée Nadine Morano, tous deux LR et populistes, qui n’ont pas besoin de répondre. «En mettant en avant ce genre de personnalités, il est parfaitement possible d’attirer une partie des électeurs de LR déboussolés, estime le politologue spécialiste des droites radicales, Jean-Yves Camus. Prenez la situation en Paca. Pensez-vous que tous les électeurs LR vont se reconnaître dans la liste de Muselier ? A votre avis, elles vont aller où, leurs voix ?»
Et dans les autres régions ?
— Si le risque d’une victoire du RN est bien réel en Paca, le parti d’extrême droite reste bien placé dans d’autres régions, sans être toutefois en mesure de l’emporter hors triangulaire ou quadrangulaire. Dans les Hauts-de-France, terre d’élection de la députée Marine Le Pen, le mouvement a envoyé l’ex-UMP Sébastien Chenu face au sortant Xavier Bertrand. Le porte-parole du RN est pour l’instant donné deuxième au premier tour, et face à lui le LR, candidat à la présidentielle, est gagnant au second sans avoir besoin de désistement ni de la gauche ni de la liste macroniste. Sauf accident électoral, la formation lepéniste ne devrait pas non plus faire de miracle en Bourgogne-Franche-Comté où Julien Odoul est pourtant annoncé en tête au premier tour, à 26%. Dans cette région, il y a six ans, le FN mené par Sophie Montel avait fini troisième à deux points d’une victoire surprise. Situation compliquée en Centre Val de Loire, où Aleksandar Nikolic est aussi annoncé en tête au premier tour, à 28% : il pourrait l’emporter si toutes les listes en face se maintenaient au second tour. En Occitanie où se présente un ancien de l’UMP proche de Thierry Mariani, Jean-Paul Garraud, la présidente PS sortante Carole Delga est donnée gagnante dans tous les cas de figure.
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