Présidentielle 2022 : entre Marine Le Pen et le nationaliste hongrois Viktor Orban, une proximité très inspirée
Si la candidate d’extrême droite reconnaît seulement « une vision » commune de l’« organisation européenne » avec le dirigeant populiste, son programme témoigne en réalité de nombreux emprunts, des référendums au droit des étrangers.
Par Jean-Baptiste Chastand(Vienne, correspondant régional) et Hélène Bienvenu(Varsovie, correspondance)

La Hongrie, gouvernée par le nationaliste Viktor Orban depuis douze ans, a subitement fait son entrée dans la campagne de l’entre-deux-tours en France. « Quand l’extrême droite se met à dire : “Je choisis les journalistes qui viennent ou qui ne viennent pas” (…), elle fait la même chose qu’on fait en Hongrie », a estimé, mardi 12 avril, le candidat Emmanuel Macron, en référence à l’exclusion par Marine Le Pen des journalistes de « Quotidien » d’une de ses conférences de presse.
La proximité affichée de la candidate du Rassemblement national (RN) avec le dirigeant hongrois de 58 ans, connu pour avoir construit un Etat aux contre-pouvoirs affaiblis sur les bords du Danube, est notoire : Viktor Orban a officiellement apporté son soutien à la candidate d’extrême droite dès février. Mais, mercredi 13 avril, la leader d’extrême droite a seulement reconnu partager avec M. Orban « une vision » de « l’organisation européenne », qui consiste à « redonner aux nations plus de pouvoirs et à l’UE [Union européenne] moins de pouvoirs ».
En réalité, cette proximité va bien au-delà. Principale proposition de Mme Le Pen, la volonté d’organiser des référendums sur tous types de sujets est devenue un instrument très usité dans la Hongrie d’Orban où deux référendums et une profusion de consultations nationales ont permis d’asseoir les dernières obsessions du pouvoir. Le 3 avril, lorsqu’ils ont réélu triomphalement M. Orban, avec plus de 54 % des voix, les Hongrois ont aussi été appelés à s’exprimer sur « la promotion des traitements de changement de sexe pour les mineurs » ou « l’enseignement de l’orientation sexuelle aux enfants mineurs ». Le référendum a été invalidé faute de participation, mais la thématique a dominé la campagne des législatives hongroises d’avril, aux côtés de la guerre en Ukraine.
« On essaie de reprendre ce qui marche ailleurs »
Dans le programme de Marine Le Pen, d’autres points sont un calque parfait des politiques menées par M. Orban. A commencer par « un prêt immobilier pouvant aller jusqu’à 100 000 euros », proposé aux familles et transformable « en don » à partir du troisième enfant. Orban a mis en place quasiment la même mesure, ce qui a permis de faire légèrement remonter le taux de natalité hongrois, qui reste néanmoins bien inférieur à celui de l’Hexagone. « La France a été un modèle pour nous concernant les politiques démographiques, et maintenant, le RN regarde ce qui se passe en Hongrie, c’est très bien », se réjouit Adam Balazs, chargé des relations internationales du Fidesz, le parti de M. Orban.
Autre aspect-phare de son programme : Marine Le Pen veut « traiter les demandes de droit d’asile uniquement à l’étranger ». Viktor Orban l’impose depuis 2020, rendant quasiment impossible la requête de l’asile en Hongrie, d’où une énième procédure d’infraction lancée par la Commission européenne. La candidate à la présidentielle souhaite exonérer d’impôts les moins de 30 ans ? Orban vient de le faire pour les moins de 25 ans.
Au RN, on assure ne pas être frappés par la similitude de ces mesures. « Parler d’un calque serait très exagéré. On essaie de reprendre ce qui marche ailleurs », se contente d’affirmer Hélène Laporte, présidente du groupe RN au Parlement européen, qui s’est rendue à Budapest, le 3 avril, pour assister à la réélection de M. Orban. Comme tous les dirigeants du RN, elle refuse de parler de relation privilégiée avec le Fidesz. « On n’est pas plus souvent à Budapest qu’on est auprès de nos partenaires de Chega ou de Vox, au Portugal et en Espagne, ou chez les Italiens. »
« La notion d’Etat de droit est très floue »
Cette prudence s’explique par l’ancrage financier de la campagne de Mme Le Pen en Hongrie. Après avoir essuyé des refus de la part des banques françaises, la candidate du RN finance sa campagne avec un prêt de la banque hongroise MKB. Officiellement, M. Orban n’a joué aucun rôle dans ce prêt de 10,7 millions d’euros, mais cette thèse est difficile à croire tant le secteur bancaire hongrois est proche du pouvoir : l’ami d’enfance de M. Orban et première fortune hongroise, le controversé homme d’affaires Lorinc Meszaros, est d’ailleurs l’un des principaux actionnaires de la MKB. Jean-Paul Garraud, eurodéputé RN, assure « ne pas l’avoir su » lors des tractations avec la MKB, une banque dénichée « grâce à des intermédiaires, notamment des Français de Hongrie », qu’il refuse de nommer.
Paradoxalement, à part la brève vidéo envoyée à Mme Le Pen en février, M. Orban se montre plutôt réservé sur son soutien public. Lors de sa dernière conférence de presse, le 6 avril, il a seulement évoqué la présidentielle française en affirmant qu’il attendait le résultat pour faire avancer son grand projet de construction d’un groupe des droites dures européennes au Parlement de Strasbourg. « Nous voulons surtout une droite souverainiste et patriotique forte en France », abonde l’eurodéputé (Fidesz) Balazs Hidvegi. Ce francophone insiste aussi sur ses bonnes relations avec les eurodéputés ex-RN ayant fait défection pour le camp d’Eric Zemmour, comme Nicolas Bay, ou avec Nadine Morano, élue du parti Les Républicains.
Pour autant, nul doute qu’une victoire de Marine Le Pen servirait les projets géopolitiques de M. Orban. Elle pourrait ainsi faire basculer la France sur la position de relative neutralité adoptée par la Hongrie dans le conflit ukrainien. « M. Orban a un vrai réalisme pour limiter le divorce total entre la Russie et l’Europe, et une victoire de Mme Le Pen permettrait une réorientation de la politique européenne, qui sert trop les intérêts américains », estime ainsi Thibaud Gibelin, ancien assistant parlementaire RN au Parlement européen, devenu intervenant à Budapest dans une institution académique hongroise proche du pouvoir.
Une France dirigée par Mme Le Pen devrait aussi s’attaquer aux différentes procédures de sanction lancées par l’UE contre la Hongrie pour ses atteintes récurrentes à l’Etat de droit. « Marine Le Pen les dénoncera avec force. Dès qu’elle sera élue, elle réunira l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement des vingt-sept pays pour leur dire sa position sur cette procédure totalement injuste », annonce l’eurodéputé Jean-Paul Garraud. Cet ancien magistrat affirme, à l’unisson de ses alliés hongrois, que « la notion d’Etat de droit est très floue ». En prenant, elle aussi, farouchement le parti de la Hongrie, Marine Le Pen devrait au passage défendre préventivement ses propres promesses électorales, dont plusieurs s’annoncent contraires au droit européen.
Jean-Baptiste Chastand(Vienne, correspondant régional) et Hélène Bienvenu(Varsovie, correspondance)