Régionales : le Rassemblement national face aux «dérapages» de ses candidats
Allusions racistes, sorties aux relents islamophobes et antisémites… Une plongée dans les réseaux sociaux des candidats d’extrême droite aux élections de juin fissure le discours mis en avant par la direction du parti, qui assure «faire le ménage» à l’approche des scrutins intermédiaires.
par Victor Boiteau, Libération
«Le noir, couleur à la mode ; les Champs-Elysées noirs de monde.» «Une marche blanche bien noire.» «Le parfum est de plus en plus amer… Le blanc disparaît.» Sur le profil Facebook de Maurice Gosseaume, candidat RN dans le canton de Mehun-sur-Yèvre (Cher), les propos aux allusions racistes sont légion. Adhérent frontiste depuis une trentaine d’années, cet ancien dirigeant d’une entreprise agricole n’est pas un inconnu au Rassemblement national. En octobre 2016, il avait été désigné comme l’un des animateurs du Collectif séniors, un groupe créé pour draguer l’électorat retraité, habituellement rétif aux idées lepénistes. A peine désigné, le retraité avait été écarté pour des propos jugés controversés par le parti. Sur Facebook déjà, il lançait un appel à Marine Le Pen pour qu’elle «refasse Charles Martel», et relayait un article appelant à «expulser les musulmans» pour «éviter le génocide des Français». Cinq ans après, ses propos n’ont pas évolué. «Le muz [musulman, ndlr] n’aime pas être contrarié et ce n’est pas parce que tu fais ami-ami avec eux qu’ils t’épargneront si tu les contraries et ils ont pour habitude de se venger au centuple», écrit-il ainsi sur le même réseau social. Ou encore, en mars 2019 : «Macron devient aussi exalté que Hitler qui voulait une race pure, l’autre veut des moutons de toutes les couleurs, et la GPA.» Le 29 juin 2018, alors que l’ancienne ministre et rescapée d’Auschwitz Simone Veil entre au Panthéon, il écrit : «Week-end chaud… Et Shoah. Oui, Simone Veil, matricule 78 651, quelle survie, quelle vie ; merci.» Sollicités, plusieurs cadres du Rassemblement national n’ont, pour l’heure, pas répondu aux questions de Libération sur ce candidat.
A l’approche des élections régionales et départementales des 20 et 27 juin, le parti de Marine Le Pen doit, comme en 2015, affronter ses vieux démons. S’il s’efforce de présenter ces dernières années une image présentable, le parti fondé par des proches de Jean-Marie Le Pen en 1972 voit ressurgir à chaque scrutin des propos et allusions racistes, antisémites, homophobes… A chaque cas soulevé par des adversaires politiques ou par la presse, la direction prononce dans la foulée des suspensions. Un retrait de l’étiquette politique, mais qui n’a aucune valeur juridique : une candidature sur une liste validée en préfecture ne peut pas être retirée individuellement. Reste que, soucieux de présenter des candidats dans un maximum de cantons, le Rassemblement national n’échappe pas à des profils embarrassants, tenant des propos très éloignés de la ligne officielle d’un parti en pleine opération dédiabolisation-banalisation. Bien que minoritaires, plusieurs «dérapages» ont pourtant été relevés ces dernières semaines.
Hommage au négationniste Robert Faurisson
Dans le Loiret, le parti a retiré mardi l’investiture de Pascal Auger, candidat dans le canton de Fleury-les-Aubrais, pour des propos racistes et insultants. «Nous sommes devenus une colonie africaine», écrivait par exemple ce retraité de 65 ans sur les réseaux sociaux. Des «propos inacceptables», a jugé le patron du RN local, Cyril Hemardinquer. En Gironde, c’est une candidate d’Edwige Diaz, tête de liste régionale en Nouvelle-Aquitaine, qui a été écartée vendredi 4 juin après des propos antisémites tenus sur Facebook, en 2015. «C’est comme quand tu serres la main d’un juif, tu as intérêt à voir si tu as toujours tes dix doigts», écrivait à l’époque Marta Le Nair. «Chez nous, nous n’avons pas la main qui tremble, a assuré lundi Edwige Diaz, sur France Bleu. A partir du moment où des propos inadmissibles sont tenus, nous réagissons.» Dans la Creuse, Thierry Morin a été désinvesti après une condamnation le 3 juin à neuf mois de prison pour violences conjugales. Sur le réseau social russe VK, il tenait également des propos comme celui-ci : «Saloperie de migrants de merde.» Dans le même département, le RN a retiré l’investiture à Geneviève Veslin après la diffusion d’une enquête de France 2 exhumant une soixantaine de ses publications qu’on peut qualifier de racistes ou antisémites. Sur le même réseau russe, elle rendait hommage au négationniste Robert Faurisson, plusieurs fois condamné par la justice. «Ce n’est pas admissible», avait jugé le délégué départemental du RN dans la Creuse, Damien Demarigny.
Ce week-end, les équipes de campagne de Valérie Pécresse, candidate à sa réélection en Ile-de-France, ont épluché les 229 candidatures RN de la région. Une dizaine de candidats sont visés par l’entourage de la tête de liste LR. Parmi eux, Gilles Naudet, cinquième sur la liste de Jordan Bardella. Le candidat serait l’auteur de plusieurs tweets ignobles, publiés entre 2015 et 2016, à caractère raciste, antisémite et misogyne. «Avec ces gens, le discours s’épuise. Opposer Erasme au Coran, nos valeurs aux leurs, c’est pisser dans un violon. Tuons-les en silence», pouvait-on lire sur un compte Twitter appartenant à un Gilles Naudet. Le candidat, 70 ans, se défend d’être l’auteur des tweets, assurant qu’il n’a jamais eu de compte sur le réseau social. Bardella a, lui, annoncé lundi porter plainte en diffamation contre Pécresse.
«Erreurs de recrutement»
«Quand il y a quelque chose qui dépasse la ligne du parti, il y a sanction, assure Maxime Chaussat, conseiller régional en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est une infime minorité.» Lui-même condamné en 2011 pour une affaire de tags racistes dans laquelle il avait refusé de dénoncer le militant auteur de l’inscription, le candidat assume ses positions sur l’immigration ou l’islam, et évoque une question de marqueurs : «On ne pose pas notre ligne selon vos critères moraux.» Il y a six ans, sur Twitter, il légendait un article du Point consacré à la démolition d’une église parisienne : «2015 en France : on construit des mosquées, on détruit des églises. Grand remplacement ?» Ce refrain conspirationniste du «grand remplacement», théorisé par Renaud Camus, une figure de l’extrême droite identitaire en France, fait florès chez bon nombre de candidats RN. «C’est un grand remplacement patrimonial», répond aujourd’hui Maxime Chaussat. Et d’ajouter : «Ce n’est pas mon vocabulaire habituel.»
L’expression, qui désigne une prétendue substitution organisée de la population «de souche» par des immigrés, est également utilisée par le responsable du RN dans l’Ain, Jérôme Buisson. «A l’heure de la rentrée des classes, sous couvert de tolérance, les demandes de repas de substitution, vegan ou le choix du halal pour tous vont ressurgir, écrivait-il sur Twitter, en 2018. Par contre on impose petit à petit aux Français de renoncer au cochon ! Le grand remplacement dans l’assiette en quelque sorte.» Interrogé par Libération sur les propos de certains candidats aux élections de juin, le délégué départemental assure faire «le ménage très rapidement». «J’ai une ligne simple : tout candidat pris la main dans le sac en train de publier des propos racistes, homophobes est exclu», assure celui qui se présente dans le canton de Ceyzériat (Ain) pour le scrutin de juin. Face à la difficulté de trouver des candidats, il concède toutefois : «On peut faire des erreurs de recrutement. On est le parti qui présente le plus de candidats. Sur le nombre, on peut avoir des gens ayant des propos non convenables.» Lui-même se montre extrêmement virulent sur les réseaux sociaux. Comme le 25 septembre, lorsque Hassan A., originaire du Pakistan, attaque plusieurs personnes à l’arme blanche devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, à Paris. «On ne peut plus vivre en France à cause de la simple présence de connards de mahométans irréguliers ou demandeurs d’asile ennemis à la Patrie ! Ce n’est plus supportable ! Virez-les tous !!!! #CharlieHebdo #attentat #islam [sic].» Ou, en octobre, alors que se tient depuis septembre le procès des attentats de 2015 contre Charlie : «Les musulmans et tous les intégristes doivent bouffer de la caricature jusqu’à l’acceptation de notre liberté voire l’indigestion pour accéder au nirvana de l’ataraxie.»