Comment le RN tente de se repeindre en vert
Marine Le Pen présente aujourd’hui (le 9 mars) sa contre-proposition de référendum sur l’environnement. Son parti tente de démontrer sa crédibilité sur un sujet qu’il a longtemps laissé de côté.
Billet politique à écouter avec le lien: https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-mardi-09-mars-2021
Si vous aimez comme moi vous plonger dans les résultats électoraux, avec des cartes et des graphiques colorés, vous l’aurez remarqué : pour le Rassemblement national, aucun journal n’utilise le même code couleur.
Il y a ceux qui choisissent le brun, d’autres le bleu marine, d’autres enfin, un violet sombre (un peu moins engagé, un peu plus engageant ?)
Mais le parti lepeniste essaie, lui, de se parer d’une autre couleur : le vert. Celui de l’écologie, bien sûr. Ces dernières années, cette thématique a fait une entrée remarquée dans les discours des dirigeants du Rassemblement national.
En témoigne donc, la présentation par Marine Le Pen, ce matin, du contre-projet de référendum sur l’écologie, en opposition avec le référendum imaginé par Emmanuel Macron pour faire entrer la protection du climat dans la constitution.
Une entrée remarquée, disions-nous, car jusqu’ici ce thème était largement absent des argumentaires frontistes.
Les rares fois où l’écologie était évoquée, c’était pour salir les écologistes. A l’image de ces déclarations de Jean-Marie Le Pen en 1989.
« Le parti vert, qui d’ailleurs [au Parlement européen] s’appelle le parti « arc-en-ciel », s’est toujours révélé comme un parti d’ultra-gauche, très à la gauche du Parti communiste ! »
Salir les écologistes, donc, sans pour autant défendre les énergies propres. Il y a encore quelques années, en 2012, Marine Le Pen soutenait l’exploration du gaz de schiste :
« Refuser l’exploration, refuser la recherche sur ce sujet, c’est à mon avis avoir une vision d’âge de pierre ! »
A vrai dire, ce n’est pas si étonnant que les Verts aient fait office de bête noire pour les frontistes. Les deux partis revendiquent de proposer une alternance radicale, les deux formations se voient comme des remparts à un avenir fatalement sombre, crise migratoire d’une côté, crise environnementale de l’autre.
Cette animosité s’explique aussi par les positions de fond, diamétralement opposées dans de nombreux domaines, en particulier sur les questions de société. Ce qui permet d’électriser les foules, comme ici au meeting de la frontiste Marie-Christine Arnautu, en 2010.
« Avec ces petits « schtroumpfs verts » [au pouvoir], je vais vous décrire l’avenir. Vous serez interdits de voiture. Vos propriétés seront réquisitionnées pour les sans-papiers. Vous vous éclairerez à la bougie. Pour supporter tout ça, vous aurez le droit de fumer de fumer du cannabis, qui sera en vente libre. Il faudra bien cela pour vous imaginer encore dans un pays libre. »
Une manière d’évacuer le parti écolo et avec lui le discours écologiste. Dans les programmes des présidentielles de 1995, 2002, 2007, quasiment aucune proposition pour l’environnement. Il est vrai que le sujet était alors souvent jugé marginal (même si les idéologies ultra-conservatrices ont revendiqué l’écologie, au nom des « lois de la nature »).
Cela change, au Front national, au début des années 2010. Le Front national se dote alors d’un collectif baptisé « Nouvelle écologie ».
Il s’agit bien sûr de montrer que ce thème n’échappe pas à un parti qui prétend gouverner. L’évidence s’est imposée : les canicules à répétition, les hivers raccourcis, la pollution rendent difficile de faire l’impasse sur le sujet du climat.
Mais la reprise des thèmes écolos n’est pas gratuite. Dans le programme du RN, elle se mixe avec d’autres soubassements idéologiques du parti.
Par exemple, Marine Le Pen défend la cause animale… pour mieux attaquer l’abattage rituel religieux.
De même, la lutte contre le changement climatique est montrée comme une déclinaison du souverainisme, avec l’exaltation des circuits courts et des frontières closes.
« Quand on est patriote, on est écolo ; quand on est mondialiste, on ne peut pas être écolo » professe Marine Le Pen.
Cette pensée, qu’on appelle le localisme, est défendue au sein du RN par l’essayiste Hervé Juvin, désormais eurodéputé. Sa rapide progression dans l’appareil montre que Marine Le Pen veut mettre en avant ce thème pour 2022. Même si ledit Hervé Juvin reconnaît qu’il doit parfois se bagarrer en interne contre les climato-sceptiques.
Derrière tout cela, il y a aussi le calcul politique. Dans sa logique de dédiabolisation puis de présidentialisation, Marine Le Pen veut montrer qu’elle n’oublie aucun sujet, au cas où elle doive gouverner.
Dans la perspective d’un second tour à la présidentielle, elle doit aller chercher de nouveaux électeurs, au delà de ses sympathisants traditionnels, et donc au-delà de ses thèmes traditionnels : immigration, chômage et insécurité.
Face à Emmanuel Macron, elle veut récupérer un électorat plus urbain, plus diplômé. La mise en avant de l’écologie fait aussi partie de cette stratégie.
Mais pas sûr que cette mue convainque tout le monde, y compris en interne.
Par exemple, l’ancien candidat lepéniste à la mairie de Paris proposait… d’augmenter la place de la voiture en ville. Il reste visiblement du travail.
Frédéric Says