Enquête sur les néo-fascistes français

Enquête sur les néo-fascistes français,

Street Press, 18 décembre 2018

SOUPES POPULAIRES, RATONNADES ET SALUTS NAZIS, BIENVENUE AU BASTION SOCIAL

COCHON ENQUÊTE | par Christophe-Cécil Garnier , Yann Castanier | 18 Décembre 2018

(Extraits) l’intégralité du reportage en suivant le lien suivant :

https://www.streetpress.com/sujet/1545152622-soupes-populaires-ratonnades-saluts-nazis-bienvenue-bastion-social

Collectes de produits de première nécessité et distributions alimentaires, le Bastion Social se met en scène. Mais derrière cette vitrine se cache un groupe néo-fasciste habitué de la castagne et des tribunaux qui a ouvert des bars militants dans 6 villes

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En un peu plus d’un an d’existence, ce groupuscule d’inspiration néo-fasciste s’est implanté dans six villes de France. Pour s’ancrer dans les différents territoires, le BS reprend la stratégie qui a fait le succès de CasaPound en Italie. Ouvrir des lieux et mener des actions politiques et « sociales » qu’ils médiatisent sur les réseaux sociaux. À l’extrême droite, le mouvement a la côte : autour d’un noyau venu du GUD, se rassemblent des ex-royalistes de l’Action Française, des identitaires, des skinheads et des hooligans recrutés dans les travées des stades. Aujourd’hui ils seraient près d’une centaine de membres actifs, capables de mobiliser plus largement sur certaines « actions ». Mais derrière la vitrine politique lisse, se cache un groupuscule ultra-violent qui multiplie les agressions.

On ne se pose pas la question assez souvent / Crédits : Yann Castanier

LES DÉBUTS LYONNAIS

Fin mai 2017, à Lyon. Au 18 rue du port-du-temple, la jeune garde du GUD ouvre un squat dans un immeuble abandonné. Sur sa devanture, trois banderoles : « Un foyer pour les Français », « Réquisition solidaire » et surtout « Bastion social ». Leur objectif revendiqué est d’accueillir des personnes en difficulté mais seulement de nationalité française. Le slogan « les nôtres avant les autres » ponctue leur communiqué. À la manoeuvre, on retrouve Steven Bissuel et Logan Djian. Tous les deux ont des parcours judiciaires tumultueux. Le premier a écopé de deux mois de prison ferme pour l’agression de deux manifestants lors d’un rassemblement contre le député européen Front national (FN) Bruno Gollnisch en 2011.

Le second, surnommé « le Duce » en raison de son admiration pour Mussolini, a été comme le révélait Mediapart, mis en examen pour violences aggravées, en octobre 2015, pour avoir agressé et torturé l’ancien boss du GUD. Placé en détention provisoire, Logan Djian a été libéré un mois plus tard contre le paiement d’une caution de 25.000 euros, mais reste interdit de séjour en Île-de-France. Il est ensuite condamné à un an de prison ferme en 2016, pour l’agression d’un journaliste lors d’une action de la Manif pour tous trois ans plus tôt et est incarcéré en décembre 2017 à Lyon. Il prend deux mois supplémentaires en janvier 2018 pour avoir violenté neuf Femen et une photographe lors d’une autre manif contre le mariage pour tous, en 2012. À l’été 2016, celui qui fait figure de nouveau chef du GUD, s’installe à Lyon où il ouvre un Tattoo Shop, rapporte La Horde.

UNE VITRINE SOCIALE

Trois semaines après la très médiatisée ouverture du squat, le petit groupe est expulsé. Mais les bases du Bastion Sociale sont posées. Le 21 novembre, le GUD s’auto-dissout au sein du BS et publie un manifeste où il met en avant « la justice sociale ». Une dimension au coeur de la communication du mouvement politique. Novembre 2018, le Bastion Social ouvre, le temps d’une soirée, les portes de ses sections du sud de la France. Face à StreetPress, les militants natio’ mettent en avant leurs actions « solidaires ». Baudouin, blondinet au sweatshirt rouge Weekend Offender et chevalière à l’annulaire gauche, responsable de la section d’Aix-en-Provence, explique qu’avec ses troupes il est allé aider les sinistrés de l’Aude en octobre. « On a eu de très bons contacts avec un maire, il devrait nous rappeler », assure-t-il.

Un sans-abri qui s’est réfugié plus bas, dans la rue du Fort Notre-Dame débarque, profite de l’ambiance et se voit offrir à grignoter. Ce sont des membres du Bastion qui l’ont vu dans la rue et lui ont proposé de venir. « Moi je suis là pour la bière ! », dit-il en riant. Sur une petite table à gauche de l’entrée, des sachets de pâtes côtoient des sucres en morceaux. Quatre bouteilles d’eau et des BD de Cédric ou Tintin complètent le lot. Des vêtements sont entreposés dans une armoire à côté. Plus tôt dans la soirée, un homme âgé est passé récupérer des fringues et de la nourriture. Pour garnir la petite réserve à victuaille, la section marseillaise organise ponctuellement des récoltes alimentaires et même des actions de nettoyage, qu’elle n’oublie pas de partager sur les réseaux sociaux. L’occasion aussi de diffuser un tract expliquant que les produits sont destinés aux « Français dans le besoin ». Sur leurs pages Facebook, les sections de Strasbourg ou Lyon se mettent en scène en maraude, distribuant de la nourriture aux SDF « français » uniquement. (…)
CRÉER UN MAILLAGE TERRITORIAL

Depuis le passage du GUD au Bastion social, le mouvement a essaimé. Six locaux et bars associatifs ont été ouverts. Il y a le Pavillon Noir à Lyon, l’Arcadia à Strasbourg, l’Edelweiss à Chambéry, la Bastide à Aix, le Navarin à Marseille et l’Oppidum à Clermont-Ferrand. Une nouvelle section pourrait également bientôt voir le jour dans les Alpes-Maritimes (06). Lors d’une soirée au Navarin, leur bar marseillais, alors que les petites enceintes lancent des musiques de rock identitaires comme Bronson, In Memoriam ou Zetazeroalfa (le groupe de Gianluca Iannone, chef de CasaPound), des voisins niçois venus profiter de la soirée provençale se lâchent. Un ancien ponte des Jeunesses Nationalistes locales (groupe dirigé par Alexandre Gabriac, jusqu’à sa dissolution après le décès de Clément Méric) explique qu’il va bientôt y avoir une succursale dans la ville de Christian Estrosi. « Le Bastion a le vent en poupe, et on voulait bouger notre cul », justifie-t-il, assurant avoir une bande de « quinze potes » prêts à participer. Son visage se rembrunit : 

« Après, faut voir si le Bastion suit. Dans ces milieux, ça change tous les deux ans. Le point négatif, c’est qu’il n’y a pas d’idéologie commune. Pour moi, c’est ce qui fait que c’est voué à disparaître. Et il y a aussi des mecs que je peux pas blairer. Mais ça va, on se parle pas beaucoup ».

Pour ouvrir une section et bénéficier du label « Bastion social », il faut obligatoirement avoir un local. « C’est le b.a.-ba », détaille l’ancien membre du Bastion social qui continue de les suivre et les encourager : 

« Il faut avoir pignon sur rue. Il faut montrer qu’on peut faire des choses hors-Facebook. C’est un lieu de vie communautaire pour se connaître et pour que les gens puissent venir à nous. »

Les rades constituent un point de départ pour les succursales du mouvement. « Quand on ouvre un local Bastion social, on va voir si on peut reprendre une rue, lance l’ex du groupe. On peut s’agrandir en prenant un autre local à côté du nôtre, grignoter… Se réapproprier les lieux, c’est des choses qu’on prône dans l’extrême-droite européenne ». À Lyon, Logan Djian possédait son salon de tatouage. Une rue à côté, Bissuel avait sa boutique de vêtements, fermée depuis selon Rue89 Lyon.

Après la création du BS, les ennuis judiciaires ont rattrapé ce dernier. En août, il a été condamné à deux amendes de 20.000 euros et 3.000 pour incitation à la haine raciale. Il est également poursuivi et sous contrôle judiciaire pour des violences en marge d’un concert antifasciste en avril. L’instruction est toujours en cours. En septembre, il annonce quitter la présidence pour « des raisons personnelles et judiciaires ».

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AGRESSIONS DE MILITANTS DE GAUCHE

Du côté du Bastion, on jure que le mouvement n’a « pas vocation à recourir à la violence ». Un discours partagé par Mathias Jacquet, lorsque StreetPress l’a rencontré en octobre dernier. Ce dernier est le responsable à Chambéry et un des membres du bureau national du Bastion. « La violence n’est pas un moyen d’expression politique », condamne-t-il attablé dans un café. Il est ce jour-là accompagné de Romain L. et de Franck Cuter, 17 et 18 ans. Tous les trois ont pourtant été impliqués dans au moins une affaire de violences au soir de la finale de la Coupe du monde. Plusieurs militants du Bastion social tombent sur des supporters d’origine étrangère qu’ils passent à tabac avant de conclure par un salut nazi. Une agression que StreetPress raconte en détail ici.

Parmi les mis en examen dans ce dossier, Mathias Jacquet et Florian Danger sont déjà passés devant la justice un an auparavant. Les deux hommes – accompagnés de trois autres membres d’Edelweiss : Marc-Antoine Tabacco, François Delagrande et Franck Cuter – ont écopé d’un rappel à la loi après avoir attaqué le concert de rentrée de la fédération anarchiste locale, le 20 octobre 2017, avec l’aide d’une ceinture à chaîne triplex. Une bagarre qui n’a duré que quelques secondes où deux personnes ont écopé d’arrêts de travail d’un et trois jours. Les membres du groupe sont ensuite partis en criant : 

« On se retrouvera, on va vous buter, vous trouver en ville. »

Une autre agression, classée sans suite, a eu lieu en mai dernier. Elle ciblait un groupe proche des milieux antifas. Sur une vidéo que StreetPress a pu voir, on y identifie clairement Mathias Jacquet et Bruce V., un des mis en examen du 15 juillet. Selon les antifas, depuis l’ouverture du local les militants du Bastion Social font planer une menace nouvelle sur la ville : 

« Ça a été l’élément déclencheur. Avant, sur Chambéry, il n’y avait jamais eu de trucs comme ça. »

  • Yann Castanier est photographe et rédacteur, il est membre du studio Hans Lucas. Il poursuit deux obsessions au travers de son travail de photoreporter : les mouvances d’extrême droite (Action française, Fraternité Saint-Pie-X, Génération Identitaire, etc.) et les habitats alternatifs (SDF, squats, camions, gens du voyage,…). Il a par ailleurs réalisé une Petite Oeuvre Multimédia sur les deux dernières années de vie de son grand-père atteint de la maladie d’Alzheimer, ainsi qu’un reportage au Rwanda sur les orphelins rescapés du génocide.
  •  Christophe-Cécil Garnier est journaliste à Slate.fr, pigiste pour de nombreux autres journeaux