Espagne : avec Vox, l’extrême droite au centre du jeu lors des élections législatives anticipées
La formation proche des idées du Hongrois Viktor Orban pourrait permettre au Parti populaire (conservateur) de constituer une majorité, après le scrutin du 23 juillet, et de conforter son influence au sein de l’électorat.
Alors que la chaleur de l’été accable une large frange du royaume et que beaucoup d’Espagnols sont en vacances, près de 37,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, dimanche 23 juillet, pour élire leurs députés et sénateurs.
La date a été fixée de manière inattendue par le chef du gouvernement de gauche, le socialiste (PSOE) Pedro Sanchez, après la déroute de son parti aux élections locales du 28 mai. S’il est à craindre qu’elle joue négativement sur le taux de participation, plus de 2,5 millions de personnes (+ 160 % par rapport aux derniers scrutins de 2019) ont déjà voté par correspondance, afin de ne pas avoir à rester ou à retourner dans leur commune.
Ce record témoigne de l’intérêt des Espagnols pour ces élections législatives anticipées, qui pourraient mettre fin à la coalition de gauche menée par Pedro Sanchez, au pouvoir depuis 2018, et voir Vox, la formation d’extrême droite, arriver au pouvoir dans une coalition avec le Parti populaire (PP, conservateur), comme c’est déjà le cas dans de nombreuses villes et plusieurs régions autonomes, de la Castille-Leon à la communauté de Valence en passant par l’Estrémadure.
Après avoir vu le bipartisme exploser en 2014 avec l’irruption de nouvelles formations – Podemos à l’extrême gauche, Ciudadanos au centre et Vox à l’extrême droite –, l’échiquier politique espagnol s’est reconfiguré et oppose à présent deux blocs antagonistes.
De gauche à droite, le maire de Barcelone, Jaume Collboni, la présidente du Parlement espagnol, Meritxell Batet, le premier ministre et candidat du Parti socialiste, Pedro Sanchez, le premier secrétaire du CPS, Salvador Illa, et la ministre des transports, Raquel Sanchez, lors d’un meeting, à Barcelone, le 16 juillet 2023. PAU BARRENA / AFP
Le PSOE, mené par Pedro Sanchez, 51 ans, aspire à la victoire de l’union des gauches et à faire mentir les sondages qui envisagent plutôt sa défaite (28 %). Cette fois, son partenaire de coalition ne serait pas Podemos, parti avec lequel la relation a souvent été houleuse et qui s’est effondré aux élections locales, mais Sumar (« Additionner »). Ce mouvement, qui se veut moins clivant, a été créé par la populaire ministre du travail, ancienne militante communiste et avocate des prud’hommes, Yolanda Diaz, 52 ans. Il regroupe une quinzaine de partis de la gauche alternative et régionaliste.
Une implantation territoriale consolidée
A droite, le PP, dirigé par l’ancien président de la région de Galice (2009-2022), Alberto Nuñez Feijoo, part favori avec 35 % d’intentions de vote, selon les derniers sondages. Cet ancien haut fonctionnaire de 61 ans devrait récupérer toutes les voix du parti libéral Ciudadanos, qui a décidé de ne pas se présenter après sa récente déroute aux élections locales. Il n’écarte pas de gouverner en coalition avec Vox si le parti lui est indispensable pour obtenir sa majorité au Parlement, même s’il ne cesse de demander aux électeurs de lui donner une majorité large qui lui permette de se passer de l’extrême droite.
Le candidat du Parti populaire, Alberto Nuñez Feijoo, lors d’un rassemblement de campagne, à Logroño (Espagne), le 15 juillet 2023. ALVARO BARRIENTOS / AP
Crédité de 13 % des voix, Vox est né fin 2013 d’une scission au sein du PP de Mariano Rajoy, considéré trop « mou » face aux indépendantistes basques et catalans. Il a adopté, au fil du temps, les codes d’autres partis de la droite dure européenne, notamment celle qu’incarne le premier ministre hongrois, Viktor Orban. Ce dernier a d’ailleurs apporté son soutien à Vox dans une vidéo, tout comme la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni. Mené par l’ancien élu du PP basque, Santiago Abascal, un temps menacé par l’ETA, Vox a consolidé en mai son implantation territoriale.
Ces deux blocs affichent dans leurs programmes des modèles opposés. La priorité du PSOE est d’avancer dans la conquête de droits sociaux – en matière de réduction du temps de travail ou de congé de paternité, par exemple –, ainsi que dans la transition énergétique, dans la lignée de la précédente législature. Sumar, qui se définit comme écologiste et féministe, a notamment proposé de créer un « héritage universel » de 20 000 euros pour tous les jeunes de 18 ans – afin qu’ils puissent se former ou commencer une activité professionnelle –, financé grâce à un impôt sur les grandes fortunes. Dans une Europe en proie à la montée de l’extrême droite, ils défendent davantage d’intégration.
Alberto Nuñez Feijoo résume, pour sa part, son programme en un point : « Abolir le sanchisme. » Ce néologisme est utilisé par la droite pour désigner la méthode de Pedro Sanchez : gouverner à grand renfort de décrets-lois, en s’appuyant sur des partis indépendantistes catalans et basques, considérés comme infréquentables par une partie des Espagnols, pour conserver le pouvoir.
Jon Inarritu (au centre), membre de la coalition politique indépendantiste Bildu, lors d’un meeting de campagne, à Zumaia (Espagne), le 9 juillet 2023. ANDER GILLENEA / AFP
Dans un pays marqué par la tentative de sécession de la Catalogne, en octobre 2017, et quarante ans de terrorisme basque, nombreux sont ceux qui reprochent au dirigeant socialiste d’avoir accordé des grâces aux dirigeants séparatistes catalans condamnés pour sédition, réformé le code pénal ad hoc pour d’autres qui avaient pris le chemin de l’exil, et brisé un tabou en négociant des lois avec les indépendantistes basques de Bildu, héritier de la vitrine politique de l’ETA. Des concessions qui ont éclipsé les réussites du gouvernement – la hausse de 47 % du salaire minimum, l’indexation des retraites sur l’inflation, ou la réforme de la loi travail pour réduire la précarité de l’emploi. Pedro Sanchez, pour sa part, revendique son bilan en Catalogne : une région pacifiée, où les socialistes sont devenus la première force politique et où les indépendantistes se sont divisés.
Un négationniste climatique affirmé
Pour le reste, le programme de M. Feijoo consisterait à « assainir » les finances du pays, tout en mettant en œuvre des baisses d’impôts ou la suppression des droits de succession. Il entend aussi détricoter plusieurs textes approuvés lors de la dernière législature – de la loi de mémoire démocratique à la réforme de l’éducation, en passant par la législation « trans » sur l’autodétermination de genre.
La lutte contre le changement climatique n’apparaît pas parmi les priorités du PP, qui propose « d’assouplir le calendrier d’application du Green Deal européen », pour donner la priorité à l’économie, dans la lignée du Parti populaire européen (PPE).
Vox, un parti au négationniste climatique affirmé, plaide pour quitter l’accord de Paris et dénonce les « lobbys écologistes européens ». « [Il] se rattache à la tradition de l’extrême droite franquiste, mais c’est aussi un mouvement très moderne dans sa guerre culturelle, souligne la professeure de science politique à l’université de Valence Astrid Barrio. Il s’adresse aux jeunes qui se sentent culpabilisés par le féminisme et, en général, à des collectifs organisés : les chasseurs, les hommes lésés dans les affaires de divorce, les agriculteurs… Ce qui facilite sa pénétration dans la société. »
Son programme ultracatholique, antiféministe et nationaliste impliquerait de nombreux changements constitutionnels peu réalistes. A commencer par la suppression du modèle semi-fédéral des « autonomies », les régions espagnoles fortement décentralisées, ou encore l’interdiction des partis indépendantistes. Il plaide aussi pour l’expulsion de tous les immigrants illégaux et pour la suppression des lois protégeant la communauté LGBT + ou luttant contre la violence de genre, au nom de « l’égalité entre hommes et femmes ». Vox séduit particulièrement les jeunes.
« Je ne vois pas où est le problème que certains droits disparaissent, s’ils n’étaient pas justes : je connais des hommes qui ont eu leur vie bousillée par des fausses dénonciations », expliquait Mario de Benito, étudiant en master de droit des entreprises de 23 ans, en déposant son bulletin de vote par correspondance à la poste de Valence à la mi-juillet.
Un nouveau blocage politique n’est pas à exclure
Comme beaucoup de jeunes, il a voté pour Vox. « C’est la meilleure option pour récupérer notre souveraineté économique et le contrôle des frontières. Le PP et le PSOE, eux, font partie du système, ils sont au service d’oligarchies, de la globalisation et des dogmes incontestables de la social-démocratie », ajoute le jeune homme aux airs de hipster, barbe en pointe, tempes rasées et le reste des cheveux en brosse, Autour de lui, nombreux sont ses compagnons de faculté qui votent aussi pour l’extrême droite, « mais plus par rejet des politiques progressistes, du féminisme et du politiquement correct », dit-il.
« Je demande vos voix pour que l’emportent les femmes et pas les machistes, pour que gagne la science et pas le négationnisme, que gagne le vivre ensemble et perde la haine », a lancé Pedro Sanchez lors du dernier débat télévisé à trois, face à Yolanda Diaz et Santiago Abascal, le 19 juillet. Un débat auquel M. Feijoo n’avait pas voulu participer, accusant la télévision publique d’être partisane. « Il a honte de comparaître au côté de son partenaire, M. Abascal », avait pour sa part avancé M. Sanchez.
Si, dans les sondages, le cumul des voix de la droite et de l’extrême droite dépasse celui des socialistes et de la gauche radicale, les deux partis ne peuvent être certains, à ce stade, d’obtenir la majorité absolue. Et un blocage politique n’est pas à exclure, comme lors des élections de 2015 et de 2019, quand l’absence de majorité d’investiture avait abouti à un nouveau scrutin six mois plus tard.