Que pèse réellement l’extrême droite en Europe ?
Lefigaro.fr a compilé les résultats de plus de 250 élections sur ces 15 dernières années. Analyse d’un phénomène électoral à l’échelle continentale.
Published in Le Figaro
Dernier volet, du coté de l’Europe de l’est
La progression est claire. Depuis 2001, l’extrême droite gagne du terrain sur le Vieux Continent. Notre infographie répertorie plus de 250 élections de portée nationale en Europe sur une période de 17 ans. Au fil des années, nombre de pays se foncent (voir l’infographie ci-dessous), traduisant la progression dans les urnes de cette frange de l’échiquier politique. On note bien, localement, quelques retours en arrière, qu’ils soient le résultat d’un effondrement électoral ou de l’étiolement d’une position jadis bien tenue. On distingue également des zones hermétiques au vote d’extrême droite. Cependant, si cette hausse des résultats électoraux ne se traduit pas par une prise de pouvoir solitaire, elle n’en reste pas moins une tendance visible sur l’ensemble du continent européen. Si bien que parfois la droite traditionnelle ou certains partis dits «antisystèmes» sont tentés par des alliances gouvernementales.
Pourquoi avons-nous choisi 2001 comme marqueur d’entrée de notre carte ? Parce que nos sociétés sont toujours dans la séquence politique ouverte par l’attentat commis aux États-Unis le 11 Septembre. Les extrêmes droites également. Si la critique de l’islam et du monde musulman était déjà présente chez elles, ces attentats deviennent alors des éléments centraux du discours néopopuliste. Notre infographie couvre donc la période ouverte par cette année pivot et se poursuit jusqu’aux élections tenues ces derniers mois.
Les droites extrêmes et radicales européennes sont diverses, multiformes. Les plus folkloriques d’entre elles peuvent revêtir les oripeaux d’époques révolues. Elles sont extrêmement minoritaires. La plupart ont évolué. Elles sont les produits de leurs époques et se sont adaptées aux mutations géopolitiques. Elles ont opté pour des positions politiques qualifiées de nationales-populistes ou de néopopulistes. La volonté de créer un homme et une société nouvelle, en vogue dans la première moitié du siècle, a cédé sa place à la critique de l’État providence et la nostalgie du passé, à la lutte contre le multiculturalisme et aux revendications identitaires.
LE FIGARO. – La montée du national-populisme et du néopopulisme influence-t-elle le reste du spectre politique ?
Nicolas LEBOURG. – Des deux côtés de l’Atlantique, depuis quarante ans, se produit ce que l’on peut nommer dans le contexte français «la droitisation». Il s’agit d’un démantèlement de l’État social et de l’humanisme égalitaire, lié à une ethnicisation des questions et représentations sociales, au profit d’un accroissement de l’État pénal. Ce processus porte une demande sociale autoritaire qui est une réaction à la transformation des modes de vie dans un univers économique globalisé, financiarisé, dont l’Occident n’est plus le centre. La crise géopolitique (2001) a permis l’éclosion du néo-populisme. La crise financière (2008) a permis le succès de la mutation du national-populisme en souverainisme intégral. La crise migratoire (2015) a fini d’aligner les astres pour les extrêmes droites. La fureur des réseaux transnationaux du terrorisme islamiste enfin permet de relégitimer le principe «frontière = protection». À chaque crise de la globalisation depuis le XIXe siècle, l’extrême droite trouve un ressort pour proposer la voie de l’enclosure comme solution protectrice. La montée en puissance de ce que l’on a pu nommer des «démocraties illibérales», ou «démocratures» à l’Est (Russie, Pologne, Hongrie etc.) valide le processus. Avec la conjonction de ces crises, l’extrême droite est en situation non seulement de progresser par elle-même mais aussi de diffuser sa vision du monde ou ses programmes.
Europe de l’Est
Dans les anciens pays du bloc soviétique, la logique est différente. L’histoire n’est pas la même. Aux régimes fascisants de la guerre ont succédé de longues années de communisme. Depuis la chute du Mur et des démocraties populaires, le chemin emprunté par les droites, républicaines ou radicales, diffère parfois grandement de celui pris par leurs cousines de l’Ouest. Les questions de société ne sont pas les mêmes, ne serait-ce que parce qu’elles n’ont jamais été confrontées au multiculturalisme. La récente question des migrants a donc constitué une nouveauté pour nombre de pays, dont les derniers brassages de population remontaient à l’époque soviétique, et ne concernaient que des populations slaves. Par ailleurs, des interrogations ont pu naître autour des droites polonaises ou hongroises, dont les leaders ont annoncé vouloir mener «une contre-révolution culturelle» en Europe.
Hongrie : sous pression du Jobbik
La Hongrie connaît depuis plusieurs années un terreau fertile à la montée des extrêmes droites. Notamment en raison du rêve encore nourri par nombre de Hongrois du retour d’une «Grande Hongrie», dont les limites iraient bien au-delà des frontières actuelles. Ce territoire historique, remontant à l’Empire austro-hongrois, et divisé par le traité de Trianon en 1920, rassemble des terres situées aujourd’hui en Autriche, en Croatie, en Roumanie, en Serbie, en Slovénie et en Ukraine.
La Hongrie a vu réapparaître les défilés en uniformes rappelant la mode des années 1930, notamment avec la Garde hongroise, bras armé du Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie). En 2009, elle est dissoute par la justice.
Défilé de la Garde hongroise en 2007. Le groupe est officiellement dissous aujourd’hui, bien que certaines résurgences aient été constatées
Dernièrement, la politique menée par le premier ministre Viktor Orban a pu poser des questions, notamment en raison des largesses prises à l’égard de l’État de droit. Le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, rappelle cependant que si le Fidesz, parti de Viktor Orban, a «une conception moins libérale de la démocratie» que peuvent l’avoir les formations politiques occidentales, il n’en reste pas moins «un parti conservateur assumant son ancrage à droite*» ayant su capitaliser sur la fierté nationale des Hongrois.
*Ancrage très à droite même, de sorte, et tant par son discours, que sa main mise sur les médias, et la fonction publique, Orban et son parti peuvent être assimilés à une droite très dure, pour ne pas dire extrême, et leur exercice de l’État s’apparente à ce que plus bas dans l’article, pour la Pologne ou la Russie, on appelle une démocrature. AC
Le Fidesz est resté longtemps sous la pression du Jobbik, qui fut longtemps un parti d’extrême droite sans complexe. Le Jobbik n’a pas hésité à prôner pendant longtemps le retour de la Grande Hongrie, souhaitant apporter une aide aux populations d’origine magyare vivant hors des frontières du pays et à leurs entreprises. Le Jobbik a longtemps stigmatisé les Roms, exigeant la création de prisons spécifiques et la création d’une gendarmerie rurale chargée de cette question. Au niveau sécuritaire, le parti proposait d’exporter des prisonniers hors de Hongrie et de rétablir la peine capitale. Comme le Fidesz, il voulait solder l’héritage communiste, mais proposait pour cela de rendre publics les noms des collaborateurs de l’ancienne police secrète. Il souhaitait enfin que les terres hongroises ne puissent être vendues à des étrangers et ambitionnait grâce à cela de rendre le pays autosuffisant en matière d’alimentation. Le Jobbik était enfin anti-européen, préférant former un axe avec la Pologne et la Croatie pour faire concurrence «aux pays de l’Europe de l’Ouest qui dominent l’Europe». Il n’hésitait pas à expliquer clairement qu’il fallait «en finir avec les tabous que sont la politique impériale de l’Union européenne, les guerres injustifiées menées par les États-Unis ou encore les efforts sionistes d’Israël pour dominer la Hongrie et le monde».
Ce discours radical a permis au Jobbik une progression constante depuis sa création en 2003. En 2013, son président, Gabor Vona, décide cependant de faire prendre un virage stratégique à sa formation, qu’il souhaite rendre plus présentable. Le Jobbik se recentre et tente d’apparaître comme un grand parti conservateur. Gabor Vona s’excuse auprès des Juifs et des Roms pour les excès passés. Dans le même temps le premier ministre Viktor Orban radicalise son discours. La vague migratoire débutée en 2015 le conforte dans son orientation. Il déclare ainsi vouloir une «Hongrie ethniquement homogène».
Finalement, Gabor Vona, qui souhaitait cristalliser le vote anti-Orban, perd son pari au législatives de 2018. Le Jobbik réalise un point de moins qu’aux législatives précédentes, à 19%, gagnant tout de même trois députés de plus (26). Le Fidesz d’Orban fait le carton plein, avec 49,27% des voix, en hausse de 4,4%. Face à son échec, Gabor Vona démissionne. Il est remplacé à la tête du Jobbik par Tamás Sneider, qui prévoit de maintenir le virage opéré par son prédécesseur. Mais Sneider est vivement contesté en interne par l’aile radicale du parti, menée par Laszlo Toroczkai, qui entend rétablir la politique originelle du Jobbik, menaçant d’une scission s’il n’était pas entendu.
Résultats de l’extrême droite aux dernières élections :
Minimum: européennes 2004, 2,35%, maximum: législatives 2014, 20,22%.
Pologne : la droite forte bloque l’espace disponible
epuis quelques temps, le gouvernement polonais, mené par le parti Droit et justice (PiS), a pu soulever le même type d’interrogations que le cas hongrois. Des questions auxquelles Frédéric Zalewski, maître de conférences à Paris Ouest Nanterre, membre de l’Institut des sciences sociales du politique (CNRS), apporte les mêmes réserves que Jean-Yves Camus pour Budapest.
Selon le chercheur, le PiS «est une droite qui développe des pratiques autoritaires sur des bases très conservatrices et qui n’hésite pas à faire des entorses à l’État de droit». Cependant, «le gouvernement polonais, contrairement aux dictatures, utilise les ressources de la démocratie comme instrument de légitimation» et se rapproche en cela des «démocratures» telles que la Russie.
Il y a ainsi en Pologne, comme dans nombre pays de l’Europe de l’Est, «la volonté de mettre définitivement fin au communisme et au pouvoir d’une partie des anciennes élites parvenue à maintenir ses positions politiques ou économiques. Il s’agit de créer une seconde révolution après celle de 1989.» Une révolution menée sur des bases conservatrices. Les positions fortes de la droite ont longtemps réussi à maintenir l’extrême droite à de faibles résultats, ce qui ne l’empêche pas de réaliser des percées lors de certaines élections.
Minimum: législatives 2011, 1,13%, maximum: européennes 2004, 28,57%.
République tchèque et Roumanie : l’effondrement
À l’Est, d’autres pays ont vu leur extrême droite s’effondrer. La République tchèque en fait partie. L’Assemblée pour la République–Parti républicain tchécoslovaque, qui a pu réaliser des scores allant jusqu’à 8% dans les années 1990, s’est complètement effondrée, notamment à cause d’un discours musclé de la droite traditionnelle.
Tomio Okamura, nouveau leader de l’extrême droite tchèque.
Les scores de ce camp politique tendent cependant à remonter ces dernières années sous l’impulsion d’un personnage atypique, Tomio Okamura, né d’une mère tchèque et d’un père coréo-japonais, leader des partis Aube de la démocratie, puis Liberté et démocratie directe (SPD). Outre ses positions en faveur de la démocratie directe et la préférence nationale, il s’est illustré en demandant l’expulsion des Roms vers l’Inde ou en demandant de promener des cochons autour des mosquées.
En octobre 2017, aux législatives, Tomio Okamura porte le score de son parti à 10,64% et décroche 22 élus (sur 200) à la Chambre des députés. S’il laisse entendre un moment qu’il souhaite composer avec le nouvel exécutif, il annonce fin décembre qu’il ne soutiendra pas le gouvernement minoritaire d’Andrej Babis. Le même mois, il affiche cependant un rapprochement avec le président populiste Milos Zeman, alors en campagne pour sa réélection. Ce dernier s’est affiché dans un meeting du SPD, vantant les nombreux points communs entre sa vision politique et celle du parti d’extrême droite.
Tomio Okamura avait provoqué une polémique en doutant publiquement de la nature du camp de concentration de Lety, qui a ouvert en Bohême pendant la Seconde Guerre mondiale. Menacé de perdre son poste de vice-président de la Chambre des députés, il a néanmoins réussi à le conserver. Le CSSD (social-démocrate), qui négociait fin mai la mise en place d’une coalition gouvernementale avec la mouvement ANO (centre-droit), a placé comme condition de l’accord la destitution d’Okamura. Les sociaux-démocrates ont également posé comme principe l’interdiction de toute collaboration avec Liberté et démocratie directe.
En Roumanie, les scores de l’extrême droite se sont également effondrés. Le Parti de la Grande Roumanie est parvenu à accéder au second tour de la présidentielle, en 2000, grâce aux 28% réalisés par son leader Vadim Tudor, tribun au discours volontiers antisémite et laudateur du dictateur fascisant Antonescu (1940-1944). Ses scores se sont totalement écroulés devenant au fil du temps négligeables. En 2016, le Parti de la Grande Roumanie ne totalise que 1% des voix aux législatives. Il est même devancé sur son créneau politique par une nouvelle formation, le Parti de la Roumanie unie (2,80%).
Cependant, il es bon de souligner que depuis l’actuel parti au pouvoir, le Parti Social Démocrate, après que deux gouvernements de la même famille politique soient tombés en moins d’un an, reste enlisé dans des affaires de corruption, fraudes électorales, népotisme, etc… Ce n’est pas un parti d’extrême droite, mais pour certains aspects il en emploie les méthodes.
(pour info complémentaires, lire notamment https://www.lepoint.fr/europe/roumanie-le-nouveau-hara-kiri-du-gouvernement-16-01-2018-2187117_2626.php
En Slovaquie, le Parti national slovaque (SNS), ardent défenseur de l’indépendance du pays en 1993, auteur d’un discours xénophobe affirmé, a su maintenir des scores relativement élevés depuis 20 ans malgré quelques trous d’air, la faute à la concurrence d’une droite populiste mordant allègrement sur ses thèmes de prédilection.
En mars 2016, la nouvelle coalition rose-brun scelle son pacte autour d’un verre de champagne. À côté de Robert Fico, président du gouvernement (deuxième en partant de la droite), Andrej Danko (premier en partant de la droite), président du Parti national slovaque. Ce dernier préside également le Parlement national.
La gauche rattrape la droite sur ce terrain puisque le socialiste Robert Fico a fait alliance avec le SNS pour gouverner entre 2006 et 2010, récoltant de vives critiques internationales. Après une campagne législative dirigée contre les migrants, Robert Fico a de nouveau formé une coalition «rose-brun» en mars 2016 avec le SNS.
Fico a dû démissionner en 2018 suite à l’assassinat d’un journaliste enquêtant sur la corruption, Jan Kuciak. Il est remplacé par Peter Pellegrini, considéré comme très proche de son prédécesseur, qui continuerait à tirer les ficelles en coulisses. Il se repose sur la même coalition «rose-brune» tripartite.
Commémoration en 2006 de l’anniversaire de la mort du général Milan Rastislav Štefánik, l’un des pères de la Tchécoslovaquie, par des militants du mouvement Notre Slovaquie. Au premier plan, Marian Kotleba, futur gouverneur de la province de Banská Bystrica.
Notons enfin la percée d’un autre parti d’extrême droite, Notre Slovaquie (LSNS), nostalgique du régime du régime fascisant et clérical de Mgr Tiso. Ses militants se distinguent lors des manifestations par le port d’uniformes noirs rappelant fortement ceux des années 1940 (voir ci-dessus).
En 2016, LSNS réalise le score de 8% des voix aux élections, décrochant 14 députés sur les 150 du Parlement. Les élections régionales de 2017 sont en revanche une défaite pour Notre Slovaquie puisque seul 2 de ses 336 candidats ont réussi à se faire élire et le leader de la formation, Marian Kotleba n’a pas réussi à conserver le poste de gouverneur de la région de Banská Bystrica, qu’il occupait depuis 2013.
Minimum: européennes 2004, 2,01%, maximum: législatives 2016, 16,68%.
Quels liens existent-ils au niveau européen entre les diverses formations du continent ? Quelles sont les différentes alliances politiques, formelles ou informelles ?
Nicolas LEBOURG. - Il y a d’abord, le Mouvement pour l’Europe des nations et des libertés (MENL), un parti européen qui regroupe les eurodéputés du FN, de la Lega Nord, du FPÖ et du Vlaams Belang, ainsi que les tchèques de Svoboda prima demokracie, absents du parlement européen. Au Parlement européen il y a le groupe Europe des nations et des libertés avec les eurodéputés des mouvements susdits plus ceux du PVV, une eurodéputée exclue de UKIP, deux eurodéputés polonais du Congrès de la nouvelle droite (mouvement qui a dû se déradicaliser pour rejoindre le groupe), un eurodéputé roumain transfert du groupe social-démocrate, et enfin un d’Alternative für Deutschland (AfD). On a beaucoup parlé récemment des succès de ce parti en Allemagne, car il provient d’une radicalisation souverainiste de la droite qui a évolué vers l’extrême droite par rejet de l’islam et des réfugiés. Notons que la même année où se constituait ce groupe parlementaire, l’extrême droite radicale, qui en est très friande, créait une nouvelle internationale : l’Alliance pour la Paix et la Liberté, avec des groupes comme Aube dorée, le NPD allemand, l’italien Forza nuova, bref des nostalgiques du fascisme.
Slovénie et Croatie : l’extrême droite relativement faible
En Slovénie, le vote en faveur du Parti national slovène (SNS) ou du Parti du peuple slovène (SSN) est relativement faible. On trouve dans ce pays une droite, le Parti social-démocrate slovène, qui n’hésite pas à défendre les mêmes thèmes que l’extrême droite. En Croatie, pays où le nationalisme a longtemps dominé le débat politique, le Parti du droit (HSP) ne parvient pas à des scores significatifs.
A toute fin utile, et en contrepoint de cette analyse, lire « Et soudain, on découvre le « fascisme croate » – Révolution Permanente » article publié sur ce bog il y a peu. Le discours d’extrême droite reste présent dans la vie politique et publique croate.
Bulgarie : les nationalistes dans la coalition gouvernementale
La Bulgarie n’a pas hérité d’une tradition d’extrême droite aussi forte que ses pays voisins. Il faut attendre l’année 2005 pour la voir réaliser des résultats notables, grâce à l’émergence de l’Union nationale attaque (Ataka). En 2006, son leader, Volen Siderov, accède au second tour de la présidentielle, dépassant les 20%.
Volen Siderov s’est fait connaître pour ses positions à l’encontre des Roms ou des Turcs, minorités importantes du pays. Il est également connu pour ses emportements publiques. En 2013, élu député, il est arrivé armé d’une matraque au Parlement, où il attaque un policier et un journaliste. Début 2014, il s’en prend à une diplomate française dans un avion.
Au niveau politique, en 2013, les socialistes ont déclenché un scandale en acceptant de former un gouvernement soutenu par les voix des députés d’Ataka. Les scores du parti ont ensuite fortement chuté, notamment à cause de la concurrence d’un nouveau Front patriotique, dont l’une des composantes souhaite la création d’une Grande Bulgarie incluant la Macédoine. En 2014, ce Front patriotique soutient le gouvernement conservateur du premier ministre Boïko Borissov, mais sans y participer.
Pour la présidentielle 2016, le Front patriotique est refondé en une nouvelle alliance, les Patriotes unis, qui intègre Ataka en plus du Mouvement national bulgare (VMRO) et du Front national pour le salut de la Bulgarie (NFSB). Cette alliance est une petite nouveauté dans le pays car Siderov (leader d’Ataka) et Simeonov (leader du NFSB), qui furent longtemps amis, s’étaient éloignés politiquement depuis plusieurs années. Ils s’entendent pour que le leader du VMRO, Krasimir Karakachanov, soit le candidat de cette alliance à la présidentielle. Ce dernier réalise le score de 14,97%.
Aux législatives 2017, les Patriotes unis poursuive leur stratégie d’alliance. Leur programme est très hostile à l’immigration et aux migrants: ils souhaitent enfermer ces derniers dans des camps et renforcer la frontière avec des contrôles militaires. Ils prennent eux-mêmes l’initiative de bloquer des bus provenant de Turquie quelques jours avant le vote. Leur but est de réduire l’arrivée de votants potentiels pour les partis représentant la minorité turque du pays (le Mouvement pour les droits et le libertés et DOST). Leur score est une déception : ils n’obtiennent que 9,1%, concurrencés par le parti populiste Volya (4,1%) et une autre formation d’extrême droite, Renaissance (1,08%). Cependant, le total de ces trois forces correspond au score de Karakachanov à la présidentielle précédente. Forts de leurs 27 députés, ils s’allient au premier ministre sortant, Boïko Borissov et son parti, le GERB (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie). La coalition possède en tout 122 sièges, soit un de plus que la majorité absolue à l’Assemblée (qui compte 240 sièges). Karakachanov est vice-premier ministre et ministre de la Défense. Simeonov est également vice-premier ministre, chargé de la politique économique et démographique. Les nationalistes possèdent également les portefeuilles de l’Environnement et de l’Économie.
Minimum: législatives 2001, 3,63%, maximum: présidentielle 2006, 21,49%.
États baltes : une extrême droite limitée par une droite musclée
Les États baltes ne sont pas tous logés à la même enseigne. Sur les quinze dernières années, l’Estonie est moins touchée par la montée de l’extrême droite, même si le Parti populaire conservateur d’Estonie (EKRE) a réalisé 8,1% aux dernières législatives, en 2015.
À l’inverse, la Lettonie conserve un niveau élevé depuis quinze ans, oscillant entre 5,70 et 29.82%. En Lituanie, le vote se maintient la plupart du temps au-dessus des 10%. Des scores sans doute minorés par «une droite classique menant déjà une politique nationaliste», selon Céline Bayou, co-rédactrice de la revue en ligne Regard sur l’Est. Les questions migratoires, qui font souvent recette à l’Ouest, n’avaient, jusqu’à récemment, que très peu concerné les pays baltes. Les populations considérées comme problématiques par une partie de la classe politique sont déjà situées sur le territoire national. «En Estonie et en Lettonie, il existe d’importantes minorités russophones qui ne disposent pas de la citoyenneté, détaille Céline Bayou. Une part du débat politique tourne donc autour de la Russie et de son rôle, devenu au fil des années plus inquiétant à mesure que Vladimir Poutine a augmenté son emprise sur le pouvoir.» Ces minorités de russophones non-citoyens s’estiment mises au ban de la société par les partis politiques classiques, tel Unité, en Lettonie, qui s’est ainsi prononcé contre le droit de vote. «Tout pour la Lettonie (le parti d’extrême droite, NDLR) a été plus loin que la droite classique, proposant de renvoyer tous les Russes dans des wagons, avec une référence évidente à la Seconde Guerre mondiale.» Les radicaux en sont donc souvent réduits à faire de la surenchère.
LE FIGARO. – Notre graphique montre une hausse globale des résultats électoraux de ces formations depuis 15 ans. Comment expliquer le phénomène ?
On a néanmoins, me semble-t-il, des vagues différentes. Les partis populistes néo-libéraux prédominent en 2000, avec les succès enregistrés cette année-là par le FPÖ en Autriche, l’Union démocratique du centre en Suisse, la Lega Nord en Italie, le Parti du Progrès en Norvège, le Parti du peuple danois et le Fremskridtspartiet au Danemark. Ces formations contestent les méthodes de gouvernement de la social-démocratie et celles d’une droite libérale ralliée plus ou moins largement à l’État-providence, mais acceptent sans réserve le jeu politique et institutionnel démocratique. Ils bénéficient du voisinage avec l’Europe de l’Est intégrant l’Union Européenne entre 2004 et 2013, avec les problèmes socio-économiques soulevés par le processus. Comme en de nombreux pays, la percée de l’extrême droite a fait glisser vers la droite une partie du débat politique. Mais, l’extrême droite a également déplacé son propre centre de gravité, comme par exemple en Suisse, avec la montée en puissance du néo-populiste Oskar Freysinger dans l’UDC. La démonétisation des offres politiques traditionnelles, dans le cadre d’une Europe post-démocratique paraissant la figure de proue de l’imposition du modèle néolibéral et multiculturaliste, va doper les populistes, mais différemment selon leurs origines. Les populismes les plus anciens, héritant d’une matrice radicale (Autriche, Flandres), ont évolué vers un populisme identitaire. Les deuxièmes, avec une matrice anti-fiscaliste (Danemark, Norvège) ont évolué vers un identitarisme de la prospérité, allant jusqu’à susciter des antagonismes inter-européens (au Luxembourg le Mouvement National exige le départ des Français, tandis qu’en Suisse l’UDC et le Mouvement citoyens genevois visent les travailleurs frontaliers français). Enfin, les derniers populismes apparu ont une matrice agrarienne (Finlande, Suisse) qui a évolué vers un libéralisme hédoniste sécuritaire. On notera que le FN français réussit à combiner toutes ces données, ce qui explique sans doute en bonne part la particularité de son succès.
Pour aller plus loin
Nous vous conseillons la lecture des ouvrages qui ont servi, entre autres, de sources documentaires:
• Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg. Les Droites extrêmes en Europe. Seuil, 2015. 313 p.
• Pierre Milza. L’Europe en chemise noire. Les extrêmes droites en Europe de 1945 à aujourd’hui. Fayard, 2002. 484 p.