L’ED en Europe

Au sein de l’UE, les parlements ne répondent pas de la même manière à la poussée de l’extrême droite

Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Grèce… Mediapart s’est penché sur la manière dont sept parlements européens travaillent, ou pas, avec les forces d’extrême droite. Leurs techniques pour concrétiser le « cordon sanitaire » débouchent sur des résultats inégaux.

Donatien HuetLudovic Lamant et Amélie Poinssot

29 juin 2022 à 20h03, Médiapart

Au lendemain des législatives, la France s’est réveillée avec une Assemblée nationale fragmentée, sans majorité absolue évidente, rappelant de nombreux parlements très morcelés partout en Europe. La situation serait même « affreusement banale au niveau européen », a voulu dédramatiser Emmanuel Macron à l’issue d’un sommet européen le 24 juin à Bruxelles.

Mais alors que les député·es doivent élire, ce jeudi, président·es et vice-président·es des huit commissions de l’Assemblée, avec l’éventualité que plusieurs postes reviennent au RN, comment fonctionnent d’autres parlements ailleurs en Europe ? Comment font-ils avec les forces d’extrême droite ? Passage en revue de sept hémicycles à travers l’UE.

(voir graphique dans article original avec proportion de l’ED dans les principaux pays de l’ED, ou voir statistiques après cette article)

 

Vox détient un poste de vice-présidence au sein de l’organe de coordination du Congrès (sur un total de neuf membres), et « il aurait pu en obtenir un second si Vox était parvenu à s’entendre avec le Parti populaire [PP, droite – ndlr] », assure Pablo Simón. Le parti de Santiago Abascal n’occupe aucune présidence de commission parlementaire.

Au niveau des assemblées régionales, le PP est parfois à la tête d’un gouvernement minoritaire qui bénéficie du soutien indirect de Vox (ce fut le cas du gouvernement d’Andalousie au cours de la législature qui s’est terminée début juin). Depuis avril 2022, un gouvernement de coalition PP-Vox s’est mis en place en Castille-La Mancha, dans le centre du pays, une première depuis le retour de la démocratie.

Grèce : un cordon sanitaire efficace… jusqu’à l’arrivée de la crise dans les années 2010

Dans ce pays fortement marqué par la dictature des colonels (1967-1974), pendant longtemps l’extrême droite n’a pas eu droit de cité et reste, jusqu’en 2007, cantonnée à des mouvements extraparlementaires. Quand elle entre pour la première fois au Parlement avec le parti Laos (acronyme pour « Alerte populaire orthodoxe » et mot signifiant « peuple » en grec), elle est marginale.

Tout bascule avec la crise financière. Le 12 novembre 2011 : un technicien sans légitimité dans les urnes, Loukás Papadímos, est nommé à la tête d’un nouveau gouvernement grec. Cet ancien gouverneur de la Banque centrale doit mettre fin à l’ère du socialiste Papandréou, lequel avait signé, avec les institutions européennes et le FMI, le premier plan d’austérité pour le peuple grec. Pour repousser de quelques mois la nécessité de convoquer de nouvelles élections et alors que le pays est au bord de la faillite, cet exécutif forme une « union nationale » et fait appel, pour son investiture, aux 16 députés d’extrême droite du Laos.

Ce parti néolibéral et xénophobe, dont certains membres étaient issus d’une organisation fasciste inspirée des colonels, bénéficie alors d’un formidable tremplin médiatique, sans proportion par rapport à son poids électoral (seulement 5,6 % des voix aux législatives deux années plus tôt). Il se retrouve en position d’arbitre de l’échiquier politique : c’est le chaînon qui permet de former une coalition entre la droite et les socialistes, jusque-là ennemis jurés en Grèce.

Cette coalition, instable, ne durera que trois mois. Le Laos n’a pas dirigé de commission parlementaire pendant cette période, mais il a obtenu quatre postes de ministre. Quand il quitte la coalition, retournant sa veste au moment du vote du deuxième programme d’austérité, deux de ses représentants, parmi les plus extrémistes, restent toutefois au gouvernement, rejoignant les rangs de la droite grecque.

Depuis, de telles alliances ne se sont pas représentées : dépouillé de ses transfuges, le Laos a fini par disparaître. Et une extrême droite criminelle, néonazie, a émergé : Aube dorée. Cette dernière a siégé au Parlement hellénique entre 2012 et 2019 mais est restée isolée, tandis que ses dirigeants ont été condamnés en 2020 à l’issue d’un long procès.

Autriche : une extrême droite parfaitement institutionnalisée

C’est une différence majeure avec l’Allemagne : le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, Parti de la liberté d’Autriche) est pleinement intégré au jeu d’alliances du Parlement autrichien. En 1970, déjà, le groupe donne son soutien à un gouvernement social-démocrate. En 1983 et en 1986, ensuite, il forme une coalition avec les sociaux-démocrates. Puis en 2000-2005, c’est avec les conservateurs que le FPÖ forme une coalition, ce qui lui donne accès à des postes clefs au gouvernement.

Dans ce pays fédéral où les partis ne donnent jamais de consigne de vote pour faire barrage à l’extrême droite, le Land oriental du Burgenland a également fait les frais de ce type de coalition : de 2015 à 2020, le FPÖ dirige le conseil régional avec les sociaux-démocrates. Il occupe alors le poste de n° 2 du gouvernement du Land, aux questions de sécurité.

Le parti est de nouveau au centre du jeu parlementaire entre 2017 et 2019 : alors qu’il n’était arrivé qu’en troisième position aux élections législatives (51 sièges sur 183), il devient l’allié des conservateurs qui ne veulent pas faire revenir les sociaux-démocrates au pouvoir. Le FPÖ se retrouve à la tête de nombreuses commissions parlementaires : défense, santé, enseignement, recherche et innovation, protection des consommateurs, sport, tourisme, science, médiation, et transparence. Et il obtient cinq postes de ministre, dont la défense, l’intérieur, et celui de vice-chancelier.

« Le manque, pendant longtemps, de rééducation et de travail de mémoire a permis aux traditions racistes, antisémites et autoritaires de survivre plutôt bien en Autrichenous expliquait il y a quelques années le chercheur autrichien Bernhard Weidinger. […] Les sociaux-démocrates et les catholiques conservateurs ont souvent vu le FPÖ comme un élément stratégique : le parti d’extrême droite était utilisé dans les coalitions afin d’exercer une pression sur un partenaire. Sa présence fournissait une arme de négociation. »

Italie : le cordon sanitaire enterré dès les années Berlusconi

Depuis les années 90 et la décision de Silvio Berlusconi de gouverner en coalition avec l’Alliance nationale et la Ligue du Nord à partir de 1994, le concept de cordon sanitaire a du plomb dans l’aile dans le paysage italien. Au sein de la chambre basse, leur présence est massive, si l’on ajoute aux 37 élu·es Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, les 131 député·es de la Ligue de Matteo Salvini (sur un total de 630 sièges). Mais les premiers sont dans l’opposition à l’exécutif de Mario Draghi, quand les seconds y participent.

 

Fratelli d’Italia, formation héritière d’un mouvement post-fasciste, détient un poste de questeur, et un autre de vice-président du bureau de la Chambre des députés. Mais son influence reste limitée, alors qu’elle n’avait obtenu qu’environ 4,3 % des voix aux législatives de 2018, loin des scores à deux chiffres que lui donnent à présent les sondages, qui en font la première formation de la péninsule.

Au Parlement européen, la dispersion des extrêmes droites nuit à leur influence

L’hémicycle européen pratique une forme de cordon sanitaire, au moment de répartir, selon le système d’Hondt, les président·es et vice-président·es de ses 20 commissions thématiques. Les groupes majoritaires s’entendent pour isoler les candidats d’extrême droite, au coup par coup. Conséquence : l’institution ne compte aucun président de groupe, ni de vice-président, issu du groupe Identité et démocratie (ID, dont les Français du RN).

Mais la pratique est à géométrie variable. D’apparence plus respectable, parce qu’il a été créé par les conservateurs britanniques, le groupe des conservateurs et réformateurs (ECR) compte aujourd’hui dans ses rangs les Polonais du PiS, les Espagnols de Vox ou les Italiens de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni.

ECR détient aujourd’hui l’une des 14 vice-présidences du Parlement européen, mais aussi la présidence de la puissante commission budget (avec le Belge Johan Van Overtveldt, de la N-VA, de la droite indépendantiste flamande), ou encore plusieurs vice-présidences de commission, dont celle de l’agriculture (pour l’eurodéputée Vox Mazaly Aguilar). À l’inverse, la candidature de l’ancienne cheffe du gouvernement polonaise Beata Szydło, figure du PiS, a été rejetée en 2019 lorsqu’elle postulait pour la présidence de la commission emploi.

« C’est une mécanique de régime parlementaire avec beaucoup d’informel, et des lignes qui bougent à chaque élection », explique un bon connaisseur de l’institution. Les extrêmes droites à Strasbourg sont éclatées : outre les groupes ECR et ID, il faut prendre en compte une bonne partie des non-inscrit·es (avec les élu·es Reconquête ou les Hongrois·es du Fidesz ou du Jobbik, etc.) pour mesurer leur poids – une estimation d’environ 130 élu·es, sur un total de 705. Cette dispersion explique aussi pourquoi elles peinent à décrocher des postes dans l’institution.

Donatien HuetLudovic Lamant et Amélie Poinssot

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