Quand l’extrême droite invoquait la démocratie pour la saper à l’Assemblée
L’extrême droite, après guerre, saisit deux occasions de s’immiscer à l’Assemblée : en 1956 et en 1986. Moments parcourus de contradictions, où des élus fascisants se posent en champions de la démocratie. Et se réclament de ce qu’ils entendent liquider.
Antoine Perraud, 9 juin 2022 , Médiapart
25 avril 1986, au siège du Cnip (Centre national des indépendants et paysans), un parti moribond mais faisant toujours office de passerelle entre la droite bienséante et l’extrême droite française, le député du VIIe arrondissement de Paris, Édouard Frédéric-Dupont (1902-1995), fête son jubilé – il a été pour la première fois élu député de la Seine en avril 1936, pour faire barrage au Front populaire « qui, créé par Moscou et pour Moscou, conduit à la guerre », selon sa profession de foi de l’époque.
Un demi-siècle plus tard, le raout politique réunit les ambassadeurs de la Corée du Sud (alors régime assez militaire et plutôt liberticide), de l’Afrique du Sud (qui se cramponne encore à l’apartheid) et du Chili (toujours présidé par Augusto Pinochet).
Le tout sous l’œil de Jean-Marie Le Pen. Celui-ci a embarqué sur ses listes le vieux Frédéric-Dupont, ainsi devenu, en mars 1986, l’un des trente-cinq députés estampillés Front national élus au Palais-Bourbon. Et ce, à la faveur d’un scrutin proportionnel (départemental à un tour), instauré par François Mitterrand en vue de limiter la victoire de la droite classique.
Dès le début de son petit speech jubilaire, Édouard Frédéric-Dupont, chauve comme un œuf, pointe un renfoncement dans sa boîte crânienne, glorieuse trace d’un coup reçu lors de la manifestation factieuse du 6 février 1934. Il se tenait du côté des ligues, qui entendaient faire mordre la poussière à la République parlementaire, dont Frédéric-Dupont serait toutefois un représentant obstiné jusqu’en 1993.
En 1936, sous la IIIe République, il avait mêlé sa voix aux ultras racistes et nationalistes de la Chambre – « plutôt Hitler que le Front populaire » –, fustigeant notamment l’invasion de Paris par les étrangers de tout poil et stigmatisant le coût des hospitalisations induit par « l’afflux des réfugiés ».
En 1956, sous la IVe République, il avait appuyé les furieux poujadistes. En 1986, sous la Ve République, il ne lui restait plus qu’à rejoindre les féroces lepénistes – avant de regagner le camp RPR-UDF à la faveur du rétablissement du scrutin majoritaire à deux tours, histoire de s’offrir un ultime tour de piste parlementaire lors des législatives de 1988.
Édouard Frédéric-Dupont apparaît donc, dans le domaine politique, telle une étonnante butte – sinon brute – témoin de trois moments de crise ayant vu l’extrême droite française se déchaîner au Palais-Bourbon : la Chambre de 1936, marquée par les interventions ignobles de Philippe Henriot et autres Jean Ybarnégaray contre Léon Blum avant le vote terminal des pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940 ; la Chambre de 1956, qui, résonnant des furibonderies poujadistes, finira par se livrer à de Gaulle faute de pire en 1958 ; l’Assemblée de 1986, où l’histrion Le Pen assure le spectacle pendant que François Mitterrand, Raminagrobis expérimentant à l’Élysée la première cohabitation, prépare sa revanche électorale de 1988.
Une leçon qui dure encore
En 1936, l’extrême droite visait à détruire et subroger, sans vergogne, sans filtre ni frein. Éric Zemmour semble avoir espéré prendre un tel relais en 2022. La France ne lui a guère donné quitus. Depuis la fin de la guerre, la violence fascisante ne saurait s’exposer sans être tamisée : l’implicite plutôt que l’explicite, l’allusif de préférence au catégorique. L’extrême droite en a tiré une leçon qui dure encore, de Pierre Poujade à Marine Le Pen en passant par Jean-Marie Le Pen – en dépit du naturel de celui-ci, qui revenait au galop : se réclamer de la démocratie pour la dévoyer, la saper, l’annihiler.
Le moment 1956 en est l’illustration. Après la dissolution de la Chambre par le président du conseil Edgar Faure le 2 décembre 1955, les élections législatives du 2 janvier 1956 désignent 214 députés de droite. Ainsi que 172 députés d’un « Front républicain » dominé par la SFIO de Guy Mollet, qui devient président du Conseil plus d’un an durant : un exploit sous la IVe République. Et ce, grâce au soutien de 150 députés communistes.
Enfin, surprise du scrutin : cinquante-deux députés, propulsés par Pierre Poujade, sont élus sous l’étiquette UFF (Union et fraternité française). Il s’agit majoritairement d’un bataillon de commerçants qui se veulent l’incarnation de l’angoisse et de la fureur corporatistes des classes moyennes indépendantes, face à la pression fiscale. Les notables de la politique sont effarés. Charles de Gaulle, du fond de sa traversée du désert, aurait lâché ce commentaire révélateur : « Autrefois, les épiciers votaient pour les notaires, aujourd’hui les notaires votent pour les épiciers. »
M. Poujade, saisi par la politique, désire un intellectuel dans son lot d’élus. Il jette son dévolu sur Jean Le Pen, 27 ans, éternel étudiant bagarreur de la faculté de droit de Paris. Celui-ci ajoute son deuxième prénom au premier, pour devenir Jean-Marie Le Pen dès son entrée au Palais-Bourbon, dont il n’est pas le benjamin – comme le répètent fautivement moult articles de presse –, se faisant coiffer au poteau par le communiste André Chène (1928-1996), plus jeune de six mois et cinq jours.
« Une ratatouille »
Le fringant Le Pen est élu de la première circonscription de la Seine, qui regroupe les six arrondissements de la rive gauche et envoie dix députés à la Chambre, dont le communiste Roger Garaudy, notre très droitier Édouard Frédéric-Dupont (CNIP), le socialiste Robert Verdier, ou encore les radicaux Pierre Clostermann et Vincent de Moro-Giafferri.
L’animateur de l’UDCA (Union de défense des commerçants et artisans), Pierre Poujade, n’a pas pris la peine de se faire élire – il tentera de se rattraper lors d’une élection partielle en janvier 1957, précisément dans la première circonscription de la Seine à la suite de la mort de Me de Moro-Giafferri, mais subira, selon son langage imagé, « une ratatouille ». Si bien que le leader du mouvement verra ses poulains poujadistes lui voler la vedette en usant du Parlement – le médecin tête brûlée Jean-Maurice Demarquet, le commissaire de police véreux Jean Dides, l’hôtelier de la Bourboule Jean Damasio et bien entendu le chien dans un jeu de quilles et fier de l’être : Jean-Marie Le Pen.
Celui-ci est le premier élu poujadiste à prendre la parole à la tribune, le 25 janvier 1956, après le discours du président de l’Assemblée, le socialiste André Le Troquer. Jean-Marie Le Pen dénonce le refus des autres partis d’admettre la présence d’un élu UFF au sein du Bureau de l’Assemblée ; c’est là une violation de l’usage de la répartition à la proportionnelle, assure-t-il, le verbe haut et loin de passer inaperçu. Un socialiste capé, Édouard Depreux, qui succède à cet orateur aussi novice qu’impétueux, le félicite, avec ce qu’il faut d’ironie paternaliste, pour son « érudition étonnante sur la jurisprudence parlementaire ». Jean-Marie Le Pen s’impose d’emblée en révélation de la législature, au point que l’hebdomadaire Paris Match y va de sa métaphore hyperbolique : « Le Minou Drouet de la politique ».
Contrairement à la poétesse en herbe qui vient, en 1956, à 8 ans, de connaître le succès avec son recueil Arbre, mon ami, Jean-Marie Le Pen, porté par le slogan poujadiste « Sortez les sortants ! », fonce dans le tas : système, mon ennemi.
Jean-Marie Le Pen déploie cependant une rhétorique redoutable : nous représentons le peuple, donc la démocratie, que l’oligarchie parlementaire voudrait jeter aux oubliettes. En effet, la IVe République entend bouter le plus de trublions poujadistes possible hors du Palais-Bourbon. Pour ce faire, la Chambre décide non seulement d’invalider une douzaine d’élus de l’UFF, mais encore de les remplacer par les candidats qu’ils avaient battus. Le règlement de comptes est patent, au nom d’une Assemblée souveraine. Si bien que Charles de Gaulle, dès son retour aux affaires en 1958, aura beau jeu de créer le Conseil constitutionnel afin d’éviter pareil scandale démocratique.
En attendant, entre deux éructations sur les « apparentements incestueux » donnant déjà idée de ses obsessions irréfragables, Jean-Marie Le Pen s’applique à dire le droit en se posant, dans l’hémicycle, en champion de la démocratie face à ceux qui la confisquent : « L’Assemblée nationale n’est pas juge de l’ordre dans lequel sont validés les candidats. Elle doit simplement valider ou invalider les députés, mais il ne lui appartient pas d’intervertir l’ordre dans lequel ces candidats ont été proclamés élus. »
L’argument fait mouche. Il est repris par un ténor du barreau et de l’extrême droite, Jean-Louis Tixier-Vignancour, ancien responsable de la censure du gouvernement de Vichy, revenu au Parlement à la faveur des lois d’amnistie et qui prend un malin plaisir à donner des leçons de démocratie de sa voix de bronze : « L’entrée dans cette Assemblée de cinquante-deux élus dépendant du mouvement Poujade a été, vous le savez, l’expression d’un incontestable mécontentement de larges couches de la population de notre pays. Et, en raison de cette entrée, que l’on peut dire massive si l’on considère les défenses que le régime possédait – radio et presse –, ne croyez-vous pas qu’au lieu d’invalider il vaudrait mieux que chacun, pour son compte et sans retour sur le passé, se posât cette question : seraient-ils ici, ces collègues, si nous avions réussi ? Non, ils ne seraient pas là. »
Réunir une majorité qui s’appliquera à redresser ce qui doit l’être et à ne plus fournir de sujets de mécontentement au peuple français.
Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui devait se présenter à la présidentielle de 1965 contre de Gaulle au nom de l’extrême droite – avec Jean-Marie Le Pen comme directeur de campagne –, poursuit, en février 1956, avec ces propos qui ne peuvent que faire tilt à l’été 2022 : « Un jour viendra où nous parviendrons quand même à réunir dans cette assemblée des hommes qui se sont ardemment combattus, se sont même méprisés. Nous arriverons quand même, nous l’espérons tout au moins, à réunir une majorité qui s’appliquera à redresser ce qui doit l’être et à ne plus fournir de sujets de mécontentement au peuple français. »
Et Tixier – comme l’appellent ses partisans – ajoute, patelin : « Au début d’une législature qui s’annonce sous les auspices les plus graves et les plus redoutables, il est néfaste pour le pays de commencer par des mesures d’exclusive comme celles que l’on vous propose d’adopter. Je vous demande, de toutes mes forces, de les refuser, car on n’a pas le droit de préjuger les hommes avec lesquels on est appelé à siéger. Personne n’a le droit de dire que ceux-ci (geste ample vers l’extrême droite) ne sont pas au nombre de ces hommes de bonne volonté dont nous avons besoin pour sauver notre patrie bien-aimée. »
Un autre représentant de cette République des avocats qui brille de ses feux ultimes, Me Jacques Isorni, défenseur de Philippe Pétain en 1945, élu du Cnip, lâche cet argument imparable contre les invalidations et les tripatouillages qui s’ensuivent : « Ne croyez-vous pas qu’il serait plus démocratique, au lieu de proclamer élu un candidat d’une autre liste, de retourner devant le peuple et de procéder à de nouvelles élections ? »
Avec une habileté perverse et redoutable, dès février 1956, l’extrême droite française parvient à se faire passer pour le vrai bois de la vraie croix des valeurs démocratiques qu’elle ambitionne pourtant de piétiner. Et tous les radicaux, socialistes et communistes, prompts à invalider les élus de l’UFF, semblent illustrer, à leur corps défendant, ces philippiques de Pierre Poujade dans son livre J’ai choisi le combat (1955) : « Paris est un monde et un monstre ; la vie y est désaxée… trépidante, étourdissante, abrutissante… C’est le pays du travailleur écrasé et du fumiste-roi. C’est le tremplin peut-être à quelques réussites honnêtes, mais certainement à toutes les pirateries… »
Face à tant d’excès langagiers, les couches supérieures de la société française, affligées, tordent le nez, à l’instar de Raymond Barrillon, chef du service politique du quotidien Le Monde, qui écrit avec un mépris souverain, fin avril 1957 : « La seule nouveauté, que rien d’ailleurs ne laisse prévoir, serait que les poujadistes proposent des mesures concrètes et efficaces pour venir à bout des maux qu’ils ne cessent de déplorer. »
Pierre Poujade se vante de ne pas avoir de programme ficelé, afin d’en bâtir un à partir des revendications populaires. Les députés issus de son mouvement sont présentés tels des « délégués aux états généraux de la renaissance française » qu’ils sont chargés de convoquer. Coalition corporatiste rétive à l’action politique et en même temps élue au Parlement, la galaxie poujadiste ne peut éviter l’éclatement, tant les contradictions prennent les allures d’un champ de mines.
L’exemple le plus spectaculaire intervient fin octobre 1956, lorsque Pierre Poujade donne l’ordre à ses troupes, en mêlant leurs voix à celles des communistes, de s’opposer à l’expédition anglo-franco-israélienne de Suez visant à châtier l’Égyptien Nasser, qui vient de nationaliser le canal. Il n’y a rien d’anticolonial dans cette décision. Elle découle du pacifisme de l’extrême droite d’avant-guerre, mâtiné d’un populisme prônant la France d’abord et avant tout : « Il s’agit d’intérêts particuliers et non pas du patrimoine national. Je m’étonne qu’on donne tant d’importance à une question ne lésant que quelques privilèges et qu’un gouvernement socialiste risque la guerre pour défendre des capitalistes notoires. Cette affaire a d’autant moins d’importance que nous avons la possibilité d’exploiter le pétrole algérien » (Pierre Poujade, août 1956).
Quelques députés votent néanmoins pour l’intervention, d’autres s’abstiennent, beaucoup regimbent. La rupture est consommée avec Jean-Marie Le Pen, qui déserte l’Assemblée, rejoignant pour six mois le bataillon de parachutistes avec lequel il avait auparavant guerroyé en Indochine, pour cette fois en découdre avec les Arabes, d’abord à Fort-Fouad en Égypte, puis lors de la bataille d’Alger.
Ces défections n’alarment pas Pierre Poujade : « Les éléments perdus étaient des impurs, des froussards et des “parachutés” tels que Le Pen », clamera le chef au congrès de Strasbourg de l’UFF, en novembre 1957. Plus problématique : la fuite des militants et des électeurs, déroutés parce qu’ils se veulent apolitiques, ou alors indisposés par les outrances et la démesure, eux qui venaient d’une droite plus tiède – vers laquelle ils se replient.
Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques.
Finit par lasser, au bout de quelques mois, cette façon des élus poujadistes d’apostropher leurs collègues de la SFIO sous le sobriquet de « députés syphilo », ou alors de traiter de « cosaques » les communistes.
Rétrospectivement, il est passionnant d’observer comment Le Pen superpose à l’antisémitisme classique de l’extrême droite française un racisme antiarabe – qui ne prend pas encore la précaution de se draper dans une aversion de l’islam.
En 1958, le jeune député s’en prendra en ces termes dans l’hémicycle à Pierre Mendès France, dont les foules poujadistes n’avaient cessé de conspuer la judéité lors de leurs rassemblements politiques au Vél’d’Hiv’ : « Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques. »
En mai 1956, Le Pen demande « quelle ligne de conduite le gouvernement entend fixer aux officiers français servant actuellement dans l’armée royale marocaine, dans le cas où celle-ci se livrerait à des actes caractérisés d’hostilité contre la France ou des ressortissants français ».
L’allusion voilée, la position victimaire, la catastrophe autant redoutée que désirée, l’ère du soupçon paranoïaque permanent et le tropisme complotiste : tout l’univers mental de l’extrême droite semble condensé dans cette question au gouvernement. Roland Barthes, qui consacre deux entrées au poujadisme dans ses Mythologies (Seuil, 1957), exécute en deux phrases un tel état d’esprit : « Non seulement toute offense doit être conjurée par une menace, mais même tout acte doit être prévenu. L’orgueil de “ne pas se faire rouler” n’est rien d’autre que le respect rituel d’un ordre numératif où déjouer, c’est annuler. »
Ce que ne saurait déjouer ni annuler l’extrême droite française, c’est le surgissement retors et ambigu de Charles de Gaulle en mai 1958, qui semble offrir le coup d’État galonné idoine : rêvé avec Boulanger, réussi avec Pétain. L’UFF se rallie au général et disparaît dans la coulisse. Jean-Marie Le Pen bat également le rappel en faveur du futur fondateur de la Ve République, en lequel il voit le seul sauveur possible de l’Algérie française.
Fait souvent ignoré, Le Pen, grâce à son soutien à de Gaulle, devient un rescapé du naufrage électoral poujadiste : il se fait élire aux élections législatives de novembre 1958 (au scrutin uninominal majoritaire à deux tours), dans le Ve arrondissement de Paris. Ce n’est qu’à l’occasion de la dissolution de 1962 qu’il sera délogé de cette circonscription par le gaulliste de gauche René Capitant.
En 1986, Jean-Marie Le Pen retrouve donc le Palais-Bourbon, avec trente-quatre de ses congénères du Front national (fondé en 1972), formation qui vient de recueillir 9,9 % des suffrages (2 760 880 voix) : « En revenant à l’Assemblée nationale après vingt-cinq ans d’absence, une odeur de décadence m’a pris à la gorge. Elle était dans un triste état. Je me fais l’effet d’Hercule dans les écuries d’Augias », déclare le revenant dans National Hebdo.
Comme en 1956, se prévalant de ses quelques lumières en droit constitutionnel, Jean-Marie Le Pen se pose en champion du parlementarisme et de la démocratie, le 9 avril 1986, en réponse à la déclaration de politique générale du premier ministre Jacques Chirac : « Il convient de rendre au Parlement, dans le cadre constitutionnel qui est celui de la Ve République, les prérogatives qu’il a malheureusement, sous l’emprise du fait majoritaire, consenti à abdiquer. »
Coquetterie symptomatique supplémentaire, le député de désormais 57 ans s’exprime à la tribune sans lire un texte, prétendant ainsi illustrer la véritable oralité des débats héritée de la Révolution française : où l’on retrouve cette façon obsessionnelle de se réclamer de ce qu’on entend liquider, en une anthropophagie symbolique propre à l’extrême droite, toujours d’humeur à se nourrir du foie de l’ennemi…
Les contradictions à nouveau fourmillent chez ces nationaux-frontistes. Quête de respectabilité allant de pair avec un histrionisme indécrottable. Projets de loi régressifs (le rétablissement de la peine de mort) côtoyant un volet social prononcé ou se voulant tel (l’instauration d’un capitalisme véritablement populaire). Besogne législative et parlementaire prétendue sérieuse, fiable, respectable et soudain le dérapage désastreux, à l’exemple des misérables délires sur le sida.
Sans oublier le rapport de Jean-Claude Martinez consacré au budget de l’Éducation nationale. Remis sur la demande de la très policée commission des finances, il apparaît rédigé par une victime du syndrome de Gilles de la Tourette : « Trissotins pédago-pathogènes qui prolifèrent. […] Attouchements pédagogiques exercés sur une génération d’enfants. […] Accouplement des pédagogues et des syndicalistes, des pervers de l’Éducation nationale et des ratés de l’enseignement. […] Génocide culturel. »
Jean-Marie Le Pen lui-même ne manque pas une occasion de donner libre cours à ses obsessions sexuelles irrépressibles. Dans la vidéo ci-dessous, le voici vociférant à la tribune de l’Assemblée nationale. Il s’adresse à Jacques Chirac, à la manière d’un mâle alpha défiant son rival.
Le cabotinage du président du FN le conduit même à pousser la chansonnette, plus exactement une légère adaptation de l’air le plus connu de La Fille de madame Angot, opéra-comique de Charles Lecocq, que Jean-Marie Le Pen entonne avec une tessiture inattendue de ténor léger :
« Barras est roi, Lange est sa reine
C’n’était pas la peine, c’n’était pas la peine
Non pas la peine assurément
De changer le gouvernement. »
On pourrait en rire. Mais le pitre s’y croit déjà, avec une génération d’avance. La vidéo finale (ci-dessous) date de la campagne pour la présidentielle de 1988, alors que les chaînes dites d’information en continu n’existaient pas. Voici les prolégomènes de notre cauchemar politique actuel.
Cette émission de propagande illustre la conclusion que livrait à chaud le politologue Jean Touchard, en février 1956, un mois tout juste après la vague poujadiste – cette conclusion vaut plus que jamais en 2022, alors que l’extrême droite entend prendre au piège le Parlement : « Au total, moins un fascisme qu’une réserve pour le fascisme au cas où… »
Lien vidéo dans article original:
L’article intégral: https://www.mediapart.fr/journal/france/290622/quand-l-extreme-droite-invoquait-la-democratie-pour-la-saper-l-assemblee