Face à Trump, la droite et l’extrême droite françaises entre embarras et enthousiasme
16 OCTOBRE 2020 PAR LUCIE DELAPORTE ET ILYES RAMDANI, Médiapart
Le Rassemblement national a décidé d’envoyer une petite délégation aux États-Unis pour suivre les derniers jours de campagne de Trump, que Marine Le Pen continue d’encenser en dépit de la piètre image du président américain en France. Côté LR, le personnage divise mais suscite surtout la gêne.
Malgré une image controversée en France, le RN a décidé de mettre en scène un soutien sans faille à Donald Trump dans cette élection où le président américain joue son va-tout. Le 30 octobre, Jordan Bardella, vice-président du RN, et l’eurodéputé RN Jérôme Rivière s’envoleront pour un séjour de quatre jours aux États-Unis, où ils assisteront au dernier meeting de Trump, mais également à la soirée électorale du 3 novembre. L’organisateur du voyage n’est autre que le chroniqueur pro-Trump Harlan Hill, récemment licencié par Fox News pour avoir traité la candidate démocrate à la vice-présidence, Kamala Harris, « d’insupportable pute menteuse ». Aux États-Unis, les responsables du RN devraient rencontrer, a fait savoir le parti, quelques membres du Parti républicain que Jérôme Rivière, ex-vice-président UMP du groupe d’amitié France-États-Unis, connaît bien.
Ces dernières semaines, les cadres du RN ont répété à quel point leur parti se sentait en phase avec le président américain. Un président qui aurait « la fierté de défendre les États-Unis, ce que n’ont malheureusement plus nos responsables politiques », expliquait récemment Jordan Bardella, quand Marine Le Pen vantait un président opposé au « libre-échange généralisé » et défenseur de la nation.
En juin 2019, invitée sur BFMTV, Marine Le Pen affirmait que les résultats économiques de Trump étaient « juste spectaculaires » avant d’expliquer les raisons de ce succès, selon elle. « Qu’a dit Donald Trump ? Les États-Unis empire, c’est fini. On redevient une nation, on se protège, on protège nos industries, on protège nos emplois. Ça marche ! […] Alors que nos experts, ici, disent que protectionnisme, ça ne marche pas », précisait la présidente du Rassemblement national.
Reconnaissant que le personnage est « clivant » et que « son style est déroutant », le maire (RN) de Perpignan, Louis Aliot, qui a beaucoup œuvré ces dernières années au rapprochement avec l’entourage de Trump, admet néanmoins une certaine fascination pour le personnage. « Trump est honnêtement une curiosité politique. Un Ipni, un individu politique non identifié », affirme-t-il, expliquant que son parti et Donald Trump se retrouvent « sur la défense des frontières, le patriotisme économique et la non-ingérence extérieure ».
Rien que de très normal, donc, que d’envoyer une délégation pour l’élection présidentielle américaine, selon lui. « C’est un excellent poste d’observation de la vie politique », précise-t-il. « Nous avons négligé pendant des décennies nos relations politiques avec le personnel politique américain. Alors, surtout, il ne faut pas s’en priver et travailler sur le long terme. Les Américains sont nos alliés et nos amis. Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, évidemment. Et que nous parlons à tout le monde. » Pour lui, soigner de bonnes relations avec l’entourage de Trump revient, en réalité, à défendre « l’intérêt de la France d’abord ».
Avec le président américain, les relations n’ont pourtant pas toujours été aussi bonnes que ne l’aurait souhaité Marine Le Pen, qui a accueilli son élection par de bruyantes déclarations d’admiration.
« La victoire de Donald Trump est une pierre supplémentaire dans l’émergence d’un nouveau monde, qui a pour vocation à remplacer un ordre ancien », s’était-elle enthousiasmée, tranchant alors avec les réserves d’une grande partie de la classe politique.
Quelques semaines après l’élection de Donald Trump en 2017, Marine Le Pen, alors en pleine campagne présidentielle et à la recherche d’une stature internationale, s’était aussi octroyé une escapade de deux jours aux États-Unis. Elle avait pris, sous l’œil des caméras, un café à la Trump Tower, laissant entendre qu’elle y avait un rendez-vous. Finalement, la présidente du RN ne rencontra non seulement pas Trump, mais même aucun membre de son équipe. Un camouflet, alors que le leader de l’extrême droite britannique, Nigel Farage, avait été, lui, reçu en grande pompe par Trump en personne.
« Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais rencontrée », avait finalement sèchement répondu Donald Trump, interrogé par le Financial Times sur ce qu’il pensait de la candidate du RN.
À défaut de rencontrer Trump, le RN aura au moins réussi à approcher, ces dernières années, son ancien conseiller, le sulfureux Steve Bannon, principal architecte de la campagne du candidat républicain. Aujourd’hui inculpé de détournement de fonds pour des sommes censément destinées à « bâtir le mur » entre le Mexique et les États-Unis, le personnage n’est plus mis en avant par les cadres du RN.
Le 10 mars 2018, celui qui a longtemps dirigé le site conspirationniste Breitbart News est l’invité d’honneur du « meeting de la refondation » FN qui acte le changement de nom du parti. Sa venue est le fruit d’un rapprochement avec certains membres de l’entourage de Trump, à l’initiative de Jérôme Rivière et Louis Aliot. Marion Maréchal avait participé, quelques mois plus tôt, au Congrès des conservateurs américains, où elle avait paraphrasé Donald Trump en exprimant à la tribune : « Make France great again. » Alors que la guerre entre la nièce et la tante secoue le parti, Steve Bannon tient à Lille des propos dithyrambiques à l’égard de Marion Maréchal : « Elle n’est pas simplement une étoile montante en France, elle est l’une des personnes les plus impressionnantes au monde. » Et bat publiquement froid Marine Le Pen.
Une enquête d’« Envoyé spécial » avait révélé que l’ancien gourou de Trump ne donnait, par ailleurs, pas que des conseils en stratégie au parti d’extrême droite mais que les discussions avec lui portaient également sur les sources de financement du parti.
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Plusieurs députés avaient alors réclamé une commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur les liens entre Bannon et le RN, au motif d’une possible « intelligence avec une puissance étrangère ». Un comble pour le parti d’extrême droite.
À droite, la question de la présidentielle américaine embarrasse plus qu’elle n’enthousiasme. Loin de l’alignement historique entre les Républicains (LR) français et leurs homologues américains, l’émergence de Donald Trump a contraint la droite à revoir son jugement. En 2016, Nicolas Sarkozy, alors président du parti, avait publiquement souhaité la victoire de Hillary Clinton.
« Si j’étais américain, je ne voterais pas pour Trump, confirme aujourd’hui Aurélien Pradié, le secrétaire général du parti. Je le considère dangereux. Il méprise le peuple, il a profité de sa misère pour s’en ériger comme le défenseur. » Le député du Lot assure que cette ligne est largement partagée au sein de son parti : « Je n’ai jamais vu personne ici défendre Trump. »
Pourtant, la question américaine illustre bien les clivages qui traversent LR. En mars 2018, Laurent Wauquiez, alors numéro 2 du parti, avait salué le Trump candidat, qu’il estimait « révélateur de quelque chose », une sorte de contre-modèle de la politique du « filet d’eau tiède » qui prévalait en France, à l’en croire. « Il y a une droite française très conservatrice sur les valeurs et très libérale en économie qui n’est pas très éloignée de ce que pense Trump », note Frédéric Lefebvre, ancien député des Français en Amérique du Nord, membre de LR jusqu’en 2017.
« Quand Trump a eu des résultats positifs sur le plan du chômage et de l’économie, des gens à droite ont commencé à considérer que Trump, ce n’était pas si mal, ajoute l’ancien ministre, aujourd’hui membre de LREM. Et puis, il y a eu la pandémie : là, le côté iconoclaste de ce président et son rejet des structures ont fait que la droite a de nouveau pris ses distances avec lui. »
Tenant d’une ligne dure, Bruno Retailleau se montre, lui aussi, sévère à l’égard du président américain. « Trump n’est pas un modèle pour la droite, tranche le président du groupe LR au Sénat. J’ai toujours dit que la démagogie, ce n’était pas l’horizon de la politique », affirme-t-il.
Quid d’éventuelles convergences sur le fond et les valeurs ? Retailleau botte en touche : « C’est comme si vous me demandiez si je suis d’accord avec Marine Le Pen quand elle combat l’islamisme… »
Pas question, pour autant, de soutenir le candidat démocrate comme Sarkozy en 2016. « Biden n’est pas un modèle non plus pour nous, juge Retailleau, déjà candidat à une (hypothétique) primaire pour 2022. Moi, je fais tout pour que l’on n’ait pas ce dilemme en France. »