L’ED suédoise nourrit «de grands espoirs»

En Scanie, l’extrême droite suédoise nourrit «de grands espoirs»

7 SEPTEMBRE 2018 PAR CLÉMENT SOLORGUES, Médapart

Les Démocrates de Suède, le principal parti d’extrême droite du royaume, a le vent en poupe avant les élections législatives, régionales et municipales de dimanche. Reportage dans l’extrême sud du pays, où cette formation issue de la mouvance néonazie est déjà bien implantée.

Hässleholm, Lund, Malmö (Suède), correspondance.- Cheveux en brosse couleur paille, yeux bleus derrière des lunettes à fines montures argentées, Ulf Berggren n’est pas disert ce jour-là. « Avec les médias, on se méfie. Il y a eu de la censure ici et là, de la désinformation aussi », grommelle celui qui dirige le groupe des Démocrates de Suède (SD) à la municipalité de Hässleholm, dans l’extrême sud du pays. Alors, assis à l’intérieur du petit chalet en bois rouge cuivre où il fait campagne sur la grand-place, il semble vouloir en dire le moins possible en cette ultime semaine avant les élections de dimanche prochain. Une triple échéance puisque les électeurs suédois désigneront à la fois députés, conseillers régionaux et municipaux.

 

Ulf Berggren n’est guère causant mais il nourrit « de grands espoirs pour le parti » qu’il a rejoint en 2008. À l’époque, cette formation d’extrême droite ne pesait pas lourd à l’échelle nationale : moins de 3 % des voix. Deux ans plus tard, grâce au mode de scrutin proportionnel, elle a vu ses vingt premiers députés entrer au Parlement. Puis 49 en 2014, sur un total de 349 représentants du peuple : jamais un parti issu de la mouvance nazie n’avait obtenu autant de voix en Suède (12,9 %), pas même dans les années 1930, lorsque l’Allemagne hitlérienne séduisait dans un pays alors traditionnellement germanophile. Surtout en Scanie, d’ailleurs, région plate et agricole où vivent de nos jours les 50 000 habitants de Hässleholm, hameaux avoisinants compris.

Depuis la fondation des SD sur les décombres du groupuscule Garder la Suède suédoise, en 1988, de nombreuses communes de Scanie leur ont régulièrement accordé plus de voix qu’à l’échelle nationale. Une vieille habitude de ne pas faire comme à Stockholm, la capitale perchée à 600 kilomètres au nord-est, teintée de régionalisme. À Hässleholm, il y a quatre ans, le principal parti d’extrême droite du pays avait ainsi recueilli 23 % des voix.

Ulf Berggren en est sûr, cette fois-ci ce sera « la première place », devant les sociaux-démocrates du premier ministre sortant, Stefan Löfven. Pour ce chauffeur de camions de 47 ans, le parti à la rose et son partenaire écologiste au gouvernement, mais aussi l’opposition de centre droite, « n’ont pas été à la hauteur depuis des années ». À quel propos ? « Il y a eu l’emplacement de la future piscine municipale… Et puis le manque d’argent dans les caisses. L’immigration a tout avalé. » Ce constat, d’après lui, vaut pour tout le royaume.

Selon le bureau national des statistiques, 18,5 % de la population suédoise est née à l’étranger. Après la guerre, le pays a accueilli de la main-d’œuvre du sud de l’Europe et de Finlande. Puis, à partir des années 1970, des réfugiés politiques du Chili, de Grèce, d’Iran et d’ailleurs, sous l’impulsion de l’emblématique dirigeant social-démocrate Olof Palme. Des habitants fuyant les Balkans ont suivi, puis de Somalie, d’Irak, d’Afghanistan, etc. Depuis la guerre détruisant leur pays, les Syriens, en particulier, étaient sûrs de pouvoir obtenir un permis de résidence permanent. « Nous ne pouvons pas bâtir des murs autour du pays », justifiait Stefan Löfven à la fin de l’été 2015, au plus fort de « la crise des migrants ».

« C’est à ce moment-là que les Démocrates de Suède ont commencé à être écoutés au-delà de leur auditoire traditionnel », pointe Anders Sannerstedt, politologue ayant étudié ce courant politique de longue date à l’Université de Lund, à une heure de route de Hässleholm. Car dans les communes du pays, et en particulier en Scanie, toute proche d’un Danemark qui avait fermé ses frontières, l’afflux des demandeurs d’asile mettait à rude épreuve les infrastructures, le personnel municipal et les volontaires d’ONG. Jusqu’à ce que le gouvernement sortant ne décide de mettre le holà. C’était le 24 novembre 2015.

En annonçant la nouvelle aux côtés de Stefan Löfven, la vice-première ministre écologiste, Åsa Romson, avait les larmes aux yeux, tant la décision allait à l’encontre des principes prônés par son parti. Sans qu’elle ne démissionne pour autant. Peu après, le pays instaurait à son tour le contrôle d’identité aux frontières, renonçait pour trois ans minimum à accorder des permis de résidence permanents, réduisait quasiment à néant le regroupement familial pour les personnes acceptées après novembre 2015. Cette année-là, près de 163 000 demandeurs d’asile ont tout de même été pris en charge, en plus des quelque 180 000 arrivés les trois années précédentes. Avec une population alors légèrement inférieure à 10 millions d’habitants, la Suède est l’un des pays d’Europe à avoir accueilli le plus de réfugiés.

À Hässleholm, quelque 1 500 demandeurs d’asile ont été installés temporairement dans des logements communaux et ceux proposés par des entrepreneurs privés, moyennant des subsides de l’Office des migrations et une aide de l’État, pour au moins compenser les dépenses supplémentaires engagées. D’autres communes du pays ont été davantage mises à contribution (avec des arrivées équivalant à 20 %, voire 25 % de la population locale). Aujourd’hui, à Hässleholm, ces logements provisoires sont fermés, leurs occupants partis vers une nouvelle vie, en Suède ou ailleurs. De cette période un peu chaotique restent environ 200 réfugiés, désormais munis de permis de résidence, et de jeunes Afghans ayant déclaré être mineurs à leur arrivée et dont les dossiers compliqués traînent en longueur, nourrissant rumeurs et ressentiments.

 

 La crise est passée, il faut maintenant intégrer au mieux les nouveaux arrivants, comme ceux qui les ont précédés, pour leur donner une chance », avance Ann Olausson, tout en tendant des tracts à des passants sur la place centrale de Hässleholm. Rose sociale-démocrate brodée sur une parka rouge, cette militante sexagénaire regrette que son message ait désormais du mal à passer auprès des habitants. Contrairement, soupire-t-elle, à « la solution simpliste » proposée par l’extrême droite.

À une centaine de mètres de là, Ulf Berggren, dont la langue se délie peu à peu à l’intérieur de son cabanon, précise : « Nous voulons retirer les aides accordées aux nouveaux arrivants pour les redistribuer aux écoles, aux centres de soins, à la culture locale. » « Au conseil municipal, argumente Ann Olausson, ils ont déjà refusé d’attribuer la moindre couronne [la monnaie du pays] au chapitre immigrés et voté pour une réduction de l’argent prévu pour les cours de langue suédoise. » Des cours organisés par chacune des 290 communes du pays pour faciliter l’entrée des concernés sur le marché du travail et leurs premières années dans un système et une mentalité très codifiés.

« C’est le lien fait par les SD entre, d’un côté, ces arrivées et l’immigration en général et, de l’autre, les problèmes rencontrés par les habitants au niveau des secteurs de la santé et du logement, qui a permis à ce parti de donner le ton durant une bonne partie de la campagne électorale », explique Anders Sannerstedt, à l’Université de Lund. Car si la Suède se targue d’être une des mères-patries de l’État-providence, celui-ci aussi connaît des ratés. Attendre une opération chirurgicale pendant des mois est plutôt la norme qu’une exception. Rageant quand on paie des impôts parmi les plus lourds d’Europe. Quant aux logements, il en manque cruellement dans les grandes villes, qui attirent toujours plus de personnes, au détriment des campagnes. Lesquelles, parallèlement à une désindustrialisation progressive, fournissent à l’extrême droite le gros de ses électeurs, mécontents d’être « oubliés par Stockholm et ses élites politiciennes ».

« Les Démocrates de Suède n’ont plus la rhétorique raciste des débuts »

À Hässleholm, la population augmente peu à peu. La proximité de Lund et de Malmö, la troisième ville du pays, y est pour beaucoup. Ce samedi-là, sur l’estrade de la Folketshus(la Maison du peuple), les représentants locaux des partis en lice aux élections font face à une centaine d’habitants venus les écouter. Costume clair et verbe facile, un monsieur loyal distribue les questions. Faut-il attirer plus de retraités dans la commune ? Doit-on interdire la mendicité ? Que faire pour que « les habitants se sentent à nouveau en sécurité » ? Les candidats qui lèvent le doigt ont droit à la parole. Personne n’interrompt le voisin. Tout se passe sans éclats.

On a pourtant là, sur cette scène, un avant-goût de ce qui pourrait attendre la Suède après les élections. En 2017, trois partis de Hässleholm – conservateur, libéral et chrétien-démocrate – ont décidé de renverser l’équipe municipale sortante (minoritaire), grâce aux voix de l’extrême droite longtemps infréquentable. Laquelle, en contrepartie, a obtenu un poste de vice-maire. Une sensation à l’échelle du pays, interprétée alors comme un geste de ces partis de droite visant à signaler qu’ils seraient prêts, un jour, à coopérer avec les Démocrates de Suède au niveau national.

Mais de tout cela il n’est pas question sur la scène de la Maison du peuple. Sous les spots, Ulf Berggren, jeans, chemise noire et baskets, est l’un des plus passifs. Il se contente de quelques commentaires amers ou faussement détachés sur les « erreurs » commises par les autres partis durant leurs longues années au pouvoir. Les sondages nationaux parlent en faveur des SD, crédités en moyenne de 20 % des intentions de vote ces dernières semaines, devant les conservateurs et pas très loin des sociaux-démocrates. Alors nul besoin d’en rajouter.

Autrement plus éloquent, Jimmie Åkesson, qui a réussi à dédiaboliser les Démocrates de Suède depuis leur reprise en main en 2005, se charge des promesses. Plus de policiers pour « remettre de l’ordre » et « lutter contre la criminalité » qui, selon lui, prospère dans « des ghettos où la police n’ose plus intervenir ». En tournée à Malmö, la capitale de la Scanie, à 90 kilomètres de Hässleholm, ce brun de 39 ans se fait applaudir au moindre appel à la fermeté à l’égard de « ces migrants qui ne respectent ni la loi ni les valeurs suédoises ». Un barde local acquis à sa cause entonne une chanson mêlant nostalgie et espoir d’« un avenir meilleur ». À distance, des contre-manifestants sifflent et conspuent « les fascistes ».

FILE PHOTO: Jimmie Akesson, leader of the Sweden Democrats, campaigns in Sundsvall

Jimmie Åkesson, leader des Démocrates de Suède, en meeting à Sundsvall le 22 août. © Reuters

Sur le campus de l’Université de Lund, au cœur de la vieille ville, Anders Sannerstedt précise les contours idéologiques des Démocrates de Suède. Il connaît bien la petite équipe ayant pris en main le parti dans les années 2000 : Jimmie Åkesson, Mattias Karlsson, l’idéologue, Richard Jomshof, le secrétaire général actuel, et Björn Söder, vice-président du Parlement sortant, ont étudié là. « À l’origine, c’était un rassemblement de jeunes gens issus de groupuscules nationalistes, ce qu’ils sont restés depuis. En tant que tels, ils sont opposés à l’immigration et à l’Union européenne. Ils veulent réduire les possibilités pour les femmes d’avorter. Ils aiment aussi se décrire comme sociaux-conservateurs, ce qui les place à droite pour certains sujets – ils n’aiment pas les impôts – et à gauche pour d’autres – ils aiment l’État-providence. » Une contradiction que Jimmie Åkesson a réitérée à la télévision suédoise, le 2 septembre, sans qu’elle ne soit relevée par les journalistes qui l’interrogeaient.

« Ce qui est nouveau avec les SD, ajoute le politologue, c’est qu’ils n’ont plus la rhétorique raciste des débuts, lorsque leurs membres proclamaient la suprématie de la race blanche et affirmaient vouloir la préserver. Peu à peu, ces allusions ont disparu. Et lorsque des membres du parti y reviennent en public, ce qui arrive de temps à temps, pas plus tard que fin août en Scanie, ils sont exclus. Désormais, les SD disent ne pas croire que des cultures différentes puissent coexister côte à côte, avec toutefois une exception pour les chrétiens d’Orient. Quant aux critiques à l’encontre de l’islam, elles sont nettement moins audibles qu’avant, pour des raisons purement tactiques. De toutes façons, les électeurs savent à quoi s’en tenir. »

Cela ne signifie pas pour autant que tous les électeurs qui s’apprêtent à voter pour ce parti, dimanche, sont racistes ou islamophobes. Croisées sur la grand-place de Malmö, après le discours de Jimmie Åkesson, des personnes jurent qu’elles n’ont « rien contre les étrangers ». Mais « il est temps de dire stop, parce que le pays est au bord du chaos, avec trop de criminels arrivés parmi les gens qui avaient vraiment besoin d’aide », lance Inger Gustafsson, une infirmière à la retraite ayant grandi dans une famille sociale-démocrate. Son amie Lotta a la dent plus dure encore.

En s’éloignant du centre de Malmö (330 000 habitants), la proportion de personnes immigrées s’accroît pour atteindre environ 85 % dans le quartier de Rosengard, l’un des « ghettos » dénoncés par Jimmie Åkesson. « Tout le monde sous un même toit », proclame un panneau placardé à l’entrée du grand centre commercial du coin. À l’intérieur, la vie y suit son cours en de multiples langues. Les personnes rencontrées ici et là ne se reconnaissent pas dans le portrait très sombre dressé par l’extrême droite, sans nier pour autant l’existence de petits trafics et de règlements de comptes entre bandes rivales. « C’est la faute de la commune, qui ne devrait pas laisser les jeunes livrés à eux-mêmes dès la sortie de l’école », estime un quinquagénaire somalien installé ici depuis 25 ans. Est-ce le cas de ses enfants ? « Les miens, je les ai envoyés étudier en Chine, au moins ils n’auront pas ce genre de problèmes… », rétorque ce chauve qui ne veut pas donner son nom.

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Quelques arrêts de bus plus loin, Kerstin Larsson, la directrice de la Croix-Rouge à Malmö, s’inquiète de la montée des inégalités dans le pays, et de la réduction du nombre de foyers mis à la disposition des réfugiés et des Roms venus de Roumanie et de Bulgarie par la municipalité (la maire est sociale-démocrate).

Quant à la place centrale occupée par l’extrême droite dans la campagne électorale, cette septuagénaire n’en croit pas ses yeux. « Je nous croyais mieux armés pour faire face à cette propagande. Qu’on puisse croire qu’il serait possible de retourner à la Suède des années 1950 ou 60… Je peux bien comprendre que les gens se préoccupent davantage de leurs proches, d’une grand-mère dans le besoin par exemple, que de gens d’origine étrangère. Mais personne ne leur explique que si on expulsait tous les “non-Suédois” du pays, comme le laissent entendre les SD, c’est toute la société qui se casserait la figure. »