Enquête
Au RN, des dizaines de candidats qui ont sérieusement «dérapé»
Derrière les sanctions de façade contre ses candidats aux élections départementales et régionales, le RN se garde bien de faire le ménage dans ses rangs. «Libération» en a identifié des dizaines épinglés récemment ou ces dernières années.
Marine Le Pen et Julien Odoul, candidat du RN à la Région Bourgogne-Franche-Comté, en visite dans un élevage de mouton à La Genête (Saône-et-Loire), le 25 mai. (Yann Castanier/Hans Lucas pour Libération)
par Maxime Macé et Pierre Plottu, Libération
publié le 17 juin 2021 à 10h54
«Nous nous désolidarisons de cette personne». «L’antisémitisme n’a pas de place dans nos rangs». «Ce n’est pas admissible». Ces réactions sont celles de cadres du Rassemblement national confrontés aux «dérapages» de candidats du parti aux élections départementales et régionales des 20 et 27 juin. Au total, ce mercredi 16 juin, selon notre décompte, huit s’étaient vu retirer le soutien de la formation de Marine Le Pen pour des déclarations racistes, antisémites et /ou complotistes. Huit affaires qui illustrent toute la distance qui sépare le RN de la «normalisation» malgré ses efforts de communication. Mais aussi le fait que le parti, loin d’avoir fait le «ménage», se sert surtout de ces exemples pour se parer d’un vernis de respectabilité tout en restant discret sur nombre de cas similaires. Et tout en continuant, selon les informations de Libération, à investir des dizaines de candidats sulfureux.
Si le soutien du parti a été retiré aux huit cas identifiés, c’est après que les médias ou les réseaux sociaux s’en sont emparés. Ce n’est toutefois pas toujours le cas : les têtes d’affiche du parti n’échappent pas aux révélations mais elles ne sont guère inquiétées. A l’image de Julien Odoul défendu par Marine Le Pen malgré ses moqueries sur les suicides d’agriculteurs révélées par Libération. Ou des identitaires Damien Rieu et Philippe Vardon, dont le passé de skinhead est «sympathique» selon Thierry Mariani.
Quelles suites aux révélations de Politico ce mercredi, selon qui Sébastien Chenu a rémunéré à partir de septembre 2020 Thaïs d’Escufon, figure de Génération identitaire (dissous en mars), pour gérer ses réseaux sociaux ? Qui se souvient que Jordan Bardella a été épinglé pour des «blagues» homophobes en 2015 ou pour cette émission web avec Camel Bechikh, proche des Frères musulmans ? Le même Bardella a d’ailleurs choisi de défendre ses colistiers accusés par les troupes de Valérie Pécresse, captures d’écran à l’appui, de tenir des propos islamophobes et des «appels au meurtre». Le candidat RN annonçait une plainte mais «pas de nouvelles à ce stade», nous confie l’équipe de Pécresse.
Happening xénophobe
Silence radio, aussi, à propos de Romain Carrière (candidat dans le canton de Castelginest et sur la liste Occitanie), ex-cadre identitaire dont Libé a révélé la persistance de liens, étroits, avec des militants de GI violents. Nada sur Bastien Holingue (canton de Caudebec-lès-Elbeuf), leader de la section locale de GI dont le Journal d’Elbeuf rappelle qu’il a organisé le happening xénophobe devant la permanence de la députée LREM Sira Sylla en juillet 2020. Pas de réaction non plus en ce qui concerne Sébastien Dumoulin (suppléant dans le canton de Coutras, en Gironde) dont Rue89 révèle qu’il qualifie des migrants de «cafards» ou appelle à la violence contre les «Suédois» et les journalistes. Une quinzaine de candidats ont été épinglés ces dernières semaines, entraînant une condamnation pour seulement huit d’entre eux. Le point commun de ceux qui ont échappé à la sanction ? Leur affaire n’a pas dépassé le stade de la presse locale ou régionale.
Libération a également constaté, en s’appuyant sur ses archives et celles de Buzzfeed, que plus d’une soixantaine de candidats déjà pointés pour des dérapages sont de nouveau investis. Telle Frederika Desaubliaux, (canton de Dijon 6 et régionales Bourgogne Franche-Comté) épinglée en 2014 pour des propos racistes sur Facebook et qui relaie toujours des articles du site islamophobe Riposte laïque ou de Media-Presse Info, plateforme complotiste et pétainiste.
Recyclage de candidats
Autres exemples, Roger Dohen, suppléant de l’eurodéputé Philippe Olivier dans le canton de Marck (Pas-de-Calais), qui tenait des propos homophobes en ligne : «Le mariage = un homme une femme. Ils veulent toujours plus ces PD.» Nicolas Goury (canton du Nord-Libournais), qui fréquentait la branche normande de GI et posait devant le local CGT de Rouen en faisant une quenelle, le signe antisémite de Dieudonné. Bernard Sironneau (canton de Valence), qui s’amusait en 2015 d’une caricature de Christiane Taubira grimée en Banania et légendée «Y a pas bon Taubira».
«Le RN reste un parti sous-staffé et obligé de prendre les seuls volontaires pour se présenter, s’exposant à ce genre de dérapages», explique à Libération Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste de l’extrême droite et coauteur d’une note publiée ce mercredi par la Fondation Jean-Jaurès. «Le RN a moqué Emmanuel Macron en expliquant qu’il avait investi “n’importe qui” en 2017 mais qui semble avoir un processus de sélection qui n’est pas au point.» Et d’ajouter que le RN «doit aussi composer avec les anciens mégrétistes, les historiques du Front, les anciens partisans de Bruno Gollnisch et les identitaires». D’où la nécessité de recycler des candidats qui collent pourtant mal avec la vitrine car «prônant à des degrés divers une idéologie incompatible avec les valeurs de la République». Quitte à les lâcher en cas de problème, avec l’avantage de pouvoir en faire un artifice de communication promouvant la pseudo-normalisation du parti lepéniste dont le programme reste pourtant largement incompatible avec le bloc de constitutionnalité.