En hommage à Adama Traoré, une marche pour une « convergence » contre les « violences policières »
Depuis le début de l’affaire, la famille demande toujours à l’instruction la mise en examen des gendarmes. Mais l’enlisement du dossier est devenu le symbole de la difficile lutte contre les violences policières.
Racisme d’Etat? Ce serait sans doute excessif. Par contre, que ce sentiment soit largement partagé parmi celles et ceux qui sont censés assurer notre sécurité n’est pas une légende. Demandez à un jeune à la couleur de peau bazanée ou noire à combien de contrôles il peut avoir droit s’il lui prend la malheureuse idée de se balader dans Paris? Ou Toulouse? ou Marseille? ou… Le contrôle au faciès est une stratégie policière. vAc
Le Monde avec AFP Publié le 20 juillet 2019 à 19h49, mis à jour hier à 06h26
Le cortège est parti de la gare RER de Beaumont-sur-Oise, afin de rendre hommage à Adama Traoré et protester contre les violences policières. KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Il y a tout juste trois ans, la mort d’Adama Traoré était constatée devant la caserne de gendarmerie de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), peu après son arrestation au terme d’une course-poursuite. Samedi 20 juillet, 5 000 personnes selon les organisateurs – 1 500 selon les gendarmes – ont défilé en hommage au jeune homme de 24 ans, décédé dans des conditions qui demeurent controversées.
Le cortège, parti de la gare RER de Beaumont-sur-Oise, a marché dans le calme. « Pas de justice, pas de paix », « justice pour Adama »ou encore « tout le monde déteste la police », ont scandé les manifestants. « On ne veut pas qu’en 2020, il y ait encore une marche pour Adama mais qu’il y ait un procès », a ajouté Assa Traoré, la sœur du jeune homme devenue figure de premier plan des luttes contre les violences policières.
Depuis le début de l’affaire, la famille demande toujours à l’instruction la mise en examen des gendarmes. Mais l’enlisement du dossier est devenu le symbole de la difficile lutte contre les violences policières. « Combat pour tous les Adama ! », a lancé Assa Traoré, appelant à une « convergence » pour mener le « combat contre les violences policières ». « Cette marche avec les “gilets jaunes” est un grand pas », a-t-elle affirmé lors d’une conférence de presse, quelques minutes avant le début de la manifestation.
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Un mouvement « unique »
Pour Antoine Boudinet, 23 ans, blessé gravement à la main à Bordeaux, pendant une manifestation « gilets jaunes », ce n’est que « par la convergence des luttes et en étant soudés que nous allons obtenir gain de cause pour les mutilés, c’est le même combat pour tout le monde ». Jean-Marc, 55 ans, un « gilet jaune » des Hauts-de-Seine, n’a « pas hésité » à participer à la marche : « nous subissons depuis six mois la répression de la police que subissent les quartiers depuis des années. »
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Dans le cortège, se trouvaient aussi des représentants de plusieurs associations. « Aujourd’hui la violence policière est généralisée et nous sommes tous ici pour faire cesser ces impunités », a déclaré Nicolas Krameyer, responsable du programme Libertés à Amnesty France.
Même chose du côté de la Ligue des droits de l’homme (LDH) venue « soutenir la famille Traoré et toutes les victimes de violences policières en raison de leurs origines ou couleur de peau », a déclaré l’avocat Arié Alimi.
Pour l’écrivain Edouard Louis, soutien de longue date du Comité Adama, ce mouvement est « unique » car « il est producteur et rend possible d’autres mouvements sociaux comme les comités pour d’autres victimes de violences policières », a-t-il assuré. La marche s’est terminée avec des prises de parole dans le quartier de Boyenval, où a vécu Adama Traoré. Des concerts dont celui du rappeur Fianso étaient annoncés dans la soirée.
Rebondissement en mars
En mars, les juges d’instruction, qui s’apprêtaient à clore leur enquête sans mettre en cause les gendarmes, ont rouvert leurs investigations après la remise d’un rapport médical réalisé à la demande de la famille et qui contredisait les conclusions sur le décès, attribué jusque-là à l’état de santé antérieur du jeune homme.
Le Comité de soutien à Adama Traoré s’est félicité mardi que de nouvelles « investigations techniques » aient été effectuées pour calculer la distance parcourue par le jeune homme lors de la course-poursuite. En l’occurrence, une distance de « 450 mètres » à « vol d’oiseau », incompatible, selon ses proches, avec les observations du collège d’experts désigné par les juges qui « avaient affirmé qu’Adama Traoré avait fourni un effort intense durant quinze minutes avant d’être interpellé ».
En revanche, les juges n’ont pas encore ordonné la nouvelle expertise médicale annoncée en avril, après la remise du rapport fait à la demande de la famille. « La décision des juges d’ordonner une énième expertise va rallonger inutilement l’enquête. Les gendarmes doivent être jugés pour avoir causé la mort d’Adama Traoré », a réagi l’avocat de la famille Traoré, Me Yassine Bouzrou.
En 2016, plusieurs nuits de violences avaient suivi la mort d’Adama Traoré. Son grand frère, Bagui, a récemment été renvoyé devant les assises pour tentative d’assassinat, accusé d’avoir tiré sur les forces de l’ordre lors de ces heurts.
Affiche pour la marche en hommage à Adama (sur le site de Solidaires:Beaumont-sur-Oise-Marche-ADAMA-III-Ripostons-a-l-autoritarisme)
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«Cette marche n’est pas celle de la famille d’Adama Traoré, c’est la vôtre»
- 22 JUIL. 2019
- PAR CHLOEVALLS
Samedi dernier, pour l’acte 36, la marche historique du Comité Adama a réussi son pari : réunir des milliers de militants différents contre l’autoritarisme et les violences policières. Le début de cette convergence pose la question de la forme organisationnelle du mouvement, et des modes d’action collective à venir. Le Comité appelle à se re-mobiliser à la rentrée.
Une diversité d’acteurs pour une lutte commune.
Ce samedi 20 juillet à 14 h 30 à Beaumont-sur-Oise, il y a des individus qui ne se réunissent pas d’habitude. C’est le résultat d’un an de travail et de déplacements des militants du Comité Adama à travers la France, pour créer des synergies. Militants des quartiers populaires, Gilets Jaunes venus de plusieurs régions, Gilets Noirs, écologistes, Antifas, associations, mais aussi députés, étudiants et sociologues. Des milliers de manifestants se sont déplacés loin de chez eux, loin de Paris. Certains manifestants venus en bus témoignent avoir été intimidé par des gendarmes qui les ont contrôlés et ont relevé leur identité.
En jaune et noir dans le cortège, on retrouve Amnesty International, qui dénonce depuis plusieurs années les violences policières et l’existence d’une culture d’impunité de fait pour les policiers en France. Les slogans “Où est Steve ?” retentissent. Steve Maia Caniço a disparu dans la Loire à Nantes le soir de la Fête de la musique, suite à une charge de police. Geneviève Bernanos, fidèle au Comité Adama, est aussi dans le cortège. Co-fondatrice des Mères solidaires et maman du militant Antifa Antonin Bernanos qui est en prison, elle dénonce : “On est face à une répression politique menée par la police, la justice et le pénitentiaire”. Tous marchent au côté des familles de victimes et des habitants de la ville. Pour Assa Traoré et Youcef Brakni du Comité, cette marche est le premier pas vers une convergence plus large, notamment sur la question écologique.
Geneviève Bernanos, mère d’Antonin Bernanos, et co-fondatrice des Mères Solidaires, Marche Adama, 20 juillet 2019. © Chloé Valls
Une organisation interne informelle, et une volonté de ne pas se faire approprier.
Sur la scène, les prises de parole des familles de victimes se succèdent avec une émotion contagieuse. La dimension intergénérationnelle que l’on voit sur scène se retrouve dans la composition interne du Comité. Le 11 mai dernier, lors de la réunion d’organisation publique de la marche, à la Bourse du travail de Paris, une grande diversité de militants avait répondu présents. Le manifeste qui énumère les revendications précises de la marche avait circulé pour qu’il soit approuvé par le vote. Assa Traoré explique que le mélange des individus dans la marche est un tournant, mais que ce n’est que le début.
“Cette marche n’est pas celle de la famille Traoré, c’est la vôtre. Vous pourrez dire que vous étiez là, vous serez dans l’Histoire. (…) On pourra dire : aujourd’hui, les Gilets Jaunes étaient là.” Assa Traoré, soeur d’Adama Traoré et voix du Comité.
Quand le Gilet Jaune, “Fly Rider”, de son nom Maxime Nicolle, prend la parole, il précise tout de suite qu’il n’est pas un représentant. Pour lui, contrairement à ce que les médias tentent de montrer, le mouvement des Gilets Jaunes n’a pas de leader. Son intervention tiendra en quelques mots coup de poing :
“Je m’excuse parce que depuis des années vous vivez des choses qu’on vit depuis neuf mois (…) Pardon de ne pas avoir su, pardon de ne pas avoir entendu, pardon d’avoir cru ce que les médias disaient”. Maxime Nicolle alias Fly Rider, Gilet Jaune.
Les exemples de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 et de SOS racisme, sont présents dans la mémoire des militants du Comité Adama. Ils ne veulent pas que leur lutte soit appropriée par un parti politique qui pourrait s’en servir pour servir ses intérêts propre, plutôt que ceux des individus directement concernés. De nouveaux résultats des investigations demandées par l’avocat de la famille Traoré, Yassine Bouzrou, devraient émerger à la rentrée. Le Comité appelle toutes les forces réunies à continuer le combat.
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A lire aussi: https://solidaires.org/Beaumont-sur-Oise-Marche-ADAMA-III-Ripostons-a-l-autoritarisme
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