Emmanuel Macron ou «le coup d’Etat permanent»

Prolongation du pass sanitaire : Emmanuel Macron ou «le coup d’Etat permanent»

Avec le projet de loi sur la prolongation du pass sanitaire, le Président confirme sa volonté de restreindre les libertés individuelles pour des raisons sanitaires mais surtout pérennise sa boîte à outils à démonter l’Etat de droit.

 

par Jean Quatremer, correspondant européen, Libération

publié le 22 octobre 2021 à 5h45

Le quinquennat d’Emmanuel Macron restera dans l’histoire comme celui de l’Etat d’exception permanent, cette mise à disposition de l’Etat de droit et des libertés publiques au profit du seul exécutif avec pour corollaire l’affaiblissement des contrepouvoirs. Mais n’est-il pas également celui du mensonge tranquille, érigé en mode de gouvernement ?

Son dernier avatar est le vote par l’Assemblée nationale, dans la nuit du 20 octobre, de la prolongation du pass sanitaire ainsi que de la loi de «gestion de sortie de la crise sanitaire», ce qui en novlangue macronienne signifie «maintien de l’Etat d’urgence sanitaire», jusqu’au 31 juillet 2022, sans doute dernière étape avant sa pérennisation définitive que le gouvernement veut imposer depuis décembre 2020 et un premier projet avorté.

Cette nouvelle péripétie sanitaire offre un excellent résumé de la façon dont Macron gouverne. Au premier semestre 2021, il affirmait, tant à Bruxelles qu’à Paris, qu’un «passeport sanitaire» était exclu, car portant atteinte à des libertés publiques inaliénables. Finalement, il finit par accepter un «certificat sanitaire» européen afin de permettre une réouverture des frontières internes de l’Union. Mais il exige que la vaccination ne soit pas la seule possibilité de voyager : c’est lui qui obtient qu’un test négatif ou la preuve qu’on a eu le Covid soit inclus dans ce document. Le chef de l’Etat est non seulement opposé à la vaccination obligatoire, mais il martèle, le 29 avril que ce certificat «ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas […] Il ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français».

Instrument d’autocontrôle citoyen

Pourtant, dès son entrée en vigueur, le 7 juin, il est utilisé sur le territoire national et rendu petit à petit plus contraignant «conformément à la technique de l’effet cliquet, cette vaseline de l’atteinte aux libertés individuelles» pour reprendre l’expression de Paul Cassia, professeur de droit à l’université de Paris I. D’abord limité à quelques évènements brassant des foules jusqu’au 15 septembre, son extension à l’ensemble de la population pour avoir accès à toute une série de commerces, transports ou évènements est annoncée le 12 juillet par le chef de l’Etat, sans aucune concertation préalable. Fidèle à son habitude, Emmanuel Macron ne s’excuse pas de ce changement de pied par rapport à ses propos du 29 avril, la situation n’étant pas fondamentalement différente, sauf dans les prévisions de l’Institut Pasteur qui se trompe pourtant avec constance depuis deux ans.

Le projet de loi est adopté dans l’urgence, après deux jours de débat, par l’Assemblée nationale, alors même que rien, là non plus, ne justifie une telle précipitation si ce n’est la volonté de couper court à tout débat. Et le Conseil constitutionnel valide début août ce pass sanitaire qui certes porte massivement atteinte aux libertés publiques, comme il le reconnaît, mais de façon temporaire, celui-ci étant amené à disparaître le 15 novembre. Las, dès le 27 août, trois semaines après son entrée en vigueur et alors même que la quatrième vague de Covid a commencé à refluer aux alentours du 20 juillet, donc sans aucun lien avec lui, le ministre de la Santé Olivier Véran annonce sa prolongation «si le Covid ne disparaissait pas de nos vies».

Or, il n’est pas prêt de disparaître. Tout au long du mois de septembre, le gouvernement, alors même que la pandémie reculait à grande vitesse et que le taux de vaccination, qu’il était censé encourager, dépasse désormais les 85% de la population, prépare l’opinion à la pérennisation de cet instrument très pratique d’autocontrôle citoyen prélude au système chinois du crédit social où l’accès à certains services ou biens est conditionné à votre comportement. Pourtant, même le Conseil scientifique, sur lequel dit s’appuyer le gouvernement, estime que ce dispositif, qui porte une atteinte trop importante aux libertés et pose des questions sociales (ce sont les plus pauvres et les plus vieux qui ne sont pas vaccinés), a épuisé ses éventuels effets sanitaires. Mais qu’importe ! Le gouvernement veut le conserver au cas où (pour une troisième dose ?) dans sa boîte à outils à démonter l’Etat de droit. La démonstration est une nouvelle fois faite qu’une liberté cédée à l’Etat n’est jamais rendue volontairement. Mais qu’importe, puisque les Français l’approuvent massivement ?

Succession impressionnante de lois sécuritaires

Il serait inexact de croire que c’est la pandémie de coronavirus qui aurait contraint un chef de l’Etat profondément libéral à changer de pied et à affaiblir la démocratie afin d’être plus efficace et réactif pour sauver la vie des Français. D’une part, cela part du présupposé que la démocratie serait un régime de faiblesse, un argumentaire diablement années 30 : les libertés fondamentales existent justement pour empêcher un pouvoir d’abuser de sa position et non pas pour servir par temps calme. D’autre part, il ne faut pas oublier que l’un des premiers actes d’Emmanuel Macron, qui s’est notamment fait élire sur la promesse d’abolir l’Etat d’urgence sécuritaire de novembre 2015, car trop attentatoire à l’Etat de droit, fut de le transcrire dans le droit commun avant de faire adopter une succession impressionnante de lois sécuritaires qui font apparaître le Patriot Act américain de 2001 comme un brûlot libertaire. Autrement dit, l’acte fondateur de ce quinquennat finissant a bel et bien été une attaque en règle contre une démocratie jugée trop faible au mépris de ses engagements électoraux.

La vie en macronie ressemble de plus en plus à une dystopie à la Philip K. Dick, cet auteur de science-fiction qui imaginait des univers à la réalité mouvante, où rien de ce qui est certain aujourd’hui le sera l’instant d’après. L’excuse de l’urgence et de l’impréparation ne tient plus si elle n’a jamais tenu après deux ans de pandémie. Le macronisme, au fond, c’est un mépris pour les contre-pouvoirs et pour la parole publique, un mépris qui fait le lit de l’abstention et de l’extrême droite.

Quatremer aurait-il changer son fusil d’épaule?  On se souvient de ses propos dithyrambique après le vote de la loi travail, une atteinte pure et simple aux droits des salarié-es.   Il fallait vivre avec son temps, ne pas s’arquebouter sur de vieilles lunes, les syndicats menaient un combat d’un autre temps, nous disait le journaliste en direct de Bruxelles.