Immigration : fausses menaces, vraies questions
Plutôt que de tenter d’exploiter la peur de l’autre ou de la nier, les responsables politiques devraient traiter les grands dysfonctionnements liés à la gestion de l’immigration.
Editorial. Que les questions liées à l’immigration soient instrumentalisées dans le débat politique n’a rien de nouveau, surtout à l’approche d’une élection présidentielle. Le droit de vote des immigrés et les lois sur la nationalité ont longtemps été utilisés, respectivement par la gauche et par la droite, comme épouvantails à électeurs et moyens de diviser l’adversaire. La montée de la rhétorique identitaire a fait varier les thèmes jugés porteurs. Aujourd’hui, c’est le fantasme d’une « menace », voire d’une « invasion », qui est agité, non plus seulement par l’extrême droite mais par la droite républicaine.
Les statistiques sur les premiers titres de séjour délivrés en 2021, rendues publiques, jeudi 20 janvier, risquent d’alimenter la surenchère « anti-immigrés » à laquelle se livrent ces candidats.
Peu importe que ces chiffres – 272 000 titres de séjour délivrés, 103 000 demandes d’asile – traduisent surtout l’effet de la crise du Covid sur les migrations (un rattrapage après la fermeture des frontières de 2020) ; peu importe qu’ils pèsent relativement peu dans un pays de 67,8 millions d’habitants et ne puissent s’apparenter à une « menace ». Peu importe aussi que l’immigration vienne après l’environnement, la protection sociale, la délinquance et le pouvoir d’achat dans le classement des préoccupations des Français, certains présenteront les statistiques du ministère de l’intérieur comme le signe d’une perte de maîtrise de l’Etat sur les flux migratoires.
Il serait pourtant vain de nier les évolutions : la proportion d’immigrés dans la population est passée de 7,3 % en 2000 à 10 % aujourd’hui ; une majorité des nouveaux arrivants provient d’Afrique et non d’Europe comme jusqu’aux années 1990. Surtout, il serait absurde de fermer les yeux sur le phénomène de concentration des immigrés dans certains quartiers. Enfin, on ne peut négliger le fait que près des deux tiers des Français estiment qu’« il y a trop d’étrangers en France » (sondage Ipsos pour Le Monde d’août 2021) et que cette xénophobie, ferment de division et de violence, est un terrible carburant politique pour les démagogues. La gauche, en faisant trop souvent l’impasse sur ces réalités, s’est mise en situation d’être difficilement audible sur le sujet.
Plutôt que de tenter d’exploiter la peur de l’autre ou de la nier, les responsables politiques devraient expliquer que la France ne serait plus elle-même si elle en venait, sous prétexte d’entraver les migrations, à ne plus respecter les droits fondamentaux à vivre en famille, à se marier librement et à trouver asile. Ils devraient aussi traiter les grands dysfonctionnements liés à l’immigration : la faillite du règlement européen de Dublin, qui favorise l’errance des demandeurs d’asile d’un pays de l’UE à l’autre, et l’impuissance des Vingt-Sept à coordonner leur politique d’asile et de reconduite effective des déboutés. Ils devraient enfin tirer les conséquences des effets délétères du traité du Touquet, qui fait de la France le gendarme de la frontière britannique.
Les autres défis ultra-prioritaires, en France même, concernent la lutte contre les ghettos urbains, chantier immense et crucial laissé en jachère depuis l’abandon du « plan Borloo », en 2018, et la politique de formation et d’insertion des immigrés, qui, comme en Allemagne, doit être une priorité de l’Etat. Le pays n’a rien à gagner à se tromper de débat, à laisser les marchands de haine spéculer sur une prétendue invasion, au lieu de privilégier les solidarités européennes et d’investir dans l’intégration.