Les Milles de S. Grall (à voir ou revoir)

Les Milles, le train de la liberté

Comédie dramatique réalisé en 1995 par  Sébastien Grall
Avec Jean-Pierre Marielle , Ticky Holgado , Rudiger Vogler …
Disponible en VOD et DVD

SYNOPSIS
Lors de la Seconde Guerre mondiale, le village surnommé «les Milles» non loin d’Aix-en-Provence va servir de camp d’internement à des civils hommes, allemands, autrichiens, tchèques et apatrides de 18 à 65 ans. Ces hommes sont juifs, communistes ou simples opposants au nazisme.

Les Milles

Le camp des Milles

LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE
Mai 1940. C’est la débâcle. On improvise. Dans un village proche d’Aix-en-Provence, les Milles, l’armée française interne dans une ancienne briqueterie quelque deux mille hommes, des civils étrangers qui, selon les termes stricts de la loi, sont « ressortissants de puissances ennemies en temps de guerre ». Sinistre ironie de l’histoire : la plupart d’entre eux avaient fui l’Allemagne nazie des années plus tôt, parce qu’ils étaient juifs ou opposants politiques. Ils avaient choisi la liberté en s’exilant en France ; à présent, le piège se referme sur eux… Sébastien Grall travaillait à un projet de documentaire historique quand il a découvert l’existence d’un étonnant personnage, bizarrement oublié des historiens : le commandant du camp des Milles. Une sorte de héros méconnu dont la trajectoire valait tous les scénarios de fiction. C’est ce Charles Perrochon, artisan chapelier dans le civil et capitaine de réserve, qui est aujourd’hui le moteur et l’âme des Milles. Quand il prend en charge le camp, au milieu d’une indescriptible pagaille, il ignore tout des hommes qu’on lui confie, de leurs motivations, de leurs angoisses. Pour tout dire, le sort de ces internés lui est assez indifférent. Ils les considèrent comme ses prisonniers, et en homme d’ordre, la discipline est sa principale préoccupation. Comment, peu à peu, va se fissurer ce bloc de certitude ? Et par quels cheminements intérieurs le capitaine Perrochon va-t-il en venir à prendre la décision la plus importante et la plus lourde de conséquences de sa carrière ? Dans la réalité, on n’en sait pratiquement rien. Dans le scénario que Sébastien Grall a coécrit avec Jean-Claude Grumberg, c’est une question d’honneur. L’honneur, tel qu’un ancien de 14-18, nourri de principes républicains intangibles, peut l’entendre. Cet homme-là ne peut pas se résoudre à livrer les exilés qu’on lui a confiés aux troupes allemandes qui approchent. Pas plus qu’il ne peut admettre la veulerie de ses supérieurs, qui, à l’instar du général commandant la région, et prenant acte placidement de l’avancée imparable de la Wehrmacht, considèrent qu’il s’agit désormais d’« une affaire entre Boches ». Alors, sans en référer à qui que ce soit, le brave capitaine va prendre l’ahurissante décision de faire évader « ses » détenus, et pour cela d’affréter un train spécial pour les acheminer jusqu’à la frontière espagnole, les soustrayant ainsi aux représailles des nazis, qui finissent d’occuper le pays… Histoire vraie donc, Les Milles a pour première vertu de révéler un épisode fascinant et occulté de cette sombre tragédie des camps d’internement en France pendant la dernière guerre. Dans son impeccable reconstitution historique, Sébastien Grall a été particulièrement attentif à éviter l’emphase des grands sujets à thèse. La dénonciation d’une situation révoltante et la prise de conscience d’un héros ­ ô combien ! ­ singulier, on les perçoit en filigrane d’un récit factuel, quotidien, anecdotique. C’est à la fois l’intérêt et la limite du film. De l’accumulation de détails naît la vraisemblance des situations. Mais on y regrette, du coup, la vision, le souffle, qui auraient pu conférer au tableau une dimension réellement épique. Pour les auteurs, il fallait éviter à tout prix les pesanteurs de la leçon d’histoire. Au risque d’une légèreté excessive. On regrette, notamment, que les détenus soient présentés comme un groupe indifférencié d’individus interchangeables, quand il s’agit de Max Ernst, Hans Bellmer, ou Franz Hessel, le traducteur de Proust… Quant à l’ironie revendiquée, elle n’évite pas toujours la caricature facile : les officiers supérieurs, en particulier, apparaissent tous sans exception lâches, profiteurs, hypocrites et grotesques. Reste que la magistrale composition de Jean-Pierre Marielle, d’une humanité tour à tour cocasse et bouleversante, et autour de qui tout le film tourne, est mémorable. C’est grâce à lui qu’on n’oubliera pas l’extraordinaire destin d’un homme très ordinaire nommé Charles Perrochon…

Joshka Schidlow, Télérama