Histoires d’immigrations

Série « Histoires d’immigrations », Le Cours de l’Histoire, France Culture

Épisode 2/3 : Travailleurs immigrés, aux origines d’un combat politique

Mercredi 1 février 2023

ÉCOUTER (51 MIN) : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/travailleurs-immigres-aux-origines-d-un-combat-politique-

Dans les années 1970, les conditions de vie des travailleurs immigrés en France sont de plus en plus insoutenables. Face à la montée des agressions racistes et à la multiplication de mesures politiques hostiles, le mouvement des travailleurs immigrés s’organise et résiste.

Avec

  • Naïma Huber-Yahi Historienne et chercheuse associée à l’Unité de recherche Migrations et société (URMIS) de l’université de Nice Sophia Antipolis
  • Choukri Hmed Historien et maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine PSL

En 1975 paraît Le petit livre juridique des travailleurs immigrés. Publié par le Collectif d’alphabétisation, et le Groupe d’information et de soutien des immigrés, il a pour objectif principal d’aider les travailleurs immigrés dans leurs démarches juridiques. Du guide à la manifestation, en passant par la grève de la faim, le combat des travailleurs immigrés se matérialise à travers des formes extrêmement variées.

Une immigration souhaitée mais organisée

Dès la Libération, la France pratique une politique d’ouverture de ses frontières et accueille de nombreux travailleurs immigrés. Indispensables au développement de l’économie française, ils contribuent à reconstruire le pays dans l’immédiat après-guerre. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’immigration nord-africaine connaît une forte croissance.

La plupart des travailleurs immigrés s’installent en région parisienne, en particulier dans les quartiers de la Goutte d’Or, Belleville et Ménilmontant à Paris, mais aussi à Marseille et dans la région environnante. Les logements qu’ils occupent, individuels ou en foyers, sont souvent exigus et insalubres, quand les travailleurs immigrés ne sont pas forcés de vivre dans des bidonvilles.

La majorité de la main-d’œuvre immigrée trouve du travail dans le bâtiment et les travaux publics, mais aussi à l’usine, notamment dans l’industrie automobile. Les OS (ouvriers spécialisés) algériens sont la figure emblématique du travailleur immigré de cette période. L’historienne Naïma Huber-Yahi nous en parle : « Dans les années 1970, de multiples affaires éclatent et défraient la chronique : taudis brûlés, travailleurs immigrés logés dans des hôtels insalubres, tensions sur le marché de l’emploi, multiplication des crimes racistes… Le gouvernement Chaban-Delmas alors en place réfléchit à l’instauration d’une nouvelle législation qui vient durcir les contraintes déjà présentes. Plus de 80 % des travailleurs immigrés n’ayant ni contrat de travail annuel, ni logement décent, se retrouvent désormais dans l’irrégularité. À partir de ce moment-là, les tensions se cristallisent avant même que n’éclatent des bouffées racistes. »

À lire aussi : Une histoire du Mouvement des travailleurs arabes

Entre restrictions et contestations

En 1972, les circulaires Marcellin-Fontanet sont promulguées afin de limiter l’immigration étrangère en France. Dans un contexte politique déjà tendu, en 1973, une vague d’agressions et de meurtres racistes déferle sur la région marseillaise et s’étend progressivement à la France entière.

Face à cette violence, les travailleurs immigrés s’organisent pour dénoncer le racisme dont ils sont victimes et demander la reconnaissance de leurs droits. C’est dans cette optique qu’est fondé en juin 1972 le Mouvement des travailleurs arabes (MTA). Très vite, il organise des grèves, notamment des grèves de la faim, mais aussi une grève générale des travailleurs immigrés en septembre 1973. Il s’agit de protester contre les arrêtés d’expulsion qui visent un grand nombre de travailleurs immigrés et de demander l’obtention d’un permis de séjour pour les nombreux travailleurs clandestins, ou une prolongation de permis de séjour pour les autres. Les militants demandent également à être payés à l’égal de leurs collègues français et réclament le droit à un logement digne.

À réécouter : Les travailleurs chinois pendant la Grande GuerreLe Cours de l’histoire, 51 min

La grève des loyers : vers une nouvelle reconnaissance

Les foyers Sonacotra sont touchés par une grève des loyers qui dure de 1975 à 1980. Pour l’historien Choukri Hmed, « ces mouvements contestent deux choses : d’abord les conditions de logement très dégradées, ensuite, la gestion paternaliste et autoritaire de ces foyers. » Dans ces institutions contrôlées par l’État et fondées pour accueillir les travailleurs étrangers dans le contexte de l’après-guerre d’Algérie, les résidents sont étroitement surveillés par les directeurs des foyers, qui sont eux-mêmes souvent des anciens d’Algérie, et qui perpétuent un modèle de gestion coloniale. Face à l’augmentation des loyers et en signe de protestation, les résidents des foyers Sonacotra cessent de payer leurs créances.

La plupart de ces mobilisations aboutissent à une meilleure reconnaissance des droits des travailleurs immigrés. La circulaire Gorse de 1973 permet de régulariser près de 40 000 travailleurs immigrés. Les premiers jalons d’un mouvement de lutte antiraciste et pour les droits des sans-papiers sont posés. La lutte culmine quelques années plus tard dans la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, où les travailleurs immigrés défilent aux côtés de leurs enfants.

Pour en savoir plus, écoutez l’émission…

Pour en parler

Naïma Huber-Yahi est chercheuse associée à l’URMIS (Unité de Recherches Migrations et Société) à l’Université Côte d’Azur et spécialiste de l’histoire culturelle des Maghrébins en France.
Elle a notamment publié :

Choukri Hmed est maître de conférences en sciences politiques à l’Université Paris-Dauphine PSL. Il est spécialiste de la sociohistoire de l’immigration et de la colonisation française, de l’encadrement des étrangers par le logement social et de l’action collective des « immigrés ».
Il a notamment publié :

Références sonores

  • Archive de Radio Soleil Goutte-d’or, 3 décembre 1981
  • Extrait de la série documentaire Mémoires d’immigrés, l’héritage maghrébin de Yamina Benguigui, 1997
  • Extrait d’Ici, Radio Assifa enregistré en 1975 et diffusé par l’émission LSD, la série documentaire, « Une histoire du Mouvement des travailleurs arabes« , France Culture, 18 octobre 2021
  • Archive sur les foyers Sonacotra, TF1, 24 juin 1979
  • Archive sur la loi Fontanet et le statut des travailleurs étrangers dans les entreprises, France Inter, 1er juin 1972
  • Générique de l’émission : Origami de Rone

 

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Également à écouter : Épisode 1/3 : Les immigrés face à la nation française, je t’aime… moi non plus

Lundi 30 janvier 2023

Du réfugié au réprouvé, de l’expat’ à l’exilé, retour sur deux siècles de discours et de représentations qui ont façonné la relation complexe de la France à l’immigration.

Avec

  • Delphine Diaz Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Reims
  • Nancy L. Green Historienne, directrice d’études de l’EHESS

La deuxième partie de l’émission pourrait plus particulièrement vous intéresser pour comprendre et décrypter les représentations et les discours actuels concernant les immigrés :

Les immigrés face à la xénophobie

Les politiques d’accueil se confondent souvent avec des politiques de surveillance et de répression. Les premiers grands mouvements de violence xénophobes à l’égard des immigrés surviennent à la fin du XIXe siècle. Delphine Diaz, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, souligne que la xénophobie se manifeste déjà en 1848 : « l’année 1848 apparaît comme un moment essentiel dans l’affirmation d’une double vision vis-à-vis des étrangers en France : 1848 représente la fraternité entre les peuples, c’est un moment où des arbres de la liberté sont plantés… Cependant, c’est également un moment d’affirmation de la xénophobie. (…) C’est surtout à l’encontre des travailleurs que les épisodes de xénophobie populaire s’affirment à partir de la grande crise économique de 1846-1848.(…) » 

La perpétuelle oscillation entre hospitalité, méfiance et indifférence détermine l’attitude des pouvoirs publics et de l’opinion pour les décennies à venir, et participe à créer la relation ambivalente qui lie les idées de nation, de citoyenneté et d’assimilation.

Pour en savoir plus, écouter l’émission : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/les-immigres-face-a-la-nation-francaise-je-t-aime-moi-non-plus-