Fin de la scolarisation gratuite des enfants d’étrangers?

Le FN souhaite mettre fin à la scolarisation gratuite des enfants d’étrangers

10 JANVIER 2017 PAR FAÏZA ZEROUALA

Le Front national veut mettre fin à la scolarisation gratuite des enfants d’étrangers en situation régulière. Une telle mesure bafouerait tous les textes juridiques qui affirment ce droit à la scolarisation, quelle que soit la situation des parents.

Une école discriminatoire. C’est ce qu’entend mettre en œuvre le parti de Marine Le Pen, si jamais cette dernière accédait à l’Élysée en mai 2017. Les enfants d’étrangers en situation régulière ne pourraient plus bénéficier de l’école gratuite, puisqu’ils devraient s’acquitter d’une « cotisation », après un « délai de carence d’un ou deux ans ». C’est ce qu’a expliqué en substance Florian Philippot, vice-président du Front national, au micro de France Inter, le 9 janvier dernier. C’est une charge franche contre les principes sur lesquels est assise l’école républicaine. Quant aux enfants de parents en situation irrégulière, ils seraient exclus sans ambages des bancs de l’école, car de toute façon, « pour les clandestins, la question ne se pose pas, puisqu’ils n’ont pas vocation à rester en France ».

S’agissant du volet financier, Florian Philippot n’a pas donné de montant précis, évoquant simplement « une petite cotisation »« Tout cela sera précisé en février », a-t-il évacué. 

Imposer cette restriction financière sera l’une des traductions concrètes de la « priorité nationale » appliquée à l’école. Sans compter que, souvent, les familles immigrées appartiennent aux secteurs les plus paupérisés et fragilisés de la société française. En 2013, d’après l’INSEE, 5,8 millions d’immigrés vivaient en France, soit 8,9 % de la population. À la rentrée 2015, en France, la population scolarisée dans les premier et second degrés s’élevait à 12,8 millions, toujours d’après l’Insee.

Cette proposition avait été rendue publique il y a un mois, sans susciter de grand tollé. Déjà, le 8 décembre, à Paris, lors d’un petit déjeuner organisé par l’institut de sondage BVA, la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen, avait évoqué cette question : « Je considère que la solidarité nationale doit s’exprimer à l’égard des Français. Je n’ai rien contre les étrangers, mais je leur dis : “Si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement. Maintenant, c’est terminé ; c’est la fin de la récréation !” » La candidate à l’élection présidentielle s’est dite mue par la nécessité de réaliser des économies, car, dit-elle, « nous n’avons plus les moyens de faire cela ; nous allons réserver nos efforts et notre solidarité nationale aux plus humbles, aux plus modestes, aux plus pauvres d’entre nous ». 

Si les positions du parti fondé par Jean-Marie Le Pen sur l’immigration sont connues de longue date, cette annonce sur l’école témoigne toutefois d’un durcissement dans le discours, puisqu’il s’attaque aux enfants, ce qui, symboliquement, n’est jamais anodin. Pour tempérer les choses, la présidente du Front national avait précisé par la suite à l’AFP qu’elle évoquait « uniquement le cas des enfants étrangers en situation irrégulière », ce qu’a contredit Florian Philippot de bon matin sur les ondes. 

Une telle mesure serait inédite et contreviendrait, bien entendu, aux textes juridiques qui garantissent ce droit fondamental. C’est sur ce point que Najat Vallaud-Belkacem a attaqué Marine Le Pen, en rappelant l’inhumanité contenue dans une telle proposition.

Dans un communiqué, la ministre de l’éducation nationale avait réagi le 8 décembre à ces annonces pour les condamner : « Je tiens à rappeler ici que c’est l’honneur de la République française de garantir aux enfants, à tous les enfants, le droit à l’éducation, c’est-à-dire le droit à un avenir. Par ces mots, que je condamne avec la plus grande force, Mme Le Pen fait preuve tout autant de son indifférence la plus totale à des situations humainement terribles affectant de jeunes enfants. » Plus loin, elle s’indigne contre « cette déclaration [qui] vient abîmer l’image de notre pays [en rappelant] à tous ceux qui semblaient l’oublier que Mme Le Pen refuse de s’inscrire dans le cadre républicain qui forge l’histoire et la force de notre Nation ». La Défenseure des enfants, Geneviève Avenard, n’a pas réagi de son côté. Pourtant, le Défenseur des droits s’était alarmé des atteintes au droit à la scolarité dans un rapport en novembre.

Ces réactions n’ont cependant pas découragé les velléités de discrimination du FN, puisque le bras droit de Marine Le Pen assume ainsi l’instauration d’un système inégalitaire et à double vitesse. L’école gratuite, laïque et obligatoire, telle qu’elle existe, continuera de bénéficier aux « nationaux », a-t-il évidemment rappelé, dans une tentative de rassurer les électeurs potentiels…

Le FN fait céder tous les barrages juridiques existants pour défaire ce droit garanti par pléthore de textes fondamentaux. Le droit à l’éducation, reconnu en France depuis 1946 dans le préambule de la Constitution, serait ainsi bafoué, car « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant (…) à l’instruction ». Le même préambule précise également que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».

L’article L131-1-1 du code de l’éducation ne dit pas autre chose. Il mentionne l’« instruction obligatoire » et rappelle dans son article L131-1 que « l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ». Il faut compter aussi avec d’autres traités internationaux ratifiés par la France, comme l’article 28 de la Convention internationale relative aux Droits de l’enfant, qui garantit que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances », et rappelle que ces États « rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ».

L’article 2 du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme l’affirme : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Bref, au regard de la loi, c’est limpide : tous les enfants de 6 à 16 ans, sans restriction, bénéficient du droit à être scolarisés, et ce, quelle que soit la situation de leurs parents, dont ils ne sont pas comptables. Y compris si ceux-ci sont en situation irrégulière ou qu’ils ne les ont pas rejoints dans le cadre du regroupement familial. Aucun obstacle à la scolarité ne peut se faire sur des critères tels qu’un défaut de titre de séjour.

Les exemples de mise en œuvre d’une telle disposition à l’étranger n’existent pas non plus. Danièle Lochak, professeure de droit émérite à l’université Paris-Nanterre et membre du GISTI, rappelle que la gratuité de l’école demeure un droit fondamental et que même aux États-Unis, la scolarité reste gratuite dans les établissements publics. Une décision de la Cour suprême de 1982, Plyler v. Doe, avait confirmé que tous les enfants ont droit à une éducation gratuite, et ce, même si leurs parents sont en situation irrégulière.

En France, la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme a érigé en délit le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public de refuser le bénéfice d’un droit – et donc celui d’être scolarisé – à des personnes en raison de critères ethniques, comme le rappelle Danièle Lochak. Il faudrait donc changer la loi – et pour cela passer le barrage du Conseil constitutionnel, qui a déjà jugé qu’on ne pouvait établir de discriminations en ce qui concerne les droits sociaux entre les Français et les étrangers en situation régulière. 

Pour Florian Philippot, donc, peu importe les faits et le droit. Il explique qu’il faudra simplement modifier la Constitution et y inscrire la préférence nationale, sa vieille antienne. « Admettons qu’on décide de changer la Constitution. Il faudrait que le congrès entérine cela. Ça ne passerait jamais : car alors la France se mettrait au ban des nations », conclut Danièle Lochak.

Le sociologue Éric Fassin estime qu’au-delà de l’indignation légitime et des questionnements sur sa faisabilité suscités par une telle mesure, il faut s’interroger sur le contexte politique qui a permis l’émergence de cette idée. Il explique que « cela révèle qu’aujourd’hui, il ne suffit plus d’avoir des discours euphémisés pour bien marquer qu’on se situe à l’extrême droite. C’est l’effet des politiques décomplexées de droite et aussi celui du ralliement du socialisme de gouvernement à celles-ci. Par cette proposition, le FN nous dit qu’il n’y a plus besoin de feindre l’humanisme. Il tire à sa façon les leçons de l’évolution des dix dernières années. François Hollande avait promis qu’il n’y aurait pas d’enfants dans les centres de rétention. Il n’a pas respecté cet engagement. Il le disait car il fallait le dire, sans y croire vraiment » (lire ici l’article de Carine Fouteau à ce propos).

En réalité, décrypte-t-il, ces mesures relèvent de « l’auto-expulsion » qu’on peut appliquer à l’égard des Roms par exemple. Il s’agit de créer des conditions de vie à ce point inacceptables que les gens partent d’eux-mêmes. Un concept auquel adhèrent les tenants de l’aile droite du parti républicain aux États-Unis. À cet égard, le sociologue rappelle la relaxe de la maire de Sucy-en-Brie (Val-de-Marne) en 2015. Elle était attaquée pour avoir refusé de scolariser cinq enfants roms. « Cela n’a pas eu plus d’écho que cela ; personne ne s’y est vraiment intéressé. Nous nous sommes habitués à cela. Le FN revendique ce qui se fait déjà discrètement et veut l’étendre à tous les étrangers », regrette Éric Fassin. Il estime que « la rupture n’est pas dans le fait de le faire, mais dans celui de le revendiquer ».