Valérie Pécresse justifie son utilisation de l’expression complotiste « grand remplacement » au cours d’un meeting à Paris (Extraits)
A deux mois de l’élection présidentielle, la candidate des Républicains a tenté de relancer sa campagne au cours de son premier grand meeting, dimanche à Paris.
Par Service politique Le Monde, Publié hier (le 14 fev 2022)
Valérie Pécresse au cours de son meeting, au Zénith de Paris, le dimanche 13 février. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Un discours très attendu, mais une prestation critiquée sur la forme et sur le fond. Mise sous pression après une semaine marquée par les défections et les critiques dans son propre camp – à l’image des propos de Rachida Dati –, la candidate du parti Les Républicains (LR), Valérie Pécresse, souhaitait se relancer avec son premier grand meeting de campagne organisé au Zénith de La Villette à Paris, dimanche 13 février. Mais sa prestation a peu convaincu, à deux mois de l’élection présidentielle.
(…) Mais c’est surtout le fond de son texte, résolument à droite, qui a retenu l’attention. Avec notamment un passage : « Dans dix ans, serons-nous encore la septième puissance du monde ? Serons-nous encore une nation souveraine ou un auxiliaire des États-Unis, un comptoir de la Chine ? Serons-nous une nation unie ou une nation éclatée ? Face à ces questions vitales, pas de fatalité. Ni au grand remplacement ni au grand déclassement. Je vous appelle au sursaut. » Mme Pécresse y reprend ainsi à son compte la théorie complotiste popularisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus et reprise régulièrement par Eric Zemmour.
(…) De son côté, le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, a fait part de sa « sidération de voir une candidate qui se dit républicaine reprendre les mots et les concepts de l’extrême droite » et dénonce une « dérive permanente de la droite ».
« Le grand remplacement de la droite par l’extrême droite, voilà ce qui est apparu ce week-end. Trois candidatures pour une même haine, a critiqué également la députée de La France insoumise Clémentine Autain, évoquant Mme Pécresse, Marine Le Pen et Eric Zemmour. Que ce soit dit lentement ou rapidement, mal ou bien, la violence du discours est de nature semblable. »
Article réservé à nos abonnés
L’association SOS-Racisme a, elle aussi, jugé « pas dignes » les propos de la candidate LR, lundi. « Les propos de Valérie Pécresse ne sont pas dignes d’une prétendante majeure à la présidence de la République », a déclaré le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo, cité dans un communiqué, regrettant que le niveau de débat « s’effondre dans la médiocrité, l’irrationalité et la violence sous l’influence de l’extrême droite ». « Valérie Pécresse a tort de vouloir donner des signes à un électorat radicalisé, car cet électorat n’est jamais assez assouvi de haine. En outre, l’on sait, sur la base des attentats de Christchurch [en Nouvelle-Zélande, en 2019], que la théorie du grand remplacement peut entraîner des conséquences mortelles », ajoute M. Sopo.
Près de 7 000 personnes étaient réunies dimanche 13 février, pour le premier grand meeting de Valérie Pécresse au Zénith à Paris. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Un terme déjà repris dans les débats du congrès LR
Invitée de RTL lundi matin, Mme Pécresse a assuré qu’en reprenant ce terme elle avait voulu dire : « Je ne me résigne pas justement aux théories d’Eric Zemmour et aux théories de l’extrême droite, parce que je sais qu’une autre voie est possible. » « C’est ce que j’ai dit hier et tout le monde me fait dire le contraire », a-t-elle ajouté. Et de rappeler : « C’est une phrase que j’ai prononcée dix fois dans la primaire, et tous les commentateurs qui la reprennent ont des mémoires de bigorneau. » Lors du deuxième débat avant le congrès des Républicains, à la mi-novembre, Mme Pécresse avait, en effet, déjà utilisé cette formule en conclusion. « Ce soir, après dix ans d’immobilisme, et de mauvais choix, il ne tient qu’à nous de reprendre notre destin. J’ai la conviction que nous ne sommes condamnés ni au grand déclassement ni au grand remplacement », avait-elle alors déclaré.(…)
Au même moment sur LCI, un autre prétendant malheureux au congrès LR, Michel Barnier, a tenté de défendre la candidate. Selon lui, Mme Pécresse a, au contraire, « utilisé ce mot pour dire qu’elle n’en voulait pas. Pas de malentendu possible. Elle dit qu’elle ne veut [pas] des théories de M. Zemmour », a-t-il assuré.
******
Pécresse au Zénith : un meeting raté et des emprunts à l’extrême droite
La candidate Les Républicains espérait faire de son premier grand meeting le véritable lancement de sa campagne présidentielle. Laborieux dans la forme, son discours a surtout été l’occasion de clins d’œil aux idées d’extrême droite. Extraits
Ilyes Ramdani, 13 février 2022, Médiapart
(…)
Pour elle, l’enjeu était de taille. Il s’agissait d’abord de relancer une campagne apathique, que l’empilement de propositions techniques a eu toutes les peines à mettre en branle. Il s’agissait, aussi, de démontrer l’unité de la droite Les Républicains (LR) derrière sa candidate, ébranlée ces derniers jours par les critiques de Nicolas Sarkozy et les défections, celle d’Éric Woerth en tête.
C’est la seule réussite dont pouvait se targuer dimanche soir l’équipe de campagne de Valérie Pécresse. La carte postale est conforme à ce qu’attendait la candidate : un Zénith plein, une brochette de ténors au premier rang et une salle qui a crié « On va gagner ! » et agité des drapeaux français toutes les dix secondes. À la sortie du meeting, Madeleine, une retraitée des Hauts-de-Seine, a le sourire : « C’était revivifiant. » Geneviève aussi, centriste venue du Val-de-Marne : « J’ai trouvé ça très bien ! Elle a une énergie incroyable. »
Malheureusement pour Valérie Pécresse, les quelques milliers de personnes présentes au Zénith n’étaient pas la France, pas même la France de droite. C’était, en revanche, la « droite Pécresse » qui avait répondu à l’appel de sa championne : une population majoritairement francilienne, urbaine, plus jeune et féminine que l’électorat moyen de la droite. Derrière son pupitre, la candidate a par exemple pu s’enivrer de l’énergie du « XVIIe avec Pécresse » et de sa large banderole, agitée par un groupe actif de militants parisiens.
Sur le fond, la candidate de droite a déroulé les grandes lignes de son fillonisme modernisé : baisse des dépenses publiques, réforme des retraites et de l’assurance-chômage, augmentation du temps de travail et de l’âge de départ à la retraite, investissement massif pour la ruralité, plan « radical » de décentralisation, priorité donnée à la sécurité et développement d’une « France de propriétaires ».
Un programme classique à droite, auquel elle a voulu ajouter un peu d’elle-même et de ses marqueurs politiques. La présidente de la région Île-de-France a raconté sa vie de femme « et ses humiliations subies en silence », après s’être posée en « candidate des familles », ce « socle sur lequel tout repose ». « Chaque fois qu’un couple se forme, que des enfants naissent, la vie est là, plus forte que l’adversité », a-t-elle dit. Sur l’école, elle a pris l’assistance à témoin : « Indignez-vous, levez-vous pour notre école ! », a-t-elle exhorté, promettant de « construire la nation éducative, celle du respect du professeur, de l’exigence et de l’égalité des chances ».
Un peu de droite libérale, un peu de droite sociale et une grosse poignée d’extrême droite
Surtout, Valérie Pécresse s’est efforcée de donner à sa campagne l’élan qui lui manquait. Elle a évoqué une quinzaine de fois la « nouvelle France » qu’elle souhaitait construire, invoqué « l’audace de l’espérance », expliqué son souhait de voir renaître « la grandeur de la France » et promis d’être la présidente de la « réconciliation nationale » et du « courage de faire ». Empruntant tour à tour à François Fillon et Nicolas Sarkozy, les deux derniers candidats de son camp, elle a pris au premier un discours de « vérité » sur les finances publiques et au second un éloge de « la France des ronds-points et des premiers métros ».
Tout à son souhait de retenir l’électorat de droite tenté par Éric Zemmour, elle a aussi agrémenté son discours de clins d’œil à l’extrême droite. Ainsi, Valérie Pécresse a emprunté à son concurrent les concepts de « grand déclassement » et de « grand remplacement » : non pour les démonter mais pour assurer qu’elle était la mieux armée pour y faire face. De même, elle a assuré qu’elle ne souhaitait pas de « Français de papiers », autre expression récurrente de l’extrême droite, et souligné que « Marianne n’est pas une femme voilée ».
Lorsqu’il s’est agi de parler d’écologie, la candidate LR a défendu une vision conservatrice du sujet, similaire en tous points à celle portée par Marine Le Pen. « Aimer la France, c’est aimer sa nature, a-t-elle avancé. Nos paysages sont uniques, magnifiques, inspirants. Qui aime son pays le protège, il le transmet comme on transmet un trésor. » Pas de mention, en revanche, des problématiques liées aux transports, à la condition animale ou aux énergies renouvelables, sur lesquelles ses positions sont moins consensuelles à droite.
L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy n’était pas venue imposer sa ligne ou renouveler le logiciel idéologique de son camp. Elle était venue rassurer sur sa capacité de fédérer les siens et, demain, à remporter l’élection présidentielle (…)
Même aux moments les plus forts du discours, il n’était pas rare de voir des rangs entiers rester assis, certaines spectatrices et spectateurs pianoter sur leur téléphone ou d’autres agitant mollement leur drapeau tricolore. Ainsi de la conclusion de Valérie Pécresse, censée lui permettre de « fendre l’armure », comme elle le promettait dans le JDD dimanche matin. « Vous êtes en droit de savoir qui je suis », a-t-elle assuré à la salle.
Retraçant sa trajectoire personnelle, elle a salué ses « 27 ans d’amour avec Jérôme », son mari, s’est souvenue de l’enfance où elle se rêvait « d’Artagnan, Cyrano ou le hussard sur le toit », et a détaillé un parcours qu’elle aurait écrit « sans rien hériter ». Un storytelling qui lui a permis de gommer certains éléments, comme lorsqu’elle a assuré être devenue députée contre « les sondeurs » qui disaient son combat « perdu d’avance » : en 2002, c’est Jacques Chirac en personne qui l’a parachutée dans un bastion de droite, au cœur des Yvelines.
Tant pis pour l’exactitude, l’heure était au souffle. « Je suis cette femme française indomptable, a-t-elle lancé. Rien ne m’arrêtera. » Une puissance du verbe qui tranchait avec le sentiment du moment. À la fin du discours, tout ce que la droite compte de chefs à plumes est monté sur scène pour accompagner la candidate. (…)