A l’hôpital, le discours FN gagne du terrain

A l’hôpital, le discours FN gagne du terrain

LE MONDE | 17.05.2016 à 11h20 • Mis à jour le 18.05.2016 à 08h42 | Par François BéguinLaetitia Clavreul et Olivier Faye


La santé, nouvelle terre de conquête pour le Front national ? Mardi 17 mai, le parti d’extrême droite lance un collectif consacré à ses « usagers », au premier rang desquels figurent les personnes âgées, en majorité rétives à voter pour la formation dirigée par Marine Le Pen. Une opération séduction qui ne se limite pas à ce seul électorat. Elle s’accompagne d’un discours en direction des personnels hospitaliers.

Sur son blog, jeudi 12 mai, Mme Le Pen a publié une longue lettre de soutien aux infirmiers et aux infirmières, « socle de notre système de santé », sur lesquels « reposent bien souvent des responsabilités énormes pour lesquelles ils n’ont que peu de reconnaissance, financière ou morale ». La présidente du FN sait qu’elle joue sur du velours : désormais, l’hôpital public vote largement pour son parti.

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Selon la troisième vague de l’enquête du Cevipof sur la présidentielle 2017, menée en mars, près de 25 % des agents de la fonction publique hospitalière ont l’intention de glisser un bulletin « Marine Le Pen » dans l’urne au premier tour du scrutin – dans l’hypothèse où Alain Juppé et François Hollande seraient candidats (ces derniers obtiendraient 29,8 % et 14,4 % des voix). La présidente du FN recueille même 38 % des intentions de vote parmi les actifs de catégorie C (agents techniques et administratifs, aides-soignants…), tandis que l’actuel chef de l’Etat n’en attire, lui, que 7 %.

« Plus on descend dans la hiérarchie, plus le vote FN augmente », souligne Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Cevipof, qui constate une « fracture au sein du monde hospitalier entre les personnels et l’encadrement supérieur »« Le niveau de vote est équivalent à celui des ouvriers du privé », ajoute-t-il.

Interrogés sur la percée du FN depuis 2012 (+ 10 points) à l’hôpital public, emblème de l’emploi garanti et de l’accueil de tous les patients sans distinction, des responsables syndicaux ou d’établissements du secteur mettent en avant une même explication, celle d’un profond changement de climat« Les métiers deviennent de plus en plus techniques, les personnels n’ont pas le temps de s’attacher à des patients, qui restent de moins en moins longtemps… », décrit le directeur d’une agence régionale de santé. Difficile à vivre pour des agents de catégorie C, qui cumulaient déjà bas salaires et pénibilité de l’emploi.

« Insatisfaction » criante

« Le relationnel est réduit à peau de chagrin », résume Patrice Tasser, du syndicat SUD à l’hôpital d’Arpajon (Essonne). « Une insatisfaction » qu’il juge plus criante encore dans les petits établissements, où les marges de manœuvre en termes d’effectifs sont inexistantes.

C’est l’aide-soignante qui réalisait douze toilettes par jour et en fait désormais quatorze. Le « à bientôt » glissé à un patient qui vient d’apprendre qu’il a un cancer et qu’on laisse seul face à sa détresse parce qu’on n’a pas cinq minutes à lui consacrer. A cela est venue s’ajouter ces dernières années la disparition d’un certain nombre de journées de RTT, « soupape » pour une partie des agents.

« Le discours actuel est trop économique, pas assez porté sur les soins », abonde un directeur d’établissement. L’instauration de la tarification à l’activité dans les hôpitaux qui a imposé un discours plus financier, est passée par là. Une réforme que M. Hollande avait promis d’amender, et que Mme Le Pen promet d’abroger en cas de victoire en 2017.

Parallèlement, « certains ont l’impression que depuis 2012, c’est surtout les médecins qui ont été l’objet d’attention », estime un directeur d’hôpital, qui cite la récente réforme du temps de travail des urgentistes. Une opposition entre la base et le sommet qui sert de ressort au discours frontiste.

« Libération » de la parole

Le malaise à l’hôpital n’est pas un phénomène nouveau, mais désormais, il y a le « contexte général », celui d’une « libération » de la parole aussi dans les établissements, même si le FN n’y a pas de relais. « Cela devient un vrai souci, explique Philippe Crepel, porte-parole de la CGT Santé. Des phrases d’agent comme : “Celui-là on ne le soigne pas, c’est un profiteur”, on en entend plus qu’avant. Nous avons de plus en plus de gestion de conflits autour du racisme envers les personnels, mais aussi envers les patients. » « Les gens ne se cachent plus. Le FN, ce n’est plus un vote sanction, ça devient de plus en plus pérenne… », raconte Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général de SUD Santé Solidaires de l’AP-HP.

« Le vote FN est inversement proportionnel à notre présencenous arrivons à dégonfler ce transfert. Il y a un effritement du syndicalisme dans la fonction publique hospitalière », reconnaît Jean Vignes, secrétaire général de SUD Santé Sociaux. Dans ce climat général, le contexte local joue à plein. Certains relèvent les difficultés parfois rencontrées par le personnel face à la forte proportion de médecins étrangers dans les hôpitaux les moins attractifs. « Au ressentiment de classe s’ajoute un ressentiment d’origine », ose le directeur d’un établissement de banlieue sous couvert d’anonymat, qui rappelle que les postes non remplacés se comptent surtout du côté du personnel.

D’autres évoquent des professionnels en première ligne face aux problèmes de laïcité – un sujet que Mme Le Pen ne se prive pas d’enfourcher. « Il y a parfois un double discours » de la part des directions, explique M. Rouban, selon qui ces dernières ont tendance à lâcher du lest sur le sujet pour éviter les conflits. Et de pointer une « sorte d’anomie », de « perte de repères » dans le milieu hospitalier.

Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique jusqu’en février, ajoute un dernier poids sur la balance : une petite musique anti-fonctionnaire véhiculée par certains politiques, qui meurtrit les agents. « Marine Le Pen a compris, elle. Elle prend leur défense », raconte-t-elle.

Après six ans de gel, le gouvernement a annoncé, le 17 mars, une hausse de 1,2 % en deux fois du point d’indice des fonctionnaires. L’impact sur le vote de ces quelques dizaines d’euros n’est en rien garanti, car le mal-être est plus large. Le Cevipof doit publier, fin mai, une nouvelle vague de son enquête sur les intentions de vote chez les personnels hospitaliers. Mme Le Pen attend certainement ces chiffres avec sérénité.