Connivence journaliste BFMtv et RN

Connivence entre un journaliste de BFMTV et le RN : les atermoiements fautifs de la chaîne

Jugé trop proche du parti, le journaliste de BFMTV chargé du RN a été écarté de son poste en janvier dernier. La direction de la chaîne avait été alertée à plusieurs reprises, notamment après la diffusion de clichés le montrant tout sourire avec des salariés du parti d’extrême droite.

David Perrotin,6 juin 2023, Médiapart

 

On est en pleine campagne présidentielle, à quelques mois de l’échéance finale, lorsque BFMTV lâche une petite bombe politique. Ce 29 janvier 2022, Marine Le Pen est à Madrid pour un rassemblement « des conservateurs européens ». Pendant qu’elle s’entretient avec Viktor Orbán, Nicolas Bay, eurodéputé Rassemblement national (RN), donne une interview sur la chaîne et est incapable de dire qu’il soutiendra sa candidate jusqu’à l’élection. Les rumeurs disent qu’il a déjà signé son ralliement à Éric Zemmour. En coulisse, une dispute éclate. BFMTV casse le programme, diffuse tweets, « push » via les téléphones et alertes Facebook pour révéler son « scoop ».

Une violente passe d’armes a eu lieu loin des regards entre Nicolas Bay et Caroline Parmentier, l’attachée de presse du RN. Mais le journaliste Loïc Besson était en première ligne et raconte à l’antenne ce qu’il est le seul à avoir vu : « C’est la conseillère presse de Marine Le Pen qui le prend directement à partie. “On fait tout pour toi, on te prend avec nous et toi tu nous craches dans le dos. N’oublie pas que tu n’es rien sans Marine.” Lui répond par des mots encore plus crus. “Je fais ce que je veux, commence par faire ton boulot et ferme ta gueule” »rapporte le reporter. Et il ajoute : « Ensuite, la conseillère presse en question m’envoie un SMS en me disant : “Tu peux me citer y a pas de problème.” »

Médiapart - RN et journaliste BFM tv

Marine Le Pen interrogée par le journaliste Loïc Besson. © BFMTV

C’est donc l’un des nombreux « scoops » que la chaîne a pu obtenir grâce au travail de son reporter en poste à BFMTV. Un temps révolu, depuis qu’il a été écarté en janvier dernier. Comme l’ont révélé Politico et Le Monde, Marine Le Pen boycotte désormais la « première chaîne d’info de France ». Elle regrette le départ de Loïc Besson et l’absence de suivi régulier par un même journaliste depuis janvier. « On peut reprocher à BFMTV des mois de mauvais traitement à notre égard car nous n’avons plus de journaliste rattaché au RN. Ce qui est pour le moins désinvolte vis-à-vis d’un groupe de l’importance du nôtre », explique à Mediapart Caroline Parmentier, aujourd’hui députée RN et pas gênée de vouloir influer sur la ligne éditoriale d’un média. 

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Elle dénonce aussi et surtout le recrutement de Sophie Dupont, une journaliste de « Quotidien » (émission de TMC) chargée de couvrir l’actualité du parti à partir de la rentrée. « Un choix un peu surprenant », estime Caroline Parmentier, qui accuse Sophie Dupont d’avoir « pourchassé des membres du RN avec un micro ou de les avoir enregistrés à leur insu avec des perches ». « Ce point précis marque la différence avec le journalisme classique. »    

Selon Le Monde, le rubricard chargé de suivre le parti pendant toute la dernière campagne électorale a été déplacé à un autre poste car sa neutralité « était mise en doute par sa proximité avec plusieurs salariés du parti ». En off, le RN regrette cette décision et ne cache pas la perte d’un privilège. « Cela fait deux campagnes présidentielles que BFMTV nous envoie des journalistes très, voire trop sympathiques, décrypte au Monde un proche de Marine Le Pen. C’est une stratégie payante : ils ont eu énormément de scoops. » 

Je voyais le résultat de son travail à l’antenne et j’estimais que cela posait clairement question.

Un journaliste d’un quotidien à Mediapart

Par « scoops », il faut essentiellement comprendre des petites informations sur l’agenda du RN, sur ses initiatives politiques ou sur les réponses du parti lorsqu’il est mis en cause. Il ne s’agit jamais d’enquêtes qui pourraient gêner l’élue. « La notion de scoop est galvaudée lorsqu’il s’agit de chaînes d’info. Loïc Besson révélait surtout le calendrier de Marine Le Pen ou relayait les éléments de langage du RN », explique Tristan Berteloot, journaliste chargé de couvrir l’extrême droite pour Libération.

Pendant la campagne, BFMTV a ainsi pu présenter comme exclusifs des affiches de Marine Le Pen, le slogan qu’elle avait choisi pour sa campagne et même un clip de propagande électorale réalisé par le parti. « C’est très étrange de considérer comme un scoop un document qui a été donné de la main à la main par un parti politique dont l’idéologie est celle du RN. Où est le travail journalistique quand on sert simplement de diffuseur ? », dénonce le reporter de Libé

À l’époque, il n’est pas le seul à remarquer l’étonnante proximité de Loïc Besson avec le RN et son traitement journalistique plus que favorable au parti d’extrême droite. Plusieurs rubricards RN de médias écrits ou audiovisuels, interrogés par Mediapart, ne cessent de se le dire. « C’était devenu un sujet de blagues entre nous tellement c’était flagrant », témoigne l’un d’eux. 

Un journaliste chargé de relayer la stratégie de Marine Le Pen 

La marque de fabrique de Loïc Besson ? Expliquer ce que pense Marine Le Pen, relayer sa stratégie politique sans recul ni analyse, et considérer qu’il s’agit d’un parti comme un autre. Et les exemples sont nombreux. Pour minimiser les liens entre Marine Le Pen et la Russie, il se réfugie derrière ce qu’elle est supposée penser : 

« Par rapport au conflit avec l’Ukraine, elle ne va pas avoir une posture là-dedans qui la ramènerait à être une femme politique pro-Russie, comme ça a pu un peu lui coller à la peau, pro-Poutine même. […] Elle va surtout essayer de rappeler notamment concernant l’électricité, que c’est une problématique dont les origines se trouvent avant même le conflit entre l’Ukraine et la Russie et qu’elle dénonçait d’ailleurs […]. Elle veut en faire un enjeu politique sans tomber encore dans ce qui pourrait être la caricature et la facilité pour ses adversaires de la pointer du doigt comme la pro-Poutine qui ne défend pas l’Ukraine. »

Lors du dernier meeting de la candidate, il introduit l’événement sans recul et avec un grand enthousiasme : « Marine Le Pen galvanisée par les sondages, la bonne dynamique qui laisse penser qu’elle peut l’emporter face à Emmanuel Macron. C’est en tout cas ce que donnent les sondages, y compris au second tour, et ça, forcément, ça motive ses troupes, ça mobilise ses troupes et c’est ce qu’elle va encore faire ce soir. » Et d’ajouter : « J’espère que vous avez au moins pu profiter de la musique derrière moi. Cela correspond aux goûts musicaux de Marine Le Pen, qui le dit toujours sans se cacher : elle s’est arrêtée maximum aux années 2000. Donc on a eu du Rocky, du Jean-Jacques Goldman, du Michel Sardou. Plein de choses. Et Vincent derrière la caméra aime beaucoup. »

Le 26 mars 2022, Marine Le Pen est prise à partie par des militants alors qu’elle enregistre un duplex en direct à la télévision depuis Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Une partie de la presse évoque un déplacement totalement raté pour la candidate, mais Loïc Besson, lui, se charge de livrer exclusivement les éléments de langage du RN. « Marine Le Pen préfère en rire qu’en pleurer. […] Mais c’est quand même ce que redoutait son équipe, alors que jusque-là sa première visite officielle sur l’île s’était parfaitement déroulée pour elle »décrypte-t-il dans un premier reportage. 

« En privé, je peux vous dire que Marine Le Pen fulmine. “Gérald Darmanin ferait mieux de faire son boulot plutôt que de faire campagne.” Son équipe accuse même le préfet de leur avoir conseillé de faire ses différents duplex à cet hôtel mais sans en assurer la sécurité derrière… »explique-t-il dans un second direct. Sur son site, BFMTV relaie même la propagande du parti en intégrant des tweets du compte officiel du RN pour insister sur l’idée que le déplacement s’était jusqu’alors très bien déroulé.

« À force d’être traitée de cette manière par BFMTV, Marine Le Pen ne se gêne même plus pour dénoncer en public les recrutements de la chaîne », déplore un journaliste télé. Ces sujets sont sensibles. Furieuse après la couverture d’un de ses déplacements, Marine Le Pen avait justement boycotté la chaîne pendant plusieurs mois en 2020, avant de solder la brouille par un déjeuner avec Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFMTV. 

Des selfies tout sourire avec des salariés du RN

« Je voyais le résultat de son travail à l’antenne et j’estimais que cela posait clairement question », se souvient encore un journaliste d’un quotidien. Ses confrères et consœurs qui côtoient Loïc Besson au quotidien constatent ses liens particuliers avec le RN : à cette époque, des photos montrant le journaliste avec des salariés du parti sont publiées sur Instagram. 

Le premier cliché montre Loïc Besson en train de faire une sieste dans la voiture d’un salarié du Rassemblement national. Le second montre Loïc Besson attablé au restaurant avec les deux employés du RN : Raphaël Rible, community manager du RN, et Richard Durant, photographe officiel du parti puis candidat aux législatives. Le troisième, enfin, est un selfie réalisé dans la voiture conduite par le communicant du RN. 

 

« Entre nous, on se disait qu’il faisait presque partie du RN, raconte un reporter télé. Sur certains déplacements par exemple, Loïc était avec l’équipe de Marine Le Pen et montait dans l’avion avec elle quand tous les journalistes étaient encore parqués plus loin. Le soir, on pouvait même le voir partir avec certains salariés RN dans des bars. » Plusieurs journalistes se souviennent aussi qu’il pouvait être « transporté en voiture » par le parti quand les journalistes se débrouillent habituellement entre eux pour se déplacer. 

En fin de campagne, Marine Le Pen a rendez-vous pour une interview exclusive avec un média concurrent. Aucun journaliste des autres médias n’est convié. Mais d’après plusieurs témoignages, Loïc Besson est encore là, « dans les pattes »« C’était lunaire. C’était une interview calée avec la candidate et son équipe, explique un témoin de l’époque. Mais il était présent seul et sans son caméraman. »

Loïc a certainement fait ce que lui demandait la direction. Les coller le plus possible pour avoir le plus d’éléments qu’ils vendent comme des « exclus ».

Un journaliste chargé de la couverture du RN

Dans le même temps, le camp Zemmour s’agace et n’hésite pas à le dire à certains journalistes. « On avait remarqué un lien de proximité avec des éléments factuels évidents. Nous avions aussi des infos des élus RN qui nous avaient rejoints. On avait donc dit à BFM que si le RN a un traitement de faveur, on aimerait aussi avoir quelqu’un qui nous apprécie, explique un cadre de Reconquête. Si vous regardez ses duplex, c’est presque drôle de voir à quel point il était l’attaché de presse du RN. »

Selon Reconquête, Loïc Besson aurait même demandé à l’équipe de Marine Le Pen juste avant un direct « ce qu’ils voulaient qu’il dise à l’antenne ». Une information que dément Caroline Parmentier. « BFMTV avait certains accès car c’était dans notre intérêt mais le traitement journalistique de Loïc Besson n’était pas particulièrement favorable au RN. Il était simplement objectif », estime la députée contactée ce mardi midi. Hasard du calendrier, elle avait justement rendez-vous aujourd’hui pour déjeuner avec Loïc Besson. 

L’équipe d’Éric Zemmour en fait part à la direction de chaîne et Loïc Besson est convoqué par Marc-Olivier Fogiel pour un rappel à l’ordre. Mais rien ne change par la suite, selon plusieurs témoignages du pool presse de l’époque. Il reste chargé du RN jusqu’en janvier dernier, sept mois après l’élection, lorsque cette fois-ci, la Société des journalistes (SDJ) de la chaîne reçoit des alertes. La Charte de déontologie de BFMTV précise en effet que ses collaborateurs et collaboratrices doivent éviter « toute situation pouvant jeter un doute sur l’impartialité de l’entreprise et son indépendance vis-à-vis des groupes de pression, de quelque nature qu’ils soient ».

La SDJ prend connaissance des photos montrant Loïc Besson très proche de salariés du RN et décide d’alerter la direction. Celle-ci déplace le journaliste, qui alterne aujourd’hui entre des sujets de reportage et des plateaux télé. Pour sa défense, Loïc Besson aurait dit « ne pas voir le problème », aurait vanté ses nombreux scoops et expliqué qu’il était nécessaire de nouer ces liens pour les obtenir. En interne, certains estiment qu’après un premier avertissement, la chaîne a malgré tout « bien géré la situation ». 

Une proximité voulue par la direction de BFMTV ?

À l’extérieur, beaucoup de journalistes qui suivaient ce parti sont plus sévères. « Si on jugeait qu’il y avait une dérive, il fallait que la chaîne réagisse bien avant », s’agace la plume d’un quotidien. « Le modèle de la chaîne était de prendre un jeune journaliste sans capacité d’analyse ou d’enquête et de ne plus réfléchir sur la particularité d’un parti d’extrême droite. Mais Loïc a certainement fait ce que lui demandait la direction. Les coller le plus possible pour avoir le plus d’éléments qu’ils vendent comme des “exclus” », estime un autre.

Une stratégie qui convient très bien à Marine Le Pen et qui lui permet de se normaliser encore davantage. C’est d’ailleurs ce qu’analysait Tristan Berteloot dans un article publié en avril 2022. Il révélait la stratégie de la candidate, qui avait chargé sa nouvelle attachée de presse, Caroline Parmentier, « de choyer tant qu’elle le [pouvait] quelques rédacteurs ». « Marine Le Pen a compris que le dernier verrou de sa normalisation se joue dans sa seule relation avec les rubricards chargés du suivi de son parti », écrivait-il. 
« C’était clairement une commande de la direction de BFM. Il fallait coller aux basques du parti pour obtenir des scoops. C’est ce qu’il faisait, quitte à franchir toutes les lignes », explique un autre journaliste du pool. Selon lui, c’est « un système propre à BFM » avec un rubricard RN très proche de l’équipe et chargé d’alimenter la campagne de petites infos et de faire tampon lorsque Marine Le Pen s’agace de certains discours tenus en plateau. « C’est exactement ce qu’il s’est passé lors de la campagne de 2017 avec Neïla Latrous, qui a fini par quitter la chaîne », ajoute-t-il. 

En 2017, en effet, Neïla Latrous couvre l’actualité du FN et finit elle aussi par être épinglée pour sa trop grande proximité. Le Canard enchaîné révèle que le soir du second tour, la journaliste a dansé avec certains élus frontistes dans une soirée où la plupart de ses confrères étaient blacklistés par Marine Le Pen. « Certains cadres du FN l’affirment d’ailleurs sans gêne : cette consœur de BFMTV est au fil du temps “devenue une copine” », ajoutait l’hebdomadaire. 

Quelques jours plus tard, Arrêt sur images publie une longue enquête pour évoquer son travail et son traitement journalistique favorables au FN qui rappellent aujourd’hui celui de son successeur. « Le plus gênant, ce n’est pas tant que Latrous ait un accès privilégié au FN, c’est qu’à la différence des autres confrères de BFM, elle traite le FN comme si de rien n’était. Mais non, le FN n’est pas un produit d’appel. Le couvrir nécessite de ne pas simplement relayer le propos de Le Pen ou de dire : “Le Pen dit que…”, “Le Pen estime que…” », s’agaçait un journaliste auprès d’Arrêt sur images.

Tout cela semble désormais oublié puisque Neïla Latrous, qui avait quitté BFMTV en 2020, est de nouveau embauchée par la chaîne. Elle est recrutée cette fois-ci pour diriger le service politique et superviser le travail de Sophie Dupont, la journaliste dont le RN ne veut pas. Mais une question hante aujourd’hui cette rédaction : qui a bien pu mettre au courant Marine Le Pen de l’arrivée prochaine de cette journaliste ? 

David Perrotin

 

 

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Boîte noire

Sollicité par Mediapart, Loïc Besson avait accepté de nous rencontrer, avant de finalement changer d’avis et de ne plus nous répondre. La direction de BFMTV n’a pas souhaité donner suite à nos sollicitations.