Prison ferme pour les 7 de Briançon

Aide aux migrants: jusqu’à 4 mois de prison ferme pour les «7 de Briançon»

13 DÉCEMBRE 2018 PAR MATHILDE MATHIEU

Sept militants solidaires, surnommés les « 7 de Briançon », ont été condamnés, jeudi 13 décembre, à des peines de prison avec sursis, et jusqu’à quatre mois de prison ferme. Tous avaient participé à une marche ayant permis à des « sans-papiers » de franchir la frontière entre l’Italie et la France.

Le principe de « fraternité » consacré l’été dernier par le Conseil constitutionnel a ses limites, que le tribunal correctionnel de Gap (Hautes-Alpes) a jugé, jeudi 13 décembre, allégrement dépassées par sept militants solidaires des exilés, surnommés « les 7 de Briançon ».

Menuisier, chômeur, charpentière ou encore étudiante anarchiste, ils avaient comparu le 8 novembre dernier pour « aide à l’entrée » irrégulière sur le territoire français. En l’espèce ? Tous avaient pris part, le 22 avril, à une marche de plus de 150 personnes ayant permis à des migrants de franchir la frontière italo-française, initialement organisée pour riposter aux « gesticulations » de Génération identitaire (ce groupuscule d’extrême droite qui prétendait alors bloquer l’arrivée de « sans-papiers » à Briançon).

Âgés de 22 à 52 ans, cinq des prévenus ont été condamnés à une peine de six mois de prison avec sursis, en tout point conforme aux réquisitions du procureur. Deux autres, poursuivis pour des infractions supplémentaires et dotés de casier non vierges, ont écopé d’une peine d’un an de prison avec sursis dont quatre mois ferme – assortie pour celui qui se voit reprocher une « rébellion » d’une mise à l’épreuve de deux ans et de l’obligation d’indemniser ses victimes, des policiers. Le jour du procès, in extremis, le procureur avait abandonné la circonstance aggravante de « bande organisée ».

« On ne va pas se laisser faire, on va faire appel », réagit auprès de Mediapart Benoît Ducos, un ancien pisteur-secouriste de 42 ans, parti en maraude tout l’hiver dans « sa » montagne pour éviter que des migrants, des femmes et des enfants, lancés depuis l’Italie, se perdent sur les sentiers enneigés avant d’arriver jusqu’au refuge de Briançon.

« L’enjeu de ce procès était de savoir si la justice venait confirmer l’engagement de l’État aux côtés des identitaires, contre les solidaires et contre les migrants, poursuit-il. On a la réponse. C’est un grave signal envoyé à la société française : le tribunal fait le choix de la mort. En ce moment, à Briançon, des gens continuent de franchir la montagne par des nuits très froides, à moins 15 degrés déjà. Dans le même temps, nos signalements récents au parquet pour dénoncer le comportement de certaines forces de l’ordre, des gens pris en chasse et mis en danger, sont balayés. » Sollicité par Mediapart, le procureur de la République, Raphaël Balland, n’a pas encore retourné nos appels.

À l’hiver dernier, le visage de Benoît Ducos avait surgi sur les écrans télé de la France entière après son interpellation en plein « sauvetage », alors qu’il conduisait à l’hôpital une femme enceinte sur le point d’accoucher, accompagnée de son mari et de leurs enfants. Cette autre enquête a finalement été classée sans suite.

Jeudi après-midi, une centaine de personnes ont manifesté leur soutien aux « 7 de Briançon » dans les rues de Gap et devant le palais de justice, criant notamment : « Nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » Ou encore ce slogan « no border » : « Mur par mur, pierre par pierre, nous détruirons toutes les frontières ! »

Agacée par le bruit, la présidente du tribunal qui venait de lire le jugement et enchaînait déjà avec un autre procès, est sortie en robe de magistrate pour exiger le calme, en s’adressant à l’un des condamnés – une attitude assez inhabituelle. « Je vous attends, vous pouvez venir dans mon bureau quand vous voulez, a lancé Isabelle Defarge. Mais allez discuter de l’autre côté de la rue, que je puisse continuer à travailler tranquillement, c’est tout ce que je vous demande. »

 

En fait, les « 7 de Briançon » se confrontent à une réalité législative, désormais judiciaire : si le Conseil constitutionnel a décidé, l’été dernier, que toute personne apportant une aide aux migrants pouvait échapper aux poursuites pénales à condition qu’elle ait agi « sans contrepartie »et « dans un but exclusivement humanitaire », ces exceptions ne valent que pour les infractions d’« aide au séjour irrégulier » et d’« aide à la circulation » sur le territoire. Mais pas d’« aide à l’entrée », le délit précisément reproché aux « 7 de Briançon ».

LIRE AUSSI

Lors de l’audience, la présidente du tribunal s’était agacée en ces termes fleuris : « On n’est pas l’Assemblée nationale, on ne fait pas les lois, on n’est pas saisis d’un problème sociétal, on n’est pas payés pour ça. » Tandis que le procureur lançait : « Ce procès, dont certains ont voulu faire un symbole, ce n’est pas un procès sur l’aide aux migrants, pas du tout le procès de la solidaritéC’est un procès sur la frontière, le procès de ceux qui sont contre les frontières. »

Dans un communiqué diffusé jeudi soir, des associations de défense des droits des étrangers (la Cimade, le Gisti et l’Anafé) ont réagi en dénonçant de « lourdes » condamnations et « un tournant dangereux dans la répression des personnes solidaires », au lendemain de l’annulation partielle, par la Cour de cassation, de la condamnation de Cédric Herrou. « Nos organisations sont scandalisées et indignées (…). Le droit fondamental constitutionnel de manifester a été nié au profit d’une pénalisation toujours plus forte des personnes solidaires. »

Relire ici le compte rendu du procès du 8 novembre dernier, auquel Mediapart avait assisté.