Allemagne: procès d’un militaire néonazi

En Allemagne, le procès d’un officier néonazi grimé en réfugié syrien

20 MAI 2021 PAR THOMAS SCHNEE

Franco Albrecht, lieutenant de la brigade franco-allemande, est soupçonné d’avoir planifié des attentats sous la fausse identité d’un demandeur d’asile venu de Damas. Il est jugé à partir de jeudi à Francfort.

Berlin (Allemagne).– Les activistes du réseau antifasciste allemand « Il n’y a pas de cas isolé » ne pouvaient manquer le procès du terroriste d’extrême droite présumé Franco Albrecht, 28 ans, qui s’ouvre jeudi au tribunal régional de Francfort-sur-le-Main. Samedi dernier, quelque 300 militants défilaient donc à Offenbach, dans la banlieue de la capitale de Hesse, en s’arrêtant notamment devant la maison où est né Franco Albrecht.

« Cette manifestation n’est que le début de notre campagne destinée à lutter contre la perpétuation de la terreur d’extrême droite et sa banalisation, via la mise en avant répétée d’un mythe du délinquant isolé », explique une représentante de l’initiative, en évoquant la montée en puissance des réseaux d’extrême droite dans l’armée et la police. 

Les accusations des militants d’Offenbach ne sont pas les lubies d’une minorité. Les nombreux crimes racistes commis par l’extrême droite depuis la réunification allemande, les lacunes du procès de la cellule terroriste NSU, au moins en ce qui concerne le rôle des renseignements intérieurs allemands dans les terribles ratés d’une traque de onze ans, et une série d’affaires comme celle de Franco Albrecht ont sévèrement miné la confiance d’un bon nombre de citoyens allemands envers leurs services de sécurité.   

Quand Franco Albrecht apparaît sur les radars des polices autrichienne et allemande, le 3 février 2017 à l’aéroport de Vienne, il est encore un jeune lieutenant affecté à la brigade franco-allemande d’Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin), diplômé de la prestigieuse école de Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan) et de l’Académie militaire allemande, promis à un solide avenir d’officier.

Allemagne militaires de la brigade franco-allemande

Des soldats de la brigade franco-allemande en mai 2019 à Meyenheim (Haut-Rhin). © Patrick Hertzog / AFP

Ce n’est que bien plus tard que l’on découvrira que le brillant élément a rédigé un mémoire de master – qui n’avait à l’époque fait tiquer aucun examinateur allemand – où il disserte entre autres des dangers des diasporas, selon lui incapables d’assimilation dans une culture sédentaire homogène, à l’image des juifs et des Arméniens dans la société américaine.

Quand il se fait piéger, en récupérant dans un conduit d’aération de l’aéroport viennois un pistolet de fabrication française « Unique Modèle 17 », prisé de la Wehrmacht lors de la Seconde Guerre mondiale, aucun fonctionnaire de police ne se doute du mépris qu’a le jeune homme pour les droits de l’homme, qu’il considère comme la clé de l’immigration et, à terme, du « génocide » des peuples d’Europe de l’Ouest.

Le pistolet, dira-t-il plus tard, il l’a trouvé fin janvier à Vienne dans un buisson, alors qu’il était venu assister avec des amis au bal des officiers organisé par le ministère autrichien de la défense. Pris de panique devant les contrôles effectués avant le vol retour vers l’Allemagne, il aurait caché l’arme par réflexe. Puis aurait voulu la récupérer. Mais pas de chance, une femme de ménage l’a retrouvée avant lui.

Cette histoire déjà absurde n’est rien en comparaison de ce qui suit. Car une fois l’interrogatoire achevé, les policiers autrichiens ont transmis les données recueillies à leurs collègues allemands, qui ont découvert que les empreintes digitales de Franco Albrecht étaient aussi celles de… Benjamin David, un demandeur d’asile syrien enregistré en Allemagne depuis 2015.

Dans un entretien accordé au Figaro en mars, Franco Albrecht a expliqué qu’il avait simplement voulu éprouver la facilité avec laquelle les réfugiés arabes et afghans pouvaient s’infiltrer en Allemagne. Il se serait donc présenté comme demandeur d’asile syrien au camp de transit d’Offenbach, sans aucune notion d’arabe mais avec un anglais balbutiant et un peu de français, langue qu’il maîtrise.

Il se serait ensuite pris au jeu. Après l’acceptation de sa demande d’asile, le jeune homme reçoit aussi une allocation mensuelle de 400 euros et poursuit sa double vie. « Je savais que ce que je faisais n’était pas conforme à la loi. Mais, à chaque fois que j’en avais l’occasion, au lieu de revenir en arrière, j’ai cédé au cours des événements », explique Franco Albrecht.

Comme pour l’histoire du pistolet, l’homme a commis des actes contraires à la loi, mais il souligne l’absence de gravité des faits et parle d’enchaînements malheureux. Les policiers allemands, eux, ne l’entendent de cette oreille. D’autant que la fouille des domiciles de Franco Albrecht et de ses proches apporte une moisson composée de stocks de balles de calibres divers, de grenades défensives, ainsi que de notes et d’enregistrements audio peu équivoques quant aux orientations politiques du jeune homme.

Il y a aussi une liste d’« ennemis » – des personnalités politiques de premier plan – ou encore le manuel djihadiste « Mujahideen Explosives Handbook », ainsi que des photos du garage de la Fondation Amadeu-Antonio, la principale ONG allemande qui opère contre l’extrême droite. Enfin, son ordinateur va révéler des contacts avec une nébuleuse active sur des forums en ligne ou la messagerie Telegram.

Une grande partie de ces groupes de discussion ont été créés par un certain « Hannibal », soit André S., ancien officier et instructeur des forces spéciales de l’armée, les KSK (Kommando Spezialkräfte). Ce dernier milite activement pour préparer le « Jour X », le jour où le système s’effondrera de lui-même, laissant entrevoir une prise du pouvoir. Le même André S. a aussi fondé le réseau germano-suisse Uniter, aujourd’hui en sommeil, qui regroupe des anciens militaires et policiers adeptes du survivalisme.

En compilant toutes ces données et d’autres encore, il ne fait pas de doute que Franco Albrecht, lors de son arrestation, était un homme engagé dans une dangereuse dérive d’extrême droite. Il n’a cependant pas le profil du néo-nazi classique, intégré dans une confrérie plus ou moins clandestine et plus ou moins agissante.

Sa mascarade de réfugié syrien était-elle une vraie « couverture » pour agir ? A-t-il vraiment préparé un attentat ? Et est-ce que les indices recueillis sont suffisants pour le condamner à autre chose qu’à une peine légère pour trafic et vol d’armes de guerre ou usurpation d’identité ? Les juges de Francfort ne devraient pas avoir la partie facile.

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Au moins l’enquête sur Franco Albrecht n’aura-t-elle pas été vaine. Car ce cas a entraîné une prise de conscience dans une partie de la classe politique, qui a entre autres débouché sur une enquête parlementaire menée par la commission chargée de la surveillance de l’armée et des services de renseignement au Bundestag.

Par ailleurs, un scandale sur un trafic de munitions au sein des KSK a révélé que l’unité d’élite de l’armée allemande fonctionnait sans grand contrôle. Elle pourrait être supprimée. Enfin, la direction du contre-espionnage, qui n’a pas su détecter ces dérives, a été changée et restructurée.

Dans leur rapport rendu fin 2020, les députés fédéraux estiment cependant que le danger est toujours là. Ils s’inquiètent non seulement de la découverte d’un nombre important de personnes, membres de l’armée, de la police et des services de renseignement « véhiculant une pensée d’extrême droite en partie violente », ainsi que des interactions inquiétantes et croissantes entre elles et les milieux d’extrême droite en tous genres, « tant dans le monde réel que numérique »