Dans le discours de Marion Maréchal, les mots de l’extrémisme
Lors d’une convention organisée par ses proches, samedi, Marion Maréchal a prononcé un discours quasiment programmatique, dont « Le Monde » a fait analyser de larges extraits par quatre chercheurs.
Par Lucie Soullier Mis à jour le 04 octobre 2019 à 10h19
Marion Maréchal mène un combat incontestablement politique. Peu importe que son retour sur la scène électorale soit fantasmé ou non, sa parole est écoutée et commentée, espérée autant qu’attaquée par droite extrême et extrême droite. « Je n’ai pas l’intention d’être candidate à la présidentielle de 2022 », jurait-elle mardi 1er octobre, tout en assumant dans le même Tweet un objectif éminemment politique : « Casser les digues partisanes. » Et briser le cordon sanitaire qui entoure encore fragilement le parti cofondé par son grand-père Jean-Marie Le Pen et dirigé par sa tante Marine Le Pen.
Celle qui fut élue députée Front national à 22 ans et se proclame aujourd’hui « retraitée » à 29 ans promet le silence à chacun de ses retours médiatisés, masque « Le Pen » de son patronyme… Elle sème pourtant, depuis son départ de l’appareil frontiste au lendemain de la présidentielle perdue par sa tante en 2017, autant de cailloux sur le chemin du retour. Samedi 28 septembre, lors de la « convention » organisée par ses proches, Marion Maréchal est ainsi remontée à la tribune pour un discours programmatique.
Un discours prononcé, précision loin d’être neutre, après celui du polémiste Eric Zemmour, décliniste et obsédé par l’islam, et celui du maire de Béziers Robert Ménard la pressant de se dévoiler en affirmant que sa famille politique avait « besoin » d’un « chef ». « Etre la vedette d’une conférence qui consacre une vision d’extrême droite islamophobe et xénophobe, c’est valider leur vision du monde et lancer un signal de connivence, tout en s’épargnant d’en porter le coût médiatique. Les discours qui l’ont précédée donnaient la base commune de pensée qui sous-tend sa propre idéologie », analyse Cécile Alduy, professeure de littérature française à Stanford (Etats-Unis) et chercheuse associée au Centre de recherches politiques (Cevipof) de Sciences Po.
Cette allocution d’une trentaine de minutes offre l’occasion de décrypter la ligne radicale de Marion Maréchal, « ex-Le Pen », à travers sa sémantique très identitaire, son idéologie sociétalement ultra-conservatrice et économiquement libérale et sa référence décomplexée à la théorie d’extrême droite complotiste du « grand remplacement » (selon laquelle la population française serait progressivement remplacée par une population non européenne). Un véritable acte politique. D’où l’importance de décrypter les mots de celle qui revendique mener une « bataille culturelle ».
« Je ne crois pas du tout, contrairement à ce que certains ont déclaré aujourd’hui, que tout soit écrit par avance. Je ne crois pas, d’ailleurs, au sens de l’histoire de manière générale. Bien au contraire, je crois que le grand basculement politique auquel nous aspirons ici ensemble s’opérera précisément par ce type d’initiative, par la multiplication des îlots de résistance au sein de la société civile. On a régulièrement parlé d’Antonio Gramsci aujourd’hui, parce qu’il faisait référence à l’hégémonie culturelle.
Antonio Gramsci a écrit un texte magnifique qui s’appelle Je hais les indifférents. Je crois que nous devrions relire ce texte. Il n’y a pas d’un côté ceux qui parlent et ceux qui font de la politique. Ici, nous sommes des actifs, nous venons précisément combattre les indifférents et les passifs. N’attendons pas une future victoire institutionnelle pour prendre nos responsabilités et nous engager. Elle viendra, bien sûr, cette victoire, mais uniquement si nous l’avons préparée, et cela demande beaucoup de temps et beaucoup de méthode. .. »
Les références
Marion Maréchal cite deux références en début de son discours : d’abord Antonio Gramsci (1891-1937), un penseur marxiste italien, selon qui toute victoire politique passe d’abord par une conquête des esprits, qu’elle a déjà cité à de nombreuses reprises pour expliquer son retrait de la politique électorale. Mais aussi Gustave Thibon (1903-2001), un intellectuel catholique traditionaliste. Pour l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, « le nom du philosophe marxiste n’est, à l’extrême droite, qu’une coquetterie permanente depuis les années 1970, mais il lui permet de prendre les marqueurs de la nouvelle droite, en même temps que le second nom a vocation à l’enraciner du côté de la droite légitimiste. Ici, elle fait le pont entre les deux tendances. »
« N’attendons pas que l’Etat nous sauve. Aujourd’hui, il est phagocyté par une idéologie et des intérêts qui sont contraires à l’intérêt national. N’attendons pas non plus l’homme providentiel. L’homme et la femme providentiels, c’est chacun et c’est chacune d’entre vous. (…) Je crois qu’il ne faut pas attendre notre rédemption des seuls partis politiques. Créons des associations, montons des écoles, entreprenons français, consommons français, apprenons notre histoire, défendons notre langue, comme ça a été brillamment dit dans la conférence précédente, sauvons tout ce que nous pouvons sauver.
Qui peut sincèrement imaginer que nos idées arriveront au pouvoir sans avoir préalablement brisé les barrières partisanes d’hier ?. Ce que nous commençons aujourd’hui à faire, avec la présence assez inédite dans un même événement public, et je les remercie, d’élus venant des Républicains et d’élus venant du Rassemblement national, entre autres choses… »
Union des droites
C’est sur cette stratégie que s’opposent Marine Le Pen et Marion Maréchal. Contrairement à la présidente du Rassemblement national, qui a forgé son image politique et la plupart de ses victoires électorales sur le « ni droite ni gauche », Marion Maréchal défend l’union des droites.
Une stratégie très loin d’être inédite… et qui n’a jamais fonctionné électoralement, rappelle le directeur de l’observatoire des radicalités politiques de l’Institut Jean-Jaurès, Jean-Yves Camus : « En 1983 paraît même un Guide de l’opposition édité par Patrick Buisson [ex-conseiller de Nicolas Sarkozy], qui donne des milliers d’adresses et de noms, une sorte d’annuaire de la droite, de Chirac au FN en passant par les royalistes. Ça s’est bien vendu à l’époque, c’est dire s’il y avait déjà des gens qui essayaient de penser cette union des droites et même de la pousser à la victoire électorale. Mais ça ne s’est jamais fait. Il y a bien eu Dreux [en 1983, élection municipale lors de laquelle FN et RPR-UDF s’allient au second tour et remportent ainsi la mairie], mais c’était une élection partielle. Et, en 1986, lors de l’entrée des 35 députés frontistes [à l’Assemblée nationale], cela n’a jamais débouché sur rien tant ils étaient isolés. »
Le fameux cordon sanitaire. Lors de cette « convention de la droite » sont bien montés à la tribune le député LR de l’Ain, Xavier Breton, et l’électron libre Gilbert Collard côté Rassemblement national. Jean-Yves Camus après de tels discours radicaux sur le « grand remplacement » : « Qui, chez ceux qui ont une influence, sont élus LR ou ont des a priori sur l’assimilation, sera prêt à plonger là-dedans ? Peu iront jusque-là, du moins dans cette formulation. »
« Avons-nous véritablement d’autres solutions que de reconstruire et de réunir par une vision de l’homme et de la société ? Certains disaient que la métapolitique n’avait aucun intérêt, mais d’où partons-nous ? Cela fait trente ans, objectivement, que la droite ne réfléchit plus, ne raisonne plus et n’a plus grand-chose à proposer. Je suis convaincue que ce travail des idées est un préalable indispensable à la victoire politique… »
« Métapolitique »
Marion Maréchal consacre une grande partie de son introduction à défendre l’utilité de mener la « bataille culturelle » hors du cadre partisan. Depuis son départ de l’ex-Front national, après la présidentielle perdue par son camp en 2017, elle explique que ses intentions ne sont plus électorales mais « métapolitiques », c’est-à-dire orientées vers une bataille des idées et non plus des urnes. Depuis, elle a lancé une « école » de sciences politiques à Lyon et cite très souvent Antonio Gramsci. Mais son pseudo-retrait agace de plus en plus au sein de l’ex-Front national, même chez les plus sensibles à sa ligne. Le maire de Béziers, élu avec les voix frontistes en 2014, Robert Ménard, s’en est même agacé lors de la convention.
Aux débuts du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece), pensé à la fin des années 1960 comme une « nouvelle droite » identitaire et nationaliste prêchant la différence entre les peuples), rappelle l’historien Nicolas Lebourg, « Dominique Venner [théoricien d’extrême droite], dans un passage d’ailleurs repris par Ordre nouveau [mouvement politique d’extrême droite nationaliste, actif au début des années 1970], avait expliqué l’importance du combat culturel par l’idée que le “pays légal” avait absorbé “le pays réel” et qu’il fallait donc, pour permettre un retour du nationalisme en politique, casser l’hégémonie culturelle ». Pour M. Lebourg, c’est moins le Grece qui a « réussi » dans cette voie que Jean-Marie Le Pen, les livres d’Eric Zemmour et la « fachosphère ».
« Nous devons bâtir, et c’est une exigence forte, sur le roc, pas sur des coups médiatiques, par les idées, par les loyautés, par les réseaux, par des élus locaux, par des soutiens financiers, culturels, intellectuels, et il y en avait beaucoup aujourd’hui, par la confiance des entreprises, par l’appui des hauts fonctionnaires qui auront la capacité de réformer l’Etat et, bien sûr, par des alliances en Europe… »
« Coups médiatiques »
« L’expression “coups médiatiques”, ce reproche suivi par la liste des solutions, c’est exactement ce que les cadres mégrétistes – Bruno Mégret (qui en 1998 rompt avec le FN pour fonder son propre parti d’extrême droite), Pierre Vial, Jean-Yves Le Gallou – disaient contre Jean-Marie Le Pen en 1997 et 1998… Leur argument suivant était qu’un parti ne pouvait avoir pour seule vocation de voir son président perdre à chaque présidentielle », explique l’historien Nicolas Lebourg.
« Pour y parvenir, la première étape, c’est celle que nous avons conduite ensemble aujourd’hui, c’est de rompre définitivement avec la droite des experts-comptables, ce champ de ruines idéologiques qui n’a comme seule obsession que d’apparaître moderne. Je ne comprends pas, parce que je finis par me dire qu’ils ont totalement oublié les penseurs dont ils sont pourtant censés être les héritiers (…), et je pense notamment à cette phrase célèbre de Gustave Thibon qui disait : « Etre dans le vent, voilà l’ambition d’une feuille morte. »
Ici, nous avons de bien plus grandes ambitions. Ce ne sont pas seulement des ambitions de droite, ce sont des ambitions françaises. La première, pour pouvoir avancer, étant déjà de ne pas se laisser intimider, au pays de la raison, par tous les délires politico-médiatiques du temps. Il n’est pas simple, disons-le, de faire preuve simplement de bon sens face à une actualité qui est devenue un véritable Gorafi géant. J’exagère à peine. Je pense que chacun d’entre vous a en tête des exemples pour illustrer le propos que je viens de tenir. (…)
Je crois que nous pouvons longtemps nous écharper sur les stratégies à mener ou sur les clivages pertinents à investir politiquement, mondialistes contre souverainistes, populistes, conservateurs. Je crois qu’en réalité, il y en a un qui va mettre absolument tout le monde d’accord dans cette salle, quelle que soit l’origine politique, il m’apparaît être le clivage le plus central et le plus évident, c’est bien idéologie contre réalisme. Nous avons une grande responsabilité devant l’histoire, puisque face à tous ces délires du camp progressiste, le camp des réalistes que nous sommes a le devoir de se concentrer sur les choses importantes, et précisément sur les grands défis du siècle qui vont déterminer l’avenir et le bien-être de notre peuple.
J’ai arrêté cinq grands défis sur lesquels, selon moi, se jouera la place de la France au XXIe siècle : le grand remplacement, le grand déclassement, le grand épuisement écologique, le grand basculement anthropologique et le grand affrontement des puissances.
Le premier grand défi, le plus vital, est le grand remplacement. Ce compte à rebours démographique qui nous fait déjà entrevoir la possibilité de devenir minoritaire sur la terre de nos ancêtres, avec pour corollaire le grand ensauvagement d’une société multiculturelle qui se veut fracturée et violente. Face aux droits des minorités, nous avons et nous devons opposer fermement notre droit à la continuité historique, notre droit à avoir le primat de notre culture française, avec tout ce que cela implique. .. »
Grand remplacement
Marion Maréchal se réfère désormais sans complexe à l’expression inventée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus et reprise en titre du manifeste du terroriste suprémaciste blanc de Christchurch (Nouvelle-Zélande) qui a tué 51 personnes dans deux mosquées le 15 mars. « Renaud Camus était à la fête à cette “convention de la droite” comme il l’est depuis plusieurs années au sein du clan Le Pen. Père, fille et petite-fille accréditent plus ou moins ouvertement sa thématique du grand remplacement », analyse l’historienne spécialiste de l’extrême droite et du complotisme Valérie Igounet. Si Marine Le Pen évite soigneusement d’utiliser l’expression et s’en est officiellement détachée, elle n’a jamais exclu ses cadres qui la propagent, comme le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier.
Une étude de Valérie Igounet publiée en septembre 2018 montrait par ailleurs les électeurs de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017 étaient les plus enclins à croire en ce concept. « Que Marion Maréchal l’emploie sans ambages comme premier défi en dit long sur l’état “décomplexé” de la parole publique aujourd’hui. C’est un symptôme de l’évolution de la société française qu’elle pense évoquer avec ce sujet, alors que sa tante pensait que ce serait un repoussoir. C’est le “combat culturel” en acte : ressasser les slogans et les théories, mêmes les plus complotistes, pour qu’elles imbibent la société entière », précise la chercheuse en sciences politiques Cécile Alduy. Quant à son « corollaire » du « grand ensauvagement », comme le qualifie Marion Maréchal, il est également très utilisé par la présidente du Rassemblement national. « Les grands responsables de cette situation, tout comme les dénonciations, ne changent guère : l’immigration et l’insécurité. Un binôme mis en avant très tôt par le Front national. Sur ces thématiques chères à l’extrême droite, Marion Maréchal ne fait donc pas vraiment dans la nouveauté. La sémantique, elle, par contre évolue », conclut Valérie Igounet.
« J’adhère assez à ce que disait Gilles-William Goldnadel [avocat franco-israélien connu pour ses positions conservatrices], qui exprimait l’idée que, finalement, nous avions gagné cette bataille culturelle puisque dorénavant, même Emmanuel Macron qui, je le rappelle, à l’époque avait défendu la politique migratoire d’Angela Merkel qui avait accueilli près de 1 million d’étrangers sur son sol en quelques semaines, même lui aujourd’hui se sent obligé d’envoyer des signaux pour expliquer qu’il comprend la souffrance des Français sur ce sujet, et qu’il souhaite y remédier.
Je vous demande d’être attentifs parce que derrière ces mots fermes, il n’y aura aucune rupture véritable s’il n’y a pas de réforme de la Constitution, s’il n’y a pas une refonte totale du code de la nationalité [française], s’il n’y a pas de réforme de la politique sociale et de dénonciation d’un certain nombre de traités internationaux, le tout en parallèle, et je vais dire un gros mot, de la mise en place d’une politique nataliste, car je ne crois pas, et je ne crois pas que vous y adhérez non plus, que les peuples soient interchangeables. Et bien que je crois fondamentalement à l’assimilation, je pense qu’il faut des conditions pour que cette assimilation fonctionne, et je pense en premier lieu que pour s’assimiler, il faut s’assimiler à quelqu’un et à quelque chose… »
Une vision ethnique
Le discours de Marion Maréchal traduit une vision identitaire du monde, dans laquelle l’identité est souvent synonyme d’identité ethnique. « Ici, ce sont les ancêtres, donc le sang, la lignée, qui justifient un droit de rejeter les étrangers », note la chercheuse en sciences politiques Cécile Alduy. D’où la référence de Marion Maréchal à la « politique nataliste », ajoute la chercheuse, pour qui il s’agit d’« encourager les naissances grâce à des Français “de souche” de nouveaux Français “purs” ». « Les implicites de ce discours sont glaçants, poursuit-elle. Le but est un “peuple” sans mélange car les “peuples” – entendre les ethnies – ne sont pas “interchangeables”. » Ce passage du discours montre également que pour Marion Maréchal, le rejet du multiculturalisme est en réalité « un rejet du métissage démographique, précise Cécile Alduy. Comme le montre la fin du passage, où toutes les solutions consistent à interdire que des non-Français deviennent français, via la réforme du code de la nationalité, de la Constitution qui inscrit l’égalité des citoyens et le droit du sol, et via la politique nataliste. »
« Le deuxième défi qui est largement d’actualité, du moins tous les samedis, c’est le grand déclassement, celui que subit la France périurbaine et rurale, mais pas seulement, une partie aussi des grandes villes, en proie à l’insécurité. (…) Je pense que trois axes pourraient être investis face à ce phénomène de la France à deux vitesses qui se développe : d’une part, baisser le poids des impôts et des taxes, mettre fin à une spoliation étatique, et je pèse mes mots, qui freine et fragilise prioritairement l’économie non délocalisable, ce qui impliquera nécessairement de recentrer l’État sur ses fonctions régaliennes.
Il faudra également réguler la concurrence internationale en imposant davantage la voix française, j’y reviendrai plus tard, dans les négociations commerciales de l’Union européenne. Il faudra aussi, et j’insiste sur ce point, lancer une nouvelle politique d’aménagement du territoire. Soyons ambitieux, plus ambitieux que les progressistes aux affaires. Eux visent la France des vingt métropoles, la France des vingt villes-mondes (…). Je pense que nous pouvons au contraire viser la France des cent villes, miser sur les villes intermédiaires pour remailler l’emploi sur le territoire et désengorger des métropoles devenues économiquement inaccessibles. .. »
Villes versus périphéries
Sur ce « grand déclassement » et cette idée de laisser de côté les métropoles mondialisées pour soutenir les villes intermédiaires, Marion Maréchal a tiré une leçon des élections locales de 2014 et 2015, « qui ont montré que cette question de l’aménagement du territoire était centrale dans le vote des électeurs alors qu’elle est abordée, dans l’espace politique et médiatique, uniquement sous l’angle simpliste d’une France périphérique en butte aux immigrés, souligne l’historien Nicolas Lebourg. Mais son enchaînement avec la ruralité renvoie vraiment à une question anthropologique dans les représentations d’extrême droite… »
« Le troisième défi est le plus omniprésent dans le débat public. Il s’agit du grand épuisement écologique. C’est vrai, notre environnement est épuisé par un modèle productiviste, imposé, et c’est là d’ailleurs la grande incohérence des écologistes, par la pression de la concurrence mondiale, et un modèle de consommation devenu internationalisé, des paysans qui se suicident, des champs devenus stériles à force de produire, des écosystèmes qui disparaissent, saturés de déchets et de produits chimiques. Ce modèle, en plus de détruire, est un échec économique. Pour la première fois de son histoire, un rapport du Sénat annonce que d’ici 2023 la France pourrait importer davantage de produits agricoles qu’elle n’en exporte. Je l’affirme aujourd’hui : l’écologie en réalité est un conservatisme. Préserver des paysages, préserver des terroirs, préserver des modes d’alimentation, tout ceci en réalité est un combat identitaire.
C’est nous qui sommes légitimes pour porter ce combat, loin des lobbys, loin des effets d’aubaines, des éclats médiatiques, des grand-messes internationales, d’une fiscalité punitive aussi inefficace qu’injuste. Ce ne sont pas les internationalistes libres-échangistes à la Macron ou les zadistes antinucléaires qui pourront répondre de manière cohérente à ce grand défi. Nous sommes les plus légitimes à proposer des modèles économiques alternatifs qui encouragent à produire et à consommer local : permaculture, biomimétisme, recyclage, système naturel de dépollution, création d’algo-plastique [plastique à base d’algues]. Quand je vois toutes ces innovations technologiques qui avancent, je suis très très loin du catastrophisme ambiant (…), bien au contraire, je suis incroyablement optimiste sur ce que la science va nous permettre de révolutionner en termes de production et de consommation pour, demain, mieux respecter la nature. Mais tout ceci ne peut fonctionner que dans une logique de consommation locale, fondée largement sur l’initiative entrepreneuriale, et dans le cadre, évidemment, de frontières protectrices… »
L’écologie version identitaire
La question écologique est, elle aussi, passée sous le filtre identitaire, ce qui est loin d’être une nouveauté à l’extrême droite. Dès la fin des années 1960, Alain de Benoist (l’un des principaux représentants de la nouvelle droite) et le Grece – mouvement pensé comme une « nouvelle droite » identitaire et nationaliste prêchant la différence entre les peuples – développaient déjà les thèmes de l’écologie radicale antimondialiste. Une thématique reprise par Marine Le Pen sous le terme de « localisme » lors de la campagne européenne, concept d’abord axé sur le rejet de l’étranger et de l’immigration.
« L’actualité législative nous conduit au quatrième défi : le grand basculement anthropologique, qui n’est pas sans lien, d’ailleurs, avec la question écologique que je viens d’évoquer. Dans ce temps de la consommation, les désirs deviennent des droits, tout s’achète et tout se vend, de l’utérus à l’enfant.
Pardon pour ceux qui nous qualifient de bioconservateurs, j’admets, j’avoue humblement, sans fantasmer sur le fait que ce soit mieux avant, que je souhaite pour ma fille une société dans laquelle l’enfant ne soit pas un produit à acheter, à commander, à consommer, à jeter, d’ailleurs, s’il déplaît. Je souhaite en effet ne pas être, moi en tant que femme, un produit à commander et à livrer. Je dois dire que je goûte assez peu la promotion qui a été faite ces dernières semaines, non pas tellement de la PMA [procréation médicalement assistée], parce qu’en réalité cela est déjà acquis pour la plupart des progressistes, mais de la gestation pour autrui [GPA], que je trouve profondément indécente.
Je le dis avec beaucoup de force, je trouve profondément indécent que des couples aujourd’hui, qui sont allés sciemment violer la loi française, louer le ventre d’une femme, acheter un bébé, reviennent aujourd’hui avec ce bébé dans les bras, se défaussent de leurs responsabilités et nous accusent, nous, d’être inhumains et de ne pas défendre les droits de l’enfant. Une chose est sûre, il ne faut pas se voiler la face, l’eugénisme et l’intelligence artificielle sont les prochains terrains de compétition des grandes puissances. La France a longtemps et souvent inspiré le monde. Je crois qu’elle a encore un grand rôle à jouer dans ce domaine. .. »
Conservatisme et rapport à la nature
En liant son quatrième « défi », « le grand basculement anthropologique », à l’écologie, Marion Maréchal dévoile une idéologie posant la « nature » comme fondement d’un ordre immuable à préserver. Une idéologie selon laquelle, développe la chercheuse en sciences politiques Cécile Alduy, « il faut respecter des “lois naturelles”, et non un contrat social tiré d’un progrès des cultures humaines. L’ordre de la “nature” dicte une hiérarchie des êtres et des “peuples” fondée sur la “naissance” et des interdits (procréation médicalement assistée, avortement, mariage pour tous). C’est la négation des acquis de la Révolution française et des valeurs républicaines qui fondent la citoyenneté et les droits sur la culture, le contrat social et l’égalité quelles que soient les origines. »
D’où cette étiquette, assumée par Marion Maréchal, de « bioconservateurs ». « Derrière ce label, il y a un argument ancien de l’extrême droite, employé depuis les années 1990 au moins : lutter contre le “métissage” “contre-nature” entre les peuples – à l’époque on disait “entre les races”. Aujourd’hui c’est étendre la lutte pour préserver la “biodiversité » à l’échelle des peuples », explique Cécile Alduy.
« Enfin, le [dernier] défi, et non des moindres, le grand affrontement des puissances. La fin de l’histoire n’a pas eu lieu. Aujourd’hui des nations autrefois en sommeil réinvestissent le jeu mondial, la Chine, et plus largement l’Asie, mais aussi la Russie, deviennent de plus en plus offensives tandis que les Etats-Unis défendent bec et ongles leur place. Le gouvernement ne semble pas comprendre que l’économie est aujourd’hui devenue le nouveau terrain d’affrontement des superpuissances. Il semble, comme les pacifistes en 1940, ne pas vouloir regarder et affronter l’adversité où elle se trouve (…). Pourtant, avec un peu de méthode, avec un peu de courage et avec un peu de patriotisme, nous pouvons retrouver une ambition de puissance. (…) Trois choses : l’armée, une armée de qualité. J’entends par là une capacité de projection et une industrie de défense qui sont toutes deux la garantie de l’autonomie de notre indépendance diplomatique, pour mener cette diplomatie d’équilibre qui a fait que la voix de la France a été si longtemps et si dignement entendue par les autres nations. Notre présence sur les cinq continents, dois-je vous rappeler que la plus grande frontière française se trouve avec le Brésil, notre territoire, notre géographie et la francophonie nous offrent aujourd’hui des opportunités exceptionnelles, mais inexploitées, qui pourraient demain se retourner à notre avantage.
L’échelle européenne, enfin, je m’attarde un peu sur ce sujet car je sais qu’il fait très largement débat, à juste titre d’ailleurs, dans nos familles politiques. Je ne suis pas de ceux qui défendent bec et ongles l’Union européenne, et je suis la première à admettre volontiers que c’est un projet mal pensé, mal conçu et philosophiquement délétère. Néanmoins, en politique, c’est le terrain qui commande, et le terrain aujourd’hui a créé des dépendances mutuelles dont il est difficile de se départir sans avoir préalablement reconstruit un certain nombre de choses au niveau national. Je vous le dis aussi très sincèrement, je ne crois pas une seule seconde que la réforme tant espérée, tant défendue, y compris par les européistes, passera par la Commission européenne ou par le Parlement européen. La réforme de l’Union européenne passera par des stratégies d’alliances gouvernementales, en vue de rééquilibrer le rapport de force avec l’Allemagne. ..
C’est là aussi où je suis très optimiste, puisque c’est la France qui a la clé du destin européen. C’est nous qui avons la clé. Depuis que l’Union européenne existe, la France n’a quasiment jamais été mise en minorité sur un texte qu’elle ne voulait pas. La réalité, c’est que notre servitude a toujours été volontaire, les gouvernements successifs ont voulu accompagner, défendre, militer pour les politiques européennes qui se font aujourd’hui contre les intérêts français. Nous avons les moyens, plus que quiconque au sein de l’Union européenne, de renverser ce système de l’intérieur. Nous sommes membres fondateurs. Après le départ du Royaume-Uni, nous avons la plus grande armée européenne, nous sommes le seul membre permanent de l’ONU, les seuls à avoir la bombe nucléaire, nous sommes la deuxième économie, nous sommes parmi les quelques contributeurs nets, nous sommes une puissance universelle qui d’ailleurs voit bien au-delà du simple projet européen. .. »
L’Europe
Marion Maréchal s’inscrit clairement dans le cadre d’une réforme de l’Union européenne, bien loin du « Frexit » prôné par Marine Le Pen… avant son revirement post-échec présidentiel de 2017. Le Rassemblement national prône en effet désormais le changement « de l’intérieur » et avait présenté lors des élections européennes du mois de mai son « contre-proje » à l’Europe fédérale : une « alliance européenne des nations » axée sur les « coopérations » gouvernementales. Une vision entièrement partagée, ici, par Marion Maréchal lorsqu’elle parle de « stratégies d’alliances gouvernementales » et de « renverser ce système de l’intérieur ».
« Je le répète, puisque certains ont eu un discours un peu différent aujourd’hui, je suis très optimiste. Je suis très optimiste parce qu’en regardant, en analysant tous ces sujets, je vois des voies de rédemption, je vois des axes à travailler, je vois des réponses politiques à apporter, et je ne vois absolument rien d’inéluctable. Néanmoins, je vois un obstacle, peut-être le principal d’ailleurs, qui se trouve dans cette petite musique du renoncement, cette tentation permanente du désespoir, ce sentiment de fatalité d’un combat déjà perdu. Nous sommes censés être le camp des réalistes. Nous sommes censés être le camp des conservateurs. Nous sommes censés être les défenseurs de la nation, de la famille, de la tradition, de l’autorité. Nous sommes le camp de l’expérience.
Nous ne sommes pas le camp de la table rase. Nous avons l’humilité de nous retourner et de regarder ce qui a été fait par nos ancêtres de juste, de bon et de vrai, pour tenter d’en tirer les leçons et les transmettre à notre tour humblement à l’échelle de notre civilisation. Par pitié, regardez derrière vous et ne soyez pas infidèles à votre histoire en vous abandonnant à cette facilité du renoncement. Vous qui êtes des Français patriotes, vous savez mieux que quiconque que la France a connu, c’est vrai, de terribles chutes. Mais elle a aussi et surtout vécu d’incroyables et sublimes résurrections. Je comprends évidemment qu’il puisse y avoir du doute, mais je ne comprends pas du tout qu’on puisse perdre espoir. (…) Demain, j’en suis intimement convaincue, nous serons au pouvoir. »
Optimisme et déclinisme
Après une première salve d’applaudissements et ce qui ressemblait presque à la fin de son discours, Marion Maréchal revient à la charge pour se démarquer du discours d’Eric Zemmour. Non pas sur le fond… mais sur la forme. Face au déclinisme du polémiste, elle propose une sémantique positive, affirmant que son camp peut prendre le pouvoir, que rien n’est « inéluctable ».La chercheuse en sciences politiques Cécile Alduy relève d’ailleurs que les deux mots les plus fréquents sont « je » et « nous », à quasi-égalité (80 et 79 fois).
Marion Maréchal « fait advenir dans son discours cette “femme providentielle” à laquelle elle feint de ne pas croire : le texte est un entrecroisement continu où le “je” répond aux angoisses et aspirations du “nous” et propose de l’incarner. S’y tissent une promesse, un engagement, ce qu’elle appelle un “optimisme” : elle est la réponse. »Jean-Yves Camus y voit une contradiction importante avec le « pessimisme radical » d’Eric Zemmour qui, « avec son attitude de dandy décadent à la Houellebecq », incarne un discours extrêmement démobilisateur : « Ce “y’a plus rien à faire”, c’est exactement ce qui fait rester les gens à la maison un jour de scrutin. Or, ce que l’on retiendra de cette journée sera surtout le discours de Zemmour. ».