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LE PLUS. Une jeune femme érythréenne de 23 ans est décédée vendredi à Calais, percutée à 5 h 30 du matin par une voiture sur l’autoroute A16. C’est le huitième décès de migrants constatés en deux mois. Pourquoi prennent-ils tant de risques pour traverser le Tunnel sous la Manche ? Explications de Martine Devries et Jean-Marie Gueuret, membres d’associations et militants à Calais.
Édité par Louise Auvitu Auteur parrainé par Anaïs Chabalier
Huit morts en deux mois : deux femmes, un bébé, deux jeunes, trois hommes dans la force de l’âge. À Calais, la frontière avec l’Angleterre tue encore et encore !
Financée par le gouvernement britannique, une barrière grillagée vient d’être érigée, rehaussée de barbelés, surmontée de lames de rasoir. Elle interdit l’accès au domaine portuaire, les exilés se rabattent alors sur le site du Tunnel sous la Manche : loin de créer de la sécurité, la barrière produit de la mort
Une tentative désespérée avec une prise de risque extrême
De loin, un mort est un chiffre. De près, c’est une personne que les bénévoles et les militants des associations accompagnaient, que ses amis, sa famille aimaient.
De loin, c’est une politique qui ne marche pas. De près, ce sont des femmes et des hommes, un bébé. Insupportable et révoltant.
De loin, l’intention est de « sécuriser ». De près, cette barrière signifie pour de nombreuses personnes l’augmentation du danger et de la prise de risque. Car rendre plus difficile le passage d’une frontière ne fait pas disparaître le souhait de la traverser quand c’est la survie qui est en cause. Au contraire, cela rend indispensable le recours aux passeurs, véritables techniciens du passage, qui se font payer, et les tarifs augmentent !
Pas d’argent ? Il reste la tentative désespérée, avec une prise de risque extrême, et les exilés en sont parfaitement conscients. Il ne s’agit pas de les « prévenir », aucune campagne de prévention et aucun panneau d’affichage n’y pourra rien. Ils savent ce qu’ils risquent, mais le sentiment de n’avoir plus que ça à tenter est plus fort, la détermination est entière.
Et le désespoir, face à des conditions de vie insupportables en France, est majoré encore par les accidents graves, trop souvent mortels, dont ils sont les témoins impuissants. Face aux conditions de vie qu’ils ont quittées, au parcours qu’ils ont déjà effectué et à « l’accueil » qui leur est proposé en France ou ailleurs, ils font le pari que le jeu en vaut la chandelle.
Apporter tout le soutien possible
Que faire alors ? Il n’y a pas de solution simple.
Pour les bénévoles et les militants des associations, malgré leur fatigue et leur lassitude, c’est être à côté des exilés pour apporter un soutien : des soins, de l’eau, de la nourriture, des vêtements, du matériel pour la mise à l’abri, une présence amicale, des informations sur leurs droits…
Actuellement, les États membres de l’Union européenne (dont la France et la Grande-Bretagne) limitent leur accueil sous le prétexte du « risque d’appel d’air ».
Cette inaction, en matière d’accueil et d’information sur les droits, conduit de nombreuses personnes remplissant les critères de la Convention de Genève, à poursuivre leur fuite en avant dans l’espoir de commencer enfin à vivre.
Peut-on continuer longtemps à encourager la peur ?
Une véritable réflexion sur l’ouverture de voies légales d’accès au territoire européen – dont le territoire britannique – et sur les modalités de circulation en son sein, doit donc être menée. Cela nécessite une remise à plat des accords européens ou bilatéraux tel que l’accord du Touquet. C’est urgent !
Mais aussi, il faut une application réelle, enfin, des lois de notre pays concernant la protection des mineurs et des personnes vulnérables et l’hébergement des demandeurs d’asile. Ce sera un signe fort de la mise en place d’une politique plus hospitalière. À Calais, dans le nouveau bidonville, vivent plusieurs centaines de demandeurs d’asile et des dizaines de mineurs et des femmes enceintes. Ces personnes doivent être protégées et hébergées.
Actuellement les politiques mises en place en France contreviennent aux principes de notre République et aux fondements mêmes de notre société.
Peut-on continuer longtemps à encourager la peur, voire la haine de l’autre, à construire des murs ? Le mur d’hier à Berlin, de sinistre mémoire. Les murs d’aujourd’hui : à Calais, mais aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Turquie…Peut-on continuer à enfermer, à s’enfermer ?
Cette tribune a été cosignée par Céline Barré, Claire Dimpre, Lou Einhorn Jardin, Martin Devries et Jean-Marie Gueuret