Pétain le film

Pétain (1993)

un film de Jean Marboeuf, à voir ou à revoir

5 mai 1993 en salle / 2h 12min / Historique , Biopic

Par Jean-Pierre Marchand , Marc Ferro

Avec Jacques Dufilho , Jean Yanne , Jean-Claude Dreyfus

 

Pétain le film

France – 2h13
Sortie le 
5 mai 1993

Synopsis

Un portrait du maréchal Pétain, A la manœuvre avec Laval, que par ailleurs ill déteste, le maréchal est élu en juillet 1940 pour diriger le gouvernement de Vichy en collaborant avec l’occupant allemand. Les actes de l’homme ne sont pas ici seulement analyses, mais confrontes aux réactions de la société. L’Histoire est vue aussi bien d’en haut que d’en bas.

“ Un sujet bien complexe qui n’est ici qu’effleuré,malgré une interprétation brillante et une volonté évidente d’être le plus juste possible.  ” Télérama

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Par Conan Eric, L’Express,  publié le 29/04/1993

Voici un film dont l’existence constitue en soi un événement: pour la première fois (cinquante ans après), un long-métrage à gros budget (61 millions de francs) représente à l’écran Philippe Pétain et Pierre Laval, sous les traits de deux acteurs célèbres (Jacques Dufilho et Jean Yanne). Jusqu’ici, aucun interprète n’avait encore incarné le vieux maréchal, et le cinéma français n’a abordé cette période qu’à de rares occasions, toujours de façon périphérique, de biais, et avec plus ou moins de pertinence. Que l’on se souvienne des polémiques suscitées par «Le Chagrin et la pitié», «Monsieur Klein», «Lacombe Lucien», «Uranus», «Hôtel du Parc» et, tout dernièrement, «L’?il de Vichy». L’écran a joué depuis vingt ans un tel rôle dans les rapports troubles et obsessionnels qu’entretiennent les Français avec le souvenir de cette époque que chaque création d’images sur Vichy relève moins de l’actualité cinématographique que de l’introspection nationale.

Après six années d’obstacles surmontés par le producteur, Jacques Kirsner, et quatre projets avortés (dont un d’Alain Corneau), Jean Marboeuf a donc eu le courage d’aborder la question de face. L’événement – attendu autant que redouté – se présente enfin. Reste l’essentiel: est-il réussi? Oui.
Les critères de réussite d’un film à prétention historique ne sont qu’accessoirement esthétiques: compte tenu des enjeux de mémoire, il importe d’abord que des faits aussi complexes que ceux qui ont eu pour cadre Vichy soient évoqués avec intelligibilité et véracité. Malgré toutes les critiques qu’on peut lui faire par ailleurs, le «Pétain» de Jean Marboeuf a atteint cet objectif premier: il est globalement juste.
L’idée retenue n’a rien d’original. Elle appartient à la panoplie classique de la dramaturgie française: faire coexister dans une unité de lieu – Vichy, et surtout l’hôtel du Parc, siège du gouvernement – les dirigeants, qui mènent la France, et le petit peuple, qui essaie de comprendre. Trois niveaux de personnages permettent ce va-et-vient permanent entre l’Histoire vue d’en haut et celle vue d’en bas: le couple Pétain-Laval, l’entourage proche de Pétain (le Dr Ménétrel, son secrétaire, confident et médecin particulier; Henri du Moulin de Labarthète, son directeur de cabinet; Raphaël Alibert, garde des Sceaux; Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères; le commandant Bonhomme, etc.) et, enfin, le petit personnel de l’hôtel du Parc, à travers un jeune cuisinier, son épouse (femme de chambre), leurs collègues de travail et un autre groupe, composé d’un chanteur de charme (Jean-Pierre Cassel) et de son orchestre de musiciennes. Jean Marboeuf a déjoué le risque que lui faisait courir l’artifice de ce triple regard grâce à une multitude de détails subtils et de scènes de la vie quotidienne qui semblent purement décoratives, mais font diversion lorsqu’on passe de l’une à l’autre de ces trois petites sociétés. Adapté du «Pétain» de Marc Ferro (Fayard, 1987), le scénario doit visiblement beaucoup au «Laval» de Fred Kupferman (Balland, 1987) et au regard ironique et désabusé d’un témoin de premier plan, du Moulin de Labarthète, qui quitta Vichy en 1942 et publia des souvenirs amers et goguenards («Le Temps des illusions», Le Cheval ailé, 1947).
L’efficacité d’un film historique se juge à sa capacité de mettre en scène des vérités qui ont habituellement du mal à passer. Jean Marboeuf y parvient, et sur trois questions aussi essentielles que controversées:
- L’avènement de Philippe Pétain. Le caractère légal et démocratique de l’arrivée au pouvoir du Maréchal dans le cadre des institutions de la IIIe République reste une vérité taboue, vite recouverte après guerre par le récit gaulliste frappant Vichy d’inexistence. Contrairement à ce qui continue souvent d’être dit ou écrit, il n’y eut ni «complot», ni putsch, ni tour de passe-passe, mais un plébiscite parlementaire massif et tout à fait régulier, habilement suscité par un Pierre Laval qui en avait l’habitude.
- Le rôle des élites. A l’encontre de l’image – parallèle à la précédente – d’un Vichy constitué d’un quarteron isolé de vieillards et d’arrivistes, Jean Marboeuf souligne bien l’ampleur de l’adhésion des représentants de l’Etat républicain, à commencer par le sommet: grands corps, hauts fonctionnaires, magistrats, préfets, universitaires…
- Le couple Pétain-Laval. La mythologie française entretient une image faussée de ce duo. D’un côté, un héroïque et dévoué vieillard, qui s’est peut-être trompé, mais qui avait de bonnes intentions et ne voulait de mal à personne (en gros, ce qu’ont expliqué les magistrats de la chambre d’accusation de Paris, l’année dernière, rejoignant un sentiment assez répandu, puisque les sondages montrent que 40% des Français ont une bonne opinion du Maréchal). De l’autre, le maudit, l’horrible personnage, pervers et manipulateur, seul responsable de la mauvaise conduite de Vichy et même des malheurs de Pétain. S’il fallait ne reconnaître qu’un mérite au film de Jean Marboeuf, ce serait de contribuer à remettre les choses à l’endroit. En rendant à chacun son rôle exact, établi depuis longtemps par les historiens. Un Pierre Laval (admirable Jean Yanne) politicien maquignon et républicain perverti, adepte d’un «réalisme politique» sans limites, qui mise sur la victoire nazie et négocie une place pour la France dans la nouvelle Europe allemande. Politique sans honneur, mais qu’il revendiquera et défendra ouvertement, jusqu’à son procès. Un Pétain obsédé par sa Révolution nationale, la destruction haineuse de la République et l’antisémitisme d’Etat (pratiqué par Vichy avant les exigences nazies et indépendamment d’elles). Thèmes qui rencontraient l’indifférence de Laval et sur lesquels, loin d’être «gâteux», le vieux maréchal se comportait en activiste, mais avec hypocrisie et lâcheté. Coïncidence, ces rétablissements de perspective rejoignent un ouvrage traduit de l’anglais, «L’Affaire Pétain» (éd. du Félin), qui sort en librairie en même temps que le film. Bon connaisseur de la France, son auteur, Paul Webster, correspondant du «Guardian» à Paris, essaie d’expliquer à ses compatriotes ce mystère des rapports surprenants qu’entretiennent les Français avec le Maréchal. Rapports qui lui paraissent empreints d’une indulgence et d’une admiration historiquement inadmissibles.
DES MANQUES GÊNANTS
La réussite de cette première tentative que constitue le film de Jean Marboeuf pourrait inciter à taire les regrets que provoquent quelques manques, facilités et inexactitudes. Ou au contraire à les admettre d’autant moins que beaucoup semblaient faciles à éviter.
Les manques sont les plus gênants: le traumatisme incommensurable de la défaite, qui baigne cette année 40 et explique les débuts de Vichy, n’apparaît pas vraiment. Reproche régulièrement adressé aux oeuvres sur cette période. Mais peut-être les effets provoqués par l’événement sans pareil que constitue l’effondrement d’une nation ne sont-ils pas représentables? Autre manque: la trop faible place accordée aux contraintes extérieures et au rôle de l’occupant.
Les facilités sont déplaisantes. En particulier le rôle et l’attitude – béate – prêtés à René Bousquet, inexacts mais chargés, pour des raisons évidentes. Ou le fait d’insister sur l’appel à la fraternisation avec les soldats allemands, lancé en 1940 par le Parti communiste, sans évoquer ni les militants qui le refusèrent ni le revirement de 1941 (on reconnaîtra là l’incorrigible patte trotskiste de Jacques Kirsner).
Quant aux inexactitudes, elles restent assez mineures pour ne jamais compromettre l’ensemble. On retiendra quelques inversions chronologiques d’événements survenus avant ou après l’invasion de la zone sud, le personnage faux de la maréchale (qui n’était pas cette mamie lucide et dévouée qu’on nous montre) ou le ton du discours de Laval, le 10 juillet 1940 (en réalité très violent). Séquence forte du film, moment de vérité donnant la clef des deux personnages, le long dialogue final entre Pétain et Laval, seuls devant la silhouette du château de Sigmaringen, est, quant à lui, totalement… imaginaire! Cet artifice rappelle l’un des paradoxes du genre: un film historique n’a pas toujours besoin d’être exact pour être juste.
Il est en revanche dommage que ce «Pétain» se termine sur une sentence fausse et imbécile: «Le pétainisme n’a jamais été jugé.» Le pétainisme a été jugé. Mal, mais il a été jugé. C’est d’ailleurs ce qui illustre une partie du problème français: bien que jugé, le pétainisme n’en finit pas de nous encombrer.

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On peut regretter une certaine complaisance vis à vis de personnages tels Pétain, Laval, et tous les intrigants qui courtisaient à l’Hôtel du Parc pour obtenir des postes et des avantages. Cependant, à travers ce film, le mythe Pétain, bouclier de la France, en complément du général de Gaule dans le rôle l’épée, est déconstruit, et il m’est apparu comme un lâche qui s’est joué des circonstances pour accéder au pouvoir, en tirer les bénéfices et récolter les lauriers du sauveur, alors qu’il n’a fait que servir ses intérêts et son orgueil.

De la débâcle de juin 40 où Pétain soutenu par une frange réactionnaire et défaitiste, partisans de l’armistice, met la main sur le pouvoir, aux derniers jours d’un pouvoir fantoche réfugié en Allemagne . Dans le contexte actuel où des hommes politiques, ou improvisés tel le tonitruant et détestable Zemmmour,  réécrivent l’histoire et embellissent le rôle jouer par Pétain, un tel film, même avec ses imperfections, n’est pas inutile… Ac