A Paris, des migrants afghans chassés chaque soir
Alors que la question de l’accueil des réfugiés afghans redevient brûlante depuis la prise de Kaboul par les talibans, un groupe de demandeurs d’asile venus à Paris il y a plusieurs semaines, voire plusieurs mois, racontent comment la police les repousse chaque soir en dehors de la ville, parfois de façon brutale.
par Julie Richard et Justine Daniel, Libération
Emmitouflé dans son sweat-shirt rouge, Samsullah laisse exploser sa colère. La voix forte et les gestes saccadés, le jeune Afghan au corps élancé, arrivé en France il y a quelques mois à peine, se dit «à bout de forces». «On dort sous un pont, toutes les nuits la police nous réveille à coups de pied [mimant la scène, ndlr], nous qui dormons à même le sol», raconte-t-il. Depuis trois semaines, le jeune homme de 24 ans a pris l’habitude de se rendre au parc de la Villette, à Paris, pour y passer la nuit. Une soixantaine de jeunes migrants, principalement originaires d’Afghanistan, se rassemblent à la lumière tombante ce mardi sous le pont du canal de l’Ourcq (Paris XIXe), espérant dormir au sec.
Alors qu’Emmanuel Macron, dans une allocution télévisée lundi, s’est engagé à accueillir des Afghans piégés dans leur pays tombé sous le joug des talibans, à Paris plusieurs demandeurs d’asile sans abri, qui ont quitté leur pays car ils avaient peur pour leur vie, racontent être délogés chaque soir par la police du lieu où ils tentent de dormir. «Nous assistons à un phénomène de harcèlement des policiers à l’encontre d’un groupe de demandeurs d’asile afghan», témoigne Pierre Mathurin, directeur d’Utopia 56, dont l’association a publié une première vidéo publiée dimanche 15 août sur Twitter. On y voit des agents de police chasser des personnes allongées sous ce pont parisien, le jour même où les talibans entraient dans Kaboul.
Couvertures élimées sur les épaules, gobelets en plastique à la main, tous s’agglutinent vers les thermos de thé que les bénévoles du collectif Solidarité Migrants Wilson laissent à leur disposition sur les pavés froids du quai. Nombre d’entre eux sont entrés en France ces derniers mois. Certains, arrivés à Paris il y a quelques jours à peine, n’ont pas encore pu entamer leur procédure de demande d’asile. Le regard las, un jeune homme erre entre les groupes, une tente sous le bras. «Il n’ose pas installer sa tente», explique Lolita Collet, bénévole, arborant un gilet de sécurité blanc aux couleurs du collectif. «Il m’a envoyé un SMS tout à l’heure pour me demander s’il y avait des chances que la police la lui confisque.»
«Ils nous empêchent de dormir pour qu’on soit obligés de partir»
Plusieurs opérations d’évacuation ont eu lieu cet été, permettant à certains de bénéficier d’un logement d’urgence. Mais ici, depuis plus d’une semaine, les interventions de la police s’enchaînent sans offrir aux personnes présentes de solution alternative. Mohammadali, 23 ans, jeune demandeur d’asile de la minorité hazara, débouté pour la deuxième fois ce mois-ci, s’inquiète pour sa mère et ses deux frères restés en Afghanistan. «Je n’ai pas de nouvelles d’eux depuis un mois. Depuis dimanche, j’essaye de les appeler mais ils ne répondent pas. J’espère qu’ils sont toujours en vie.» Il vient ici chaque jour depuis une semaine : «La police vient en pleine nuit, parfois plusieurs fois par nuit, ils nous empêchent de dormir pour qu’on soit obligés de partir mais on a nulle part d’autre où aller», dit-il. Un témoignage similaire à plusieurs autres entendus ce soir-là.
Parmi ceux-là, Abdul, 26 ans. Il raconte avoir quitté sa province de Kounar, à l’est de Kaboul, frontalière du Pakistan, en 2020. «Mon père était enseignant et travaillait pour une ONG. A un moment, c’est devenu un problème pour les talibans et plusieurs personnes de mon village.» Il y a deux mois, il atterrit à Paris. Il compte désormais les jours avant son rendez-vous à la préfecture. Depuis une semaine, le jeune homme dort sous ce pont. Il y a rencontré plusieurs fois la police. «Le 13, à 5 heures du matin, j’ai reçu des gaz lacrymogènes, je ne voyais plus rien. Le 15 [soir de la première vidéo d’Utopia 56, ndlr], ils sont arrivés à trois dans un premier temps. Ils m’ont dit “go to your fucking country, allez-vous-en, vous n’avez rien à faire ici“», dit-il en mimant un geste de la main.
Des interventions violentes également décrites par Mohammadali : «Ils sont venus avec des gaz et des bâtons et ils tapent sur les tentes, ils prennent les couvertures et ils poussent les gens pour qu’ils partent.» Plus tard, dans la soirée du mardi 17 août, Camille Chirache, bénévole du collectif, a assisté à une autre évacuation. Vidéos à l’appui – une autre a été partagée par Utopia 56, le 18 août – la jeune femme décrit une action sans violence physique, malgré le fait que les policiers soient «arrivés matraque et gazeuses [bouteille de gaz lacrymogène, ndlr] à la main». Les migrants qui étaient allongés là ont été invités, comme chaque soir, à se décaler de plusieurs dizaines de mètres, toujours le long du canal de l’Ourcq mais côté Seine-Saint-Denis et non plus Paris. Une politique de la patate chaude dénoncée depuis de longs mois par des élus de Seine-Saint-Denis.
Walid Omari, la trentaine, récépissé de demande de titre de séjour en poche, dort ici «depuis un mois». Ce «traducteur pour l’armée américaine de 2011 à 2014» a quitté Parwân, région au nord de Kaboul. «On a pu suivre la situation en Afghanistan grâce aux réseaux sociaux. Moi et mes camarades on en était tous malades, nous étions si tristes que l’on ne pouvait plus parler.»
«Empêcher la constitution de campements sans apporter de solution d’hébergement durable»
«Je suis venu ici car j’avais peur pour ma vie et maintenant je suis sans abri, je n’ai pu démarrer aucun projet…» se désole-t-il. Sa fiancée est à Cherbourg (Manche), où elle étudie pour devenir infirmière. Il espère qu’elle pourra le rejoindre «quand j’aurai eu des papiers». En attendant, il décrit le même manège chaque soir, sous la pression policière : «Nous allons toujours au même endroit, on marche une centaine de mètres. On décale nos couvertures le long du quai», confirme-t-il mercredi par téléphone. Et d’ajouter : «On leur a dit qu’on n’était pas en sécurité. Ils [les policiers, ndlr] répondent que ce n’est pas leur problème. […] J’y retourne ce soir, oui, je n’ai pas d’autre endroit où dormir.»
Selon Victor Drouet, bénévole d’Utopia 56 également présent mardi soir vers 23 heures, «l’idée de la police était de les faire sortir de la juridiction de Paris». «Dans ce dossier, la stratégie de l’Etat consiste à empêcher la constitution de campements sans apporter de solution d’hébergement durable», s’indigne auprès de Libération Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugiés. Cela n’a rien d’une politique publique, c’est simplement une politique de gestion de l’espace public sans autre dessein.» Contactée à plusieurs reprises par Libération mercredi 18 août, la préfecture de police de Paris n’a pas souhaité répondre.