Justice, Dupond et Macron: arrangements entre amis…

TRIBUNE

La présomption d’innocence des ministres est devenue le bouclier de l’entre-soi

par William Bourdon, Avocat et Vincent Brengarth, Avocat

publié le 18 juillet 2021 à 18h47

Avant même la mise en examen d’Eric Dupond-Moretti, certaines voix, dont celle de Jean-Louis Bessis, professeur de droit public, dénonçaient, non sans prémonition, la supposée automaticité de la jurisprudence sur la démission d’un ministre mis en examen et ses prétendus effets pervers. Le garde des Sceaux disposait ainsi déjà de ses zélés défenseurs, comme pour mieux accréditer le choix de Jean Castex de renouveler, le 16 juillet, «toute sa confiance» à son ministre de la Justice.

La banalisation de la mise en cause de certains ministres dans des procédures judiciaires a eu un effet incroyable consistant à rendre leur démission quasiment insolite, sinon aberrante. L’histoire récente rappelle que François Bayrou, poids lourd de la politique, avait décidé de démissionner de ses fonctions avant sa mise en examen dans l’affaire des assistants parlementaires du Modem, tout comme François de Rugy démissionnera «simplement» pour des images suggérant une utilisation dispendieuse des fonds publics… On assiste ainsi à un retournement de paradigme, très loin de la République irréprochable annoncée par Emmanuel Macron et qui était également défendue par Edouard Philippe en ces termes : «Un ministre mis en examen, ça démissionne.»

Eric Dupond-Moretti a conservé son portefeuille ministériel, car protégé par le chef de l’Etat et par le chef de gouvernement. Il s’agit d’un événement dans l’histoire de notre Ve République d’une grande gravité. Un ministre de la Justice est mis en examen par des juges et, dans le même temps, encouragé à œuvrer pour la restauration de la confiance dans la justice.

Bien sûr, nul ne doit associer la mise en examen avec une déclaration de culpabilité, afin de ne pas ébranler le principe fondamental de présomption d’innocence. Ce principe ne doit cependant pas être instrumentalisé pour effacer ce qu’une mise en examen signifie : c’est-à-dire pour des juges expérimentés, à des années-lumière de juges militants, de considérer qu’il existe à l’encontre du ministre des indices ou graves ou concordants d’avoir commis l’infraction de «prise illégale d’intérêts».

Arrangements entre soi

La confiance réitérée au garde des Sceaux, guidée par l’idée selon laquelle la justice ne serait pas un «pouvoir» mais une «autorité», pour reprendre les mots récents du président de la République, est en parfaite cohérence avec la politique autoritaire de ce gouvernement et ses nombreux reniements. On ne peut pas oublier non plus les multiples expressions de défiance de ministres et de quasiment toute la classe politique ces dernières années vis-à-vis des juges, c’est un mouvement général. La réalité, c’est que de façon œcuménique, malédiction française, il existe un entre-soi de l’establishment politique qui ne supporte plus et n’accepte plus qu’on lui demande des comptes, lorsqu’il manque à ses devoirs d’intégrité et de probité.

L’absence de démission d’Eric Dupond Moretti ne peut que participer à ébranler un peu plus la confiance dans les institutions, déjà si fragile. Elle nourrit l’impression d’arrangements entre soi au sein des élites qui seraient solidaires entre elles, au mépris de l’intérêt général. Au moment même où les citoyens demandent des gages d’intégrité, le principe de précaution qui devrait conduire à la démission s’efface. Ce principe de précaution trouverait pourtant d’autant plus à s’appliquer lorsque les fonctions sont le support des infractions reprochées, comme c’est ici le cas.

De plus, la poursuite des fonctions induit nécessairement, au moins indirectement, une remise en cause de la justice dont le garde des Sceaux est pourtant précisément censé être le gardien du bon fonctionnement. Souvenons-nous des propos de Nicolas Sarkozy qui qualifiait les juges de «petits pois» jusqu’à ceux ahurissants d’Eric Dupond-Moretti, alors avocat, qui avait reproché les «méthodes de barbouzes» de magistrats du PNF. Or, il est notamment reproché à Eric Dupond-Moretti d’avoir diligenté une enquête administrative contre des magistrats du PNF ayant participé à identifier la personne qui renseignait Nicolas Sarkozy sur les investigations dans l’affaire Paul Bismuth, à l’occasion desquelles les fadettes d’Eric Dupond-Moretti seront examinées.

Impérities et désinvoltures

Les proximités entre les protagonistes de cette affaire et l’actuel garde des Sceaux mettaient à tout le moins en évidence des logiques d’entre-soi qui ne pouvaient que favoriser les accusations aujourd’hui portées à l’encontre d’Eric Dupond-Moretti, soit d’avoir profité de ses fonctions pour régler ses comptes, comme il l’a fait à l’encontre d’un juge de Monaco. Ces mêmes logiques de communauté d’intérêts qui, pour mieux asseoir leur impunité, accusent la justice d’être un pouvoir lorsqu’elle révèle leurs impérities et leurs désinvoltures par rapport à la loi.

De plus, comme la mise en examen du garde des Sceaux peut-elle être de nature à favoriser une confiance des magistrats et des auxiliaires de justice à son endroit ? Nombreux sont aussi les avocats à s’en plaindre, plus ou moins ouvertement, les mêmes qui ont dénoncé les renoncements de l’avocat depuis qu’il est devenu ministre. La justice n’a pas à être prise en otage d’intérêts privés et d’affinités personnelles sur fond de considérations purement électoralistes.

Trop d’éléments ne pouvaient qu’alerter sur les risques qui résultaient de la nomination d’Eric Dupond-Moretti, dont on connaissait le mépris pour les juges, les affinités prononcées avec le principal avocat de Nicolas Sarkozy mais ceci explique peut-être cela. Dans n’importe quelle grande démocratie, a fortiori s’agissant d’une fonction régalienne, le ministre aurait démissionné.