Coup d’État manqué en Allemagne : l’extrême droite a-t-elle atteint « un nouveau niveau » ?
C’est une photo qui fait la Une de tous les journaux allemands ce jeudi. On y voit le prince Heinrich XIII Reuss, masqué et menotté, escorté par les forces spéciales. (voir le site l’RTBF)
Le parquet allemand a annoncé hier avoir arrêté 25 personnes appartenant à la mouvance des « Citoyens du Reich » (Reichsbürger), parmi lesquels « un prince, d’anciens soldats d’élite, une ressortissante russe et une ex-députée d’extrême droite« .
La justice les soupçonne d' »avoir fait des préparatifs concrets pour pénétrer violemment dans le Bundestag allemand« , la chambre des députés à Berlin, avec « pour objectif de venir à bout de l’ordre étatique existant en Allemagne« .
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Les autorités ont annoncé ce jeudi s’attendre à de nouvelles arrestations et perquisitions dans les jours à venir.
Si cette menace de l’extrême droite n’est pas nouvelle en Allemagne – en atteste le démantèlement au printemps dernier d’un autre groupuscule soupçonné d’avoir projeté des attentats et l’enlèvement du ministre de la Santé – celle-ci semble prendre de plus en plus d’ampleur.
« Un nouveau niveau a été atteint« , s’est inquiété le président allemand, Frank-Walter Steinmeier ce mercredi.
Une extrême droite bien ancrée
Le groupuscule démantelé ce mercredi, construit comme une organisation quasi gouvernementale avec des ministres déjà désignés et un bras armé, a été fondé « au plus tard fin 2021″, selon les informations transmises par le parquet.
Mais selon Benjamin Biard, politologue au CRISP et spécialiste de l’extrême droite, les maux sont bien plus anciens et ancrés dans le pays. « Ce mouvement, les « Citoyens du Reich », existe déjà depuis très longtemps : depuis la chute du deuxième Reich en réalité, tout de suite après la Première Guerre mondiale, explique-t-il. Il y a déjà eu des mises en garde par rapport à leurs agissements, même si ce n’est pas un groupe nécessairement très structuré. Il y a effectivement des personnes d’extrême droite, mais pas seulement, qui se revendiquent membres de ce mouvement. »
Ce genre de tentative de coup d’État n’étonne d’ailleurs qu’à moitié le politologue, étant donné que les « Citoyens du Reich » ont déjà commis une série d’actions – notamment criminelles – par le passé, comme le meurtre d’un policier en Bavière en 2016.
Un mouvement qui considère que le régime républicain allemand est illégitime.
Parmi les membres de ce mouvement, on retrouve des citoyens aux profils fort différents. Selon les dernières informations à leur sujet – à prendre avec prudence – 5% de la vingtaine de milliers de membres serait des forces d’extrême droite. En revanche, une certaine idéologie les anime tous.
« À la base, c’est un mouvement qui considère que le régime républicain allemand est illégitime, un régime fantoche, parce que l’Empire – le deuxième ou le troisième Reich selon les conceptions – n’aurait pas véritablement disparu, avec des éléments judiciaires à l’appui dans leur défense« , explique Benjamin Biard.
Soutiens politiques ?
Pour le spécialiste, l’extrême droite n’est pas un « bloc monolithique » à proprement parler. Il convient, selon lui, de distinguer différentes catégories.
« L’extrême droite reste une idéologie. Une idéologie dont le cœur repose sur un rejet de l’immigration, et parfois une tendance à la xénophobie, sur un projet autoritaire en matière de sécurité intérieure et une certaine hostilité par rapport aux élites politiques, à l’establishment et aux partis dits traditionnels », explique-t-il.
« On peut avoir différents types d’extrême droite, comme celle que l’on qualifie classiquement de populiste, de droite radicale, en Allemagne. On peut penser à l’AFD, le parti alternatif pour l’Allemagne, mais il y a également une extrême droite beaucoup plus menaçante pour les fondements de la démocratie qualifiée d’extrémiste de droite, dans laquelle on se retrouve dans le cas présent. »
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Bien qu’une ancienne députée de l’AFD fasse partie des personnes arrêtées dans le cadre de ce coup de filet, le politologue estime qu’il ne faut pas y voir un relais politique. Les dirigeants du parti d’extrême droite ont d’ailleurs réagi, en condamnant les agissements du groupe terroriste. Plus globalement, Benjamin Biard ne pense pas que de tels groupuscules bénéficient de soutiens politiques.
« Cette mobilisation violente de l’extrême droite, cet extrémisme de droite, n’est généralement pas favorable pour le développement électoral des partis populistes de droite radicale ou d’extrême droite de manière plus générale« , analyse-t-il.
Le politologue estime en revanche que la montée actuelle des extrêmes politiques en Europe représente un terreau fertile à l’émergence de ces formations avec comme base commune une méfiance à l’égard du système démocratique d’une part, et un positionnement plus ou moins similaire en matière migratoire par exemple, d’autre part.
Quels risques en Belgique ?
La menace de l’extrême droite ne se cantonne pas aux frontières de l’Allemagne. Ce type d’action s’est déjà vu aussi en Belgique, à plus petite échelle.
On peut notamment citer le cas du militaire Thomas Boutens qui, en 2006, préparait avec une quinzaine d’autres personnes un attentat à l’encontre de personnalités belges afin de déstabiliser le pays. Ou plus récemment, un autre militaire, Jürgen Conings, qui voulait s’en prendre au virologue Marc Van Ranst.
Ces affaires ont mené à des perquisitions dans des casernes du pays afin d’enquêter sur des soupçons de liens avec l’extrême droite.
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En Allemagne, la menace numéro un semble effectivement être la menace d’extrême droite.
« Le danger est sans doute un peu moindre en Belgique, on ne va pas fantasmer non plus, estime Benjamin Biard. En Allemagne, la menace numéro un semble effectivement être l’extrême droite. En Belgique, cela reste vraisemblablement la menace de type djihadiste. Néanmoins, particulièrement depuis 2019, il semblerait que la menace extrémiste de droite se soit accrue. »