Moïse battu à mort au Brésil

Brésil: émotion après la mort de Moïse, jeune Congolais battu à mort sur une plage de Rio

Moïse Kabagambe, un jeune Congolais de 24 ans, a été battu à mort sur une plage de Rio après avoir réclamé le versement de deux journées de salaires impayés. L’émotion au Brésil est vive.

La mort du jeune homme originaire de RDC suscite une vague d’indignation au Brésil. La brutalité des sévices subis ( il a été roué de coups durant de nombreuses minutes avec des bâtons et une batte de baseball, pieds et poings ses poignets liés à l’aide d’une corde) et la diffusion des images issues des caméras de surveillance ont provoqué des réactions en chaîne sur les réseaux sociaux et de nombreuses personnalités publiques ont tenu à condamner ce crime.

Des hashtags #JusticaPorMoiseMugenyi et #JusticaPorMoise circulent pour dénoncer les violences qui ont provoqué la mort de Moïse.  

Le chanteur Caetano Veloso, artiste populaire et engagé, légende vivante de la musique brésilienne, a exprimé sa tristesse et déploré la violence qui sévit au Brésil, et qui a tué quelqu’un qui lui même fuyait la violence de son pays. 

Moïse Kabagambe est arrivé au Brésil avec une partie de sa famille en 2011, fuyant le conflit armé qui sévit depuis des décennies en République Démocratique du Congo.

Gabigol, attaquant de Flamengo, club de football le plus populaire de la ville, a également rendu hommage au jeune homme.

Brésil justice pr moïse

Des mouvements de débrayage se sont organisés dans le pays.

 Selon des médias locaux, trois personnes se trouvent actuellement en détention dont deux se sont présentées d’elles-mêmes à la police après avoir avoué participer au meurtre.

RFI (avec agences) le 02/02/2022

 

LE RACISME AU BRÉSIL

Le racisme au Brésil est un fait social qui a une dramatique traduction dans les statistiques ethniques du pays. Au-delà des écarts socio-économiques abyssaux relevés entre les Afro-brésiliens et les Blancs, le « racisme cordial » s’exprime également au travers d’une idéologie du blanchiment.

 En l’an 2000, une étude de l’Observatoire Afro-brésilien, d’après les résultats du recensement de la même année réalisée par l’IBGE, indiquait que pour 4$ de richesse produite au Brésil, presque 3$ se retrouvait dans la poche des Blancs (qui représente 53,8 % de la population). Les Noirs et les Métis (45,3 % de la population) se partagent le dollar restant.

En d’autres termes, les Blancs captent 2,86 fois plus de richesses (salaires, retraites, aides sociales etc.) que les Noirs et Métis.

L’homme blanc accapare à lui seul la moitié de la richesse brésilienne. Les femmes noires, grandes victimes de toutes les discriminations, captent 3 fois moins de richesses que leurs alter-ego blanches. Les femmes blanches, quant à elles, captent deux fois moins de richesses que leurs frères mais sont toujours mieux dotées que les hommes noirs ou métis.

On peut donc prétendre que le racisme au Brésil a un impact économique plus fort que la discrimination sexuelle, dans un pays qui parfois semble avoir érigé le machisme en vertu.

La même étude montre que :

  • Les 10 % les plus pauvres captent à peine 1,2 % de la richesse nationale. Parmi eux, 73 % sont noirs et métis.
  • Les 10 % les plus riches captent 49,2 % de la richesse nationale. Parmi eux, 82,2 % sont blancs et 17,5 % sont noirs ou métis
  • Les 20 % les plus riches captent 64,6 % de la richesse nationale. 49,4 % de ce total est accaparée par les Blancs.

 

En 2007, le salaire moyen d’un Noir était encore pour moitié inférieur à celui d’un Blanc. Les Afro-brésiliens sont, sans surprises, sur-représentés dans les emplois sous-qualifiés (domestiques, travaux agricoles, construction civile).

Plus grave, les Afro-brésiliens qui, bien souvent, travaillent dans le secteur informel, se retrouvent de facto privés de pensions de retraite et de couvertures sociales. Dans ses conditions, comment ne pas s’étonner que leur espérance de vie soit de 6 ans inférieure à celle des Blancs ?

 Le racisme au Brésil demeure un sujet tabou. Dans la pratique, pour réussir son inclusion au Brésil, il faut se « blanchir ». Comme le notait il y a des années le sociologue Roger Bastide, « au Brésil, une goutte de sang blanc suffit à classer l’individu dans le groupe des Blancs »

Ainsi, une étude de 1976 portant sur des ménages brésiliens, invités à décrire eux-mêmes la couleur de leur peau établissait un panel étonnant de 136 couleurs.

Comme l’indique Lamia Oualalou, parmi ces différentes teintes, « on trouve ainsi pêle-mêle la cannelle, le cuivre, le blanc pâle, le blanc sale, le châtaigne, l’étonnant bleu pour qualifier le noir profond, mais aussi les qualificatifs « couleur de rose », « couleur de blé », « couleur brûlée de plage » ou « polonaise » et « galicienne » ».

Outre les aspects économiques et sociaux, le racisme au Brésil s’associe également à une idéologie du blanchiment corrélée par des préjugés esthétiques.

Ce sont là tous les produits de beauté pour se lisser les cheveux. Ce sont toutes ces belles mulâtresses sur les plages qui se badigeonnent de substances chimiques pour blanchir leurs corps de rêve, à la beauté célébrée dans le monde entier, et qui participent ainsi aux salaires de misère de leurs cousins vendeurs ambulants qui crapahutent sur ces plages paradisiaques pour leur vendre des produits toxiques à base d’ammoniaque.

Le racisme au Brésil, c’est aussi un blanchiment culturel, parfois audible au mépris affiché par des Noirs face au candomblé et autres manifestations de la culture afro-brésilienne ; tant et si bien qu’on oublie parfois que le préjugé racial peut s’avérer plus virulent entre Mulâtres et Noirs qu’entre Blancs et Noirs.

Tout est ici affaire de distinctions et de concurrence et on y trouve de tout :

  • des Mulâtres qui veulent se distinguer des Noirs pour mieux intégrer l’univers socio-économique des Blancs
  • des Blancs qui se rapprochent des Noirs parce qu’ils retrouvent dans les arts afro-brésiliens un folklore fondateur de la nation brésilienne
  • des Blancs qui réprouvent l’ascension des Métis parce qu’ils viennent les concurrencer dans leur niche économique.

 

Aujourd’hui, le racisme au Brésil ne laisse ni la société civile ni le gouvernement fédéral indifférent.

D’un côté la société civile se mobilise tant bien que mal pour fonder des associations qui promeuvent la culture afro-brésilienne.

De l’autre, les gouvernement brésiliens s’essaient à la discrimination positive avec une politique de quotas (dans les universités, au cinéma, à la télévision, etc.), des programmes de bourses spécifiques (par exemple PROUNI pour les étudiants issus de minorités défavorisés), d’autres aides sous conditions de ressources pour les plus défavorisés (et donc les Afro-brésiliens), et même, depuis le premier mandat de Lula, une obligation pour les établissements scolaires, d’enseigner l’Histoire de l’Afrique et de la culture afro-brésilienne.

La marche pour l’égalité est encore bien longue et il faudra encore bien des années pour évaluer la pertinence de ces dispositifs, calqués sur le modèle américain et qui ont en partie contribué à l’élection d’un certain Barack Obama.