Immigration

Immigration : fausses menaces, vraies questions

Plutôt que de tenter d’exploiter la peur de l’autre ou de la nier, les responsables politiques devraient traiter les grands dysfonctionnements liés à la gestion de l’immigration.

Publié hier à 11h14, mis à jour hier à 17h41   Temps deLecture 2 min.

Editorial. Que les questions liées à l’immigration soient instrumentalisées dans le débat politique n’a rien de nouveau, surtout à l’approche d’une élection présidentielle. Le droit de vote des immigrés et les lois sur la nationalité ont longtemps été utilisés, respectivement par la gauche et par la droite, comme épouvantails à électeurs et moyens de diviser l’adversaire. La montée de la rhétorique identitaire a fait varier les thèmes jugés porteurs. Aujourd’hui, c’est le fantasme d’une « menace », voire d’une « invasion », qui est agité, non plus seulement par l’extrême droite mais par la droite républicaine.

Les statistiques sur les premiers titres de séjour délivrés en 2021, rendues publiques, jeudi 20 janvier, risquent d’alimenter la surenchère « anti-immigrés » à laquelle se livrent ces candidats.

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Peu importe que ces chiffres – 272 000 titres de séjour délivrés, 103 000 demandes d’asile – traduisent surtout l’effet de la crise du Covid sur les migrations (un rattrapage après la fermeture des frontières de 2020) ; peu importe qu’ils pèsent relativement peu dans un pays de 67,8 millions d’habitants et ne puissent s’apparenter à une « menace ». Peu importe aussi que l’immigration vienne après l’environnement, la protection sociale, la délinquance et le pouvoir d’achat dans le classement des préoccupations des Français, certains présenteront les statistiques du ministère de l’intérieur comme le signe d’une perte de maîtrise de l’Etat sur les flux migratoires.

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Il serait pourtant vain de nier les évolutions : la proportion d’immigrés dans la population est passée de 7,3 % en 2000 à 10 % aujourd’hui ; une majorité des nouveaux arrivants provient d’Afrique et non d’Europe comme jusqu’aux années 1990. Surtout, il serait absurde de fermer les yeux sur le phénomène de concentration des immigrés dans certains quartiers. Enfin, on ne peut négliger le fait que près des deux tiers des Français estiment qu’« il y a trop d’étrangers en France » (sondage Ipsos pour Le Monde d’août 2021) et que cette xénophobie, ferment de division et de violence, est un terrible carburant politique pour les démagogues. La gauche, en faisant trop souvent l’impasse sur ces réalités, s’est mise en situation d’être difficilement audible sur le sujet.

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Plutôt que de tenter d’exploiter la peur de l’autre ou de la nier, les responsables politiques devraient expliquer que la France ne serait plus elle-même si elle en venait, sous prétexte d’entraver les migrations, à ne plus respecter les droits fondamentaux à vivre en famille, à se marier librement et à trouver asile. Ils devraient aussi traiter les grands dysfonctionnements liés à l’immigration : la faillite du règlement européen de Dublin, qui favorise l’errance des demandeurs d’asile d’un pays de l’UE à l’autre, et l’impuissance des Vingt-Sept à coordonner leur politique d’asile et de reconduite effective des déboutés. Ils devraient enfin tirer les conséquences des effets délétères du traité du Touquet, qui fait de la France le gendarme de la frontière britannique.

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Les autres défis ultra-prioritaires, en France même, concernent la lutte contre les ghettos urbains, chantier immense et crucial laissé en jachère depuis l’abandon du « plan Borloo », en 2018, et la politique de formation et d’insertion des immigrés, qui, comme en Allemagne, doit être une priorité de l’Etat. Le pays n’a rien à gagner à se tromper de débat, à laisser les marchands de haine spéculer sur une prétendue invasion, au lieu de privilégier les solidarités européennes et d’investir dans l’intégration.

Le Monde

Présidentielle 2022 : la droite et l’extrême droite impriment leurs idées sur l’immigration et l’identité

Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Eric Zemmour s’entendent sur le fond, mais s’opposent sur les curseurs. La gauche, elle, est sur la défensive.

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Publié le 20 janvier 2022 à 12h00 – Mis à jour le 20 janvier 2022 à 19h40

Temps deLecture 4 min.

Le candidat d’extrême droite à la présidentielle, Eric Zemmour, en déplacement à Calais (Pas-de-Calais), mercredi 19 janvier 2022.
Le candidat d’extrême droite à la présidentielle, Eric Zemmour, en déplacement à Calais (Pas-de-Calais), mercredi 19 janvier 2022. MICHEL SPINGLER / AP

A Calais (Pas-de-Calais), mercredi 19 janvier, Eric Zemmour a effectué un aller-retour express pour dénoncer dans un même élan l’Europe et « l’invasion migratoire ». Lui qui assume porter une « candidature anti-immigrés » triomphe d’avoir imposé sa vision dans cette campagne, face à une gauche plutôt sur la défensive. Il y a deux mois, c’est le candidat écologiste Yannick Jadot qui se trouvait à Calais, après la mort de 27 migrants, pour défendre les valeurs humanistes. « On n’est pas nombreux à dire aujourd’hui que l’immigration n’est pas un problème, avait-il constaté, y compris dans le camp du progrès. »

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A gauche, les candidats valorisent toujours les migrations comme une richesse, mais en se référant au passé. « Le facteur numéro un de progrès dans l’histoire de l’humanité… je le rappelle, juste pour qu’on s’en souvienne », a lancé Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), en meeting à Nantes, dimanche 16 janvier. « Les immigrés ont concouru à la construction et à l’histoire de notre pays », dit le programme de la socialiste Anne Hidalgo. A l’autre bout du spectre, l’immigration est brandie comme une menace pour l’avenir – de « nos modes de vie » et de « notre souveraineté », selon Valérie Pécresse (Les Républicains, LR) et Marine Le Pen (Rassemblement national, RN), de « survie de la France » et de « guerre sur notre sol », selon Eric Zemmour.

Les candidats de droite et d’extrême droite présentent de nombreuses idées proches, comme si leurs choix respectifs n’étaient plus qu’affaire de curseur. Tous entendent soumettre leur projet par référendum pour éviter l’intervention du Conseil constitutionnel sur des mesures qui, en l’état, ne respectent pas le texte fondamental. Reprenant le vieux slogan « immigration zéro » de Jean-Marie Le Pen, Eric Zemmour affirme qu’il arrêterait toutes les entrées, y compris celles des étudiants étrangers – « une invasion », rejetait-il en bloc, avant d’envisager depuis peu un « nombre très drastiquement limité ». Mme Le Pen fixait, en 2012, une limite de 10 000 entrées au total par an ; dix ans plus tard, elle promet plus prudemment « la maîtrise » des flux migratoires, comme Mme Pécresse. Cette dernière souhaite resserrer le regroupement familial ; Marine Le Pen l’interdire ou le limiter selon les cas ; Eric Zemmour, le bannir pour ne plus « accepter les enfants des gens, ni les femmes qu’on va chercher au bled ». Le polémiste suggérait aussi, cet automne, de soumettre les mariages avec un ressortissant étranger à l’autorisation du préfet.

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Abrogation du droit du sol

Même orientation vis-à-vis des prestations sociales versées aux étrangers extra-européens. Eric Zemmour veut les supprimer ; Marine Le Pen réserver les allocations familiales aux Français et soumettre d’autres prestations à cinq années de travail. Valérie Pécresse pose comme condition cinq ans de résidence. Les deux candidats d’extrême droite souhaitent en outre abroger le droit du sol ; Mme Pécresse le transformer en droit « non automatique », conditionné à la maîtrise du français et au respect des valeurs de la République.

Contre l’immigration clandestine, la candidate RN entend faire de l’entrée et de la présence irrégulière en France un délit et exclure toute régularisation « sauf cas exceptionnels ». Eric Zemmour refuse jusqu’aux exceptions : à ses yeux, un Mamoudou Gassama (naturalisé après avoir sauvé un enfant qui allait tomber d’un immeuble) « n’a rien à faire chez nous ». Mmes Pécresse et Le Pen soutiennent qu’elles feraient pression sur les pays d’origine avec la politique de visas aux voyageurs. Eric Zemmour, qui parlait de 2 millions de personnes à expulser, y ajoute le blocage de l’aide au développement et des transferts de fonds vers ces pays… mesure très brièvement défendue par Arnaud Montebourg, qui l’a ensuite regretté.

Le débat sur la politique migratoire semble ainsi s’être rétréci, tandis que la politique de l’asile forme une nouvelle ligne de clivage. A gauche, les candidats plaident pour une meilleure coordination européenne afin que la France prenne sa part. « C’est par l’Europe que l’on construira notre responsabilité, y compris en tenant nos obligations », affirme Yannick Jadot, tandis qu’Anne Hidalgo souhaite « une réforme complète du système Dublin ».

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Si Jean-Luc Mélenchon associe accueil des réfugiés et « devoir d’humanité », il préfère agir, comme en 2017, sur « les causes » des départs – guerres, pauvreté, catastrophes climatiques. « Moi, ce que je propose, c’est qu’ils aient plus besoin de s’en aller », a-t-il déclaré à Nantes.

Obsession du « grand remplacement »

A droite et à l’extrême droite, les candidats veulent freiner l’asile, qu’ils présentent comme une voie d’entrée dévoyée et une filière d’infiltration de djihadistes. Eric Zemmour entend le suspendre en dépit de la convention de Genève de 1951. « On ne tend pas la main à des gens qui vont nous remplacer. C’est nous qui allons crever », enfonçait-il en octobre. Marine Le Pen et Valérie Pécresse souhaitent que les réfugiés obtiennent leur statut dans les consulats français à l’étranger. Durcissant l’idée des « hotspots », la candidate LR ajoute qu’un demandeur d’asile ayant atteint une frontière européenne sera placé en « centre fermé » le temps de la procédure.

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Le débat migratoire s’est ainsi déplacé sur l’asile et sur l’Europe, mais surtout sur l’intégration et l’identité. C’est là l’obsession du « grand remplacement » d’Eric Zemmour, qui ne parle pas tant des arrivants que des étrangers installés en France depuis quarante ans. « Il suffit que les Français aillent dans la rue, dans le métro, partout » pour le voir, lâchait-il sur BFM-TV, le 12 janvier. Défendue il y a quinze ans par Nicolas Sarkozy, la « France de la diversité, de toutes les couleurs et de toutes les religions » n’apparaît plus dans les projets présidentiels que comme un non-dit à valeur de repoussoir.

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