Au procès des Barjols, un ancien militaire, des complotistes, du racisme débridé, et des relents alcooliques
Les treize prévenus de ce groupe d’ultradroite, jugés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes terroristes, ont défilé à la barre depuis le 17 janvier. Ils ont en commun de minimiser leurs projets et de macérer dans leur radicalité.
Julien Compagnon a un chat. De race, mais diabétique, et sourcilleux ; il ne laisse approcher personne d’autre. Du coup, le prévenu a demandé à un président de tribunal estomaqué de ne pas venir à toutes les audiences, parce qu’il fallait bien s’occuper de l’animal. « Il était en train de mourir, a-t-il expliqué calmement. J’ai fait une prière à saint François d’Assise, si le chat restait en bonne santé, j’ai promis de m’en occuper jusqu’à la fin de mes jours. » Une promesse est une promesse, même s’il risque dix ans de prison pour « association de malfaiteurs en vue de préparation d’actes terroristes ».
Au procès des Barjols, un groupe d’ultradroite dont les membres envisageaient, pour trois d’entre eux, de tuer en 2018 le président de la République, pour les autres de préparer un coup d’Etat ou de faire sauter des mosquées, défilent depuis le 17 janvier treize personnages complotistes un peu perdus, au racisme épais, qui échafaudaient vaguement des projets terroristes fumeux, bien vite noyés dans l’alcool. L’un d’eux reconnaît qu’à une rencontre des Barjols il avait bu « quelques bières et un litre de whisky », un autre que pendant quatre ans il descendait tous les soirs sa bouteille de vodka. Tous minimisent leur implication.
Sauf Julien Compagnon. L’homme au chat est un grand gaillard hirsute, passionné par les armes et le survivalisme, et qui cultive soigneusement son allure d’homme des bois. Ancien militaire (et déserteur), il macère depuis dans le complotisme. Il est certain que « le président de la République participe à des scènes satanistes, parce qu’il est possédé ». Le Covid-19 est « une maladie inventée pour régler la population mondiale », il « pisse sur les politiques », la presse et les francs-maçons, et se prépare à la guerre civile.
« Cramer des mosquées »
Ça l’ennuie qu’on lui ait confisqué ses armes, parce que « la migration massive va créer des tensions, et il faut se préparer à cette guerre ». Son ordinateur était rempli de photos de nazisme, d’affiches de « Sexion Dachau », d’Emmanuel Macron « Rothschild, sioniste d’Etat », de « Stop the White Genocide », et il a été renvoyé devant le tribunal pour avoir participé à une vidéo dans laquelle huit militants cagoulés et armés « somment » d’une voix sépulcrale l’Etat de stopper l’immigration « sans quoi des actions seront menées » contre « ce gouvernement illégitime ». Et, surtout, pour avoir fourni à Denis Collinet, le fondateur des Barjols, des recettes d’explosifs alors que le chef assurait qu’il fallait « faire sauter un camp de migrants » et « cramer des mosquées ».
Le cahier de recettes a été découvert dans un tiroir, sous la cuisinière. « Il n’était pas question de brûler des mosquées, proteste Denis Collinet, quand on est entre amis, on peut dire des choses… A jeun, je n’aurais jamais dit des trucs comme ça. » Pour Jérôme Tripier, l’un des prévenus, exclu du groupe, parce que, même pour les Barjols, il buvait trop, il était évident que les explosifs, c’était pour les mosquées, « il faudrait être bête pour ne pas comprendre ça ». Jérôme Tripier, après quinze ans d’héroïne, est tombé dans l’alcool et la dépression.
Il a une passion, la détection de métaux – « je dépollue les forêts » – et les enquêteurs ont trouvé chez lui une sérieuse collection d’obus, pas tous inertes, un drapeau nazi affiché dans la salle à manger, avec imperméable au brassard à croix gammée, « pour faire le foufou ». « C’est une collection, il y a aussi des drapeaux français, belges, américains et prussiens, rectifie le monsieur. C’est de l’histoire. » Il est le seul à avoir voté Emmanuel Macron en 2017, dès le premier tour. Mais il a basculé quand le chef de l’Etat, dans l’affaire Benalla, a appelé les Français « à venir [le] chercher », et lui qui survit tant bien que mal en Meurthe-et-Moselle, d’intérim en intérim, a été ulcéré quand le président a dit qu’il suffisait de traverser la rue pour trouver du boulot. Il a aussi rédigé un petit mémo, titré « boum.txt », « 34 recettes d’explosifs à faire soi-même ».
Vie cabossée
Il a aussi proposé, « avec vingt couillus » de « péter l’Elysée », de faire sauter des mosquées : « A l’époque j’avais les idées noires. » Il est l’un des seuls repentants, à reconnaître, « avec le recul, avoir participé à un projet d’actions violentes ». Jérôme Tripier se sentait très seul, comme la plupart des Barjols. Ils sont nombreux à avoir eu une vie cabossée, à avoir été abandonnés très jeunes par un père alcoolique et violent, une mère suicidaire, à avoir quitté l’école en 5e et à vivre depuis péniblement de petits boulots d’intérim, pour beaucoup dans l’est de la France. Xavier Gounant, avec deux enfants à charge, saute un repas plus qu’à son tour et admet que, faute d’argent, il a dormi dans sa voiture pendant les trois semaines du procès. Ceux qui n’ont pas été interpellés tout de suite ont rejoint l’acte I des « gilets jaunes », le 17 novembre 2018, dont ils ont formé une partie de l’aile la plus extrême.
Jérôme Tripier passait les nuits à boire et à surfer sur le Net, il s’est inventé un passé militaire, est tombé sur Nathalie Cherrier, la vice-présidente des Barjols, et a rejoint le groupe pour « la draguer », en vain. La vice-présidente a fait preuve, devant le tribunal, d’un détachement qui force l’admiration. C’est pourtant elle le pivot du groupe, et pas la moins radicale : membre de Génération identitaire, groupuscule dissous en 2021, elle a lancé une cagnotte en ligne après les mises en examen des ultraradicaux d’Action des forces opérationnelles, qui menaçaient de s’en prendre aux musulmans, avec ce mince commentaire : « Si vous aussi vous vous sentez concerné par ce qui leur arrive… En vous disant que ça pourrait être nous… » Les policiers ont retrouvé dans son téléphone des photos d’une femme qui crache sur un bulletin Macron, des captures d’écran d’un manuel de fabrication d’explosifs, une image d’Hitler torse nu, inspirée d’une publicité pour un parfum – le Zyklon B…
Mme Cherrier élude. Les projets d’attentats des Barjols ? Le coup d’Etat ? L’assassinat du chef de l’Etat ? Elle n’en a pas entendu parler. Elle a bien diffusé au groupe un message de Denis Collinet qui cherchait « des volontaires pour une mission casse-pipe », mais assure ne pas savoir de quoi il s’agissait. « On me demande de diffuser, je le fais. » Elle reconnaît cependant du bout des lèvres qu’elle avait bien dit un jour qu’il fallait « brûler des mosquées » et avait proposé de mettre une belle fille – comme la sienne – au milieu des fidèles pendant la prière pour les attirer, les « prendre en tenaille » et « les brûler ». « J’ai peut-être dit ça, convient la vice-présidente, c’est parce que j’étais très énervée. »
Elle a quand même enfoncé un sérieux coin dans la défense de son président : elle confirme que Denis Collinet a bien déclaré qu’il était prêt à s’en prendre à des députés, il lui avait demandé de faire des repérages sur leurs restaurants, « les aurait suivis dans les toilettes et puis boum ». Denis Collinet, fort mal à l’aise, a répondu que « quand on a bu, on dit des conneries… » Elle assure aussi qu’elle l’a surpris en train de triturer des produits dans un bac noir, et qu’il lui a dit « j’ai essayé de faire des trucs, ça marche pas ».
« Un gros coup »
Denis Collinet, après l’interpellation le 6 novembre 2018 de quatre anciens Barjols partis dans l’Est régler le sort du président de la République, s’est présenté spontanément au commissariat de Bar-le-Duc pour assurer que Jean-Pierre Bouyer, l’âme du complot, était certes un ami proche mais qu’il n’était plus membre des Barjols, « un groupe non violent ». Cet ancien membre du Rassemblement national reconnaît qu’il était au courant que Bouyer « préparait un gros coup », mais il ne l’avait pas pris au sérieux. Les migrants, c’est autre chose. « Vu la décadence de la France, ça va finir par une guerre civile, c’est certain », a assuré le chef des Barjols.
C’est ainsi qu’il a demandé à trois de ses membres des recettes d’explosifs. « J’avais vraiment peur qu’il arrive quelque chose, est convenu Denis Collinet, un simili-Rwanda, ça peut arriver. » Il s’agissait de faire sauter des mosquées ? Pas du tout, c’était pour miner son jardin, en cas d’invasion. Il se proposait aussi de kidnapper des riches, pour leur extorquer leur carte bancaire ? « C’est du blabla de réunion », balaie Collinet.
Or, a adhéré au groupe Facebook des Barjols une recrue de choix : Delphine Tissot, qui s’est dite ancien agent de la direction générale de la sécurité intérieure, et a promis « du très lourd » – il s’est avéré un peu plus tard qu’elle n’avait été que secrétaire dans l’armée, démissionnée d’office pour son « caractère imaginatif ». Elle a invité chez elle, à Périgueux, en avril 2018, trois responsables des Barjols, dont Denis Collinet, qui avait senti qu’elle avait le cœur tendre et a passé la nuit avec elle.
Elle leur a parlé de son projet « Armageddon-élites », la construction d’un canon électromagnétique artisanal, capable de détruire des cibles « à très grande distance » et de la nécessité d’un coup d’Etat, avec la garde républicaine et « 500 soldats russes ». Les Barjols devaient sécuriser les points névralgiques : Denis Collinet a aussitôt demandé à ses troupes de dresser des cartes des gendarmeries et des hôpitaux pour « le jour de l’action ». « A ce moment-là, j’y croyais, c’est vrai, convient Denis Collinet, on a tellement baigné là-dedans… » La passion retombée, il assure à l’audience que Delphine Tissot « est gentille, c’est une brave femme, mais elle est folle ». La photo du profil Facebook de cette dernière, ce sont des armes en forme de cœur. Ce n’est pas une apologie de la lutte armée, mais juste « pour dire que mes relations amoureuses sont une catastrophe, assure-t-elle. Un cœur qui saigne, ça ferait gnangnan ».